Florence BRACHET-CHAMPSAUR a rejoint la SNCF en 2018. Depuis quelques années, elle a défini et met en œuvre une stratégie de valorisation patrimoniale particulièrement ambitieuse et innovante au sein du groupe ferroviaire. Antoine Roland s’est entretenu récemment avec elle pour revenir sur son parcours et échanger sur différents projets d’innovation qu’elle a impulsés. 

1. AR – Pour commencer, pourriez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours ?

FBC – Dès mes études, j’ai croisé le monde de l’entreprise et du patrimoine. J’ai d’abord obtenu un diplôme au sein de l’école de commerce EM Lyon, puis, entrepris une thèse d’histoire à l’EHESS sur Les Galeries Lafayette. Cette double approche me permet d’aborder le monde des entreprises et leurs histoires de façon singulière. Elle favorise à la fois un regard pratique et académique pour tisser des liens féconds et dynamiques entre les projets d’une entreprise et son histoire. 

Avant de rejoindre la SNCF, j’ai ainsi été Directrice du patrimoine et des archives historiques ainsi que responsable du mécénat aux Galeries Lafayette. Durant cette expérience, j’ai été amenée à mettre en place une politique de conservation des archives du groupe, à les ouvrir à un public de chercheurs et à développer un ensemble d’actions de valorisation auprès du grand public (création de visites du magasin, initiation d’un cycle d’expositions en France et à l’international, puis, commissariat d’expositions, etc.).

En 2018, alors que la SNCF célébrait ses 80 ans (voir cette passionnante vidéo qui retrace l’histoire de l’entreprise), j’ai rejoint cette entreprise pour consolider et clôturer ce bel événement. Cet anniversaire fut un véritable élément déclencheur pour la compagnie ferroviaire et révélateur de l’attachement des Français à celle-ci. Depuis sa création en 1937, elle fait partie de l’histoire de France, elle a pris part à tous les événements, fierté industrielle française, elle pa participé pleinement à l’histoire des mobilités et de la construction des territoires. Fort de cette prise de conscience, la SNCF a donc décidé de créer un service dédié au patrimoine. Je me suis inscrite dans cette dynamique pour définir le cadre de cette stratégie et faire exister la SNCF comme un acteur majeur du patrimoine national.

La stratégie que j’ai proposée est le fruit d’un « choc culturel ». J’ai été, particulièrement frappée par la culture d’innovation très forte de ce groupe (le chemin de fer est issue de la révolution industrielle au 19è siècle et la SNCF la première société à lancer un site marchand en 2000). Au-delà d’une vision nostalgique, j’ai rapidement pris conscience du potentiel du patrimoine comme nouveau terrain d’innovation. Cette feuille de route pouvait d’abord s’appuyer sur un écosystème interne, une direction du numérique solide et sur un ample réseau territorial de fabriques numériques : les maisons digitales 574.

2. AR – Pouvez-vous nous présenter quelques exemples de projets innovants que vous avez portés ?

FBC – En 2019, un premier projet a été lancé avec la FAB AR/VR. Avec ce centre d’expertises qui met à disposition des outils innovants pour faciliter la transformation digitale et technologique du groupe, nous avons commencé à créer différentes visites virtuelles : celles d’un Bunker construit en 1937 sous la gare de l’Est, puis, celle de l’Orient Express. Elles rendent accessibles à tous le patrimoine de la SNCF.

Suite à ces premières réalisations, j’ai voulu accélérer cette stratégie par une démarche dopen innovation en en collaborant avec desacteurs extérieurs tels que le studio Skyboy pour une visite en VR de la Tour de l’Horloge de la Gare de Lyon, et l’incubateur du patrimoine du Centre des monuments nationaux (CMN). Cette collaboration aux côtés de cet opérateur culturel rapprochait deux acteurs majeurs  du patrimoine en France. Nous avons sélectionné ensemble une promotion de start-ups en 2020 afin de collaborer sur des expérimentations innovantes communes. Malgré la crise sanitaire, nous avons pu sélectionner 3 start-ups grâce à cet appel à candidature : Lumeen, Blumenlab et TIPSmeee. L’expérimentation a permis à Lumeen a, par exemple, de développer une visite virtuelle à destination des EHPAD pour découvrir le Train Jaune d’Occitanie. Ces visites sont proposées à des groupes de seniors avec l’aide d’un médiateur pour réaliser un voyage virtuel mais collectif qui stimule les souvenirs, favorise une échappée du quotidien et crée un véritable instant de convivialité.

La crise sanitaire a aussi obligé la SNCF à entièrement dématérialiser notre relation aux publics pour l’édition 2020 des Journées européennes du patrimoine. Ce projet a été lancé en étroite collaboration avec Schoolab.  pour développer dans un temps record une plateforme de contenus numériques de valorisation du patrimoine : patrimoine.sncf.com. Au lancement de cette plateforme, nous avons enrichi l’expérience en ligne en développant un premierchatbot avec Ask Mona sous la forme d’un quizz. Depuis septembre 2020, la plateforme est disponible en permanence et s’enrichit de nouveaux contenus.

3. AR – Dernièrement, vous avez mené un projet entre recours à l’intelligence artificielle et valorisation d’archives, pouvez-vous nous en parler ?

FBC – Suite à cette première collaboration, je suis restée en contact avec  Marion Carré, fondatrice d’Ask Mona. Ensemble nous avons évoquéla façon dont Ask Mona utilisait désormais les fonctionnalités de chat GPT au service de l’accès à la culture. Convaincue de l’intérêt, nous avons donc décidé de lancer un nouveau projet avec cette société pour les Journées Européennes du Patrimoine 2023 (16 et 17 septembre) : X 3 800. 

Pour la mise en œuvre de ce projetnous avons constitué un corpus sur l’histoire du chemin de fer, livré en juillet, à partir d’archives historiques et de sources secondaires : transcription des podcasts Chemin de faire, articles scientifiques de la revue produite par l’association Rails & histoire, supports pédagogiques. Ce corpus a permis d’alimenter par des sources scientifiques cette intelligence artificielle générative qu’est ChatGPT et de l’entraîner tout en s’assurant de la fiabilité de l’information pour les publics. Dès septembre, ce chatbot était ouvert et a pu être testé par le public. 

C’est ainsi que sur les deux premières semaines du mois de septembre, notre plateforme patrimoine a attiré plus de 50 000 visiteurs uniques (contre 17 000 l’an passé).Ce succès est le fruit d’un lancement lors des Journées Européennes du Patrimoine (où le patrimoine ferroviaire est particulièrement visible pendant le week-end), d’une communication sur les réseaux sociaux et d’un communiqué de presse diffusé largement.

Fort de ce succès, l’idée est désormais de pouvoir enrichir le corpus du le chatbot X 3800 avec Ask Mona ainsi que de repenser la plateforme pour mettre en avant les nombreux contenus avec des outils de recherche et réfléchir aux usages et aux parcours de visite.

Ces différentes collaborations tant en interne (experts et salariés) qu’avec de nombreux partenaires extérieurs (start-ups ou institutions culturelles) démontrent la diversité des approches que peuvent envisager le secteur patrimonial pour mettre en œuvre des projets innovants de valorisation patrimoniale. Merci à Florence BRACHET-CHAMPSAUR pour la générosité de ce partage et sa disponibilité.