La dernière définition du musée proposée par l’ICOM met en avant la dimension participative des musées. Cette dimension nécessite de mieux connaître les publics d’un musée pour ensuite proposer des expériences plus participatives. Pour illustrer quelques tendances sur le sujet, Museum Connections a proposé un meet-up en ligne mi-juillet sur les nouvelles formes de visites (voir le replay). A cette occasion, deux approches ont été présentées :
- Une approche événementielle et expérientielle par l’intermédiaire d’un parcours théâtral immersif proposé par Sculpteurs de Rêves et le Musée national de la Marine à l’occasion de la réouverture du site parisien du musée après 6 ans de travaux pour (ré)accueillir ses visiteurs.
- Une étude pour affiner ce qui lie les visiteurs aux musées et ce que leur procure une visite muséale en termes de bien-être grâce à une étude menée par le Musée des Beaux-Arts de Caen en lien avec la programmation du Millénaire de Caen.
Bien que ces projets soient le fruit d’approches très distinctes, ils partagent un objectif commun : repenser le lien entre collections et visiteurs en tenant compte du ressenti des publics dans toute leur diversité. Ces deux projets induisent aussi de nouvelles formes de collaborations entre les musées, le secteur entrepreneurial ou celui de la recherche.
Cet article explore ces deux exemples et renvoie à d’autres projets inspirants, montrant les expérimentations passionnantes en cours dans les institutions culturelles pour enrichir l’expérience des visiteurs.
1. “Le Passage de la Ligne”, une expérience théâtrale immersive pour (ré)accueillir les visiteurs du musée de la marine
Le Musée national de la Marine a choisi de marquer sa réouverture après six ans de travaux par une initiative audacieuse : une immense pièce de théâtre immersive dans le parcours du musée du 17 au 19 novembre 2023. Ce projet a été présenté par Léna BONNOT, Chargée de médiation au Musée national de la Marine, et Romane PROVOST, Directrice de la création chez Sculpteurs de Rêves qui a mis en œuvre, de la conception à l’exploitation, ce week-end festif.
En premier lieu, les équipes de médiation du musée ont défini les grandes lignes de cet événement avec pour objectif de mettre en avant le patrimoine immatériel maritime à travers une reconstitution théâtrale du passage de la ligne, une tradition maritime de bizutage pour les marins traversant l’équateur pour la première fois. Leur souhait était de transformer les visiteurs en acteurs, leur permettant de découvrir les œuvres et l’architecture du musée de manière originale, mais surtout adapté à tous les profils de visiteurs.
En effet, pour garantir l’accessibilité d’une telle expérience au plus grand nombre, les défis à relever pour ce projet étaient multiples. L’événement devait permettre une visite sans ordre prédéterminé (à l’image du parcours muséographique), accueillir une audience hétérogène, et garantir une accessibilité totale, particulièrement pour les personnes en situation de handicap. Ces objectifs ont guidé le choix de monter une pièce de théâtre immersive grandeur nature, dont la réalisation a été confiée à un prestataire spécialisé, Sculpteurs de Rêves, qui a travaillé sur plus de quarante spectacles pour des musées ou des marques.
Romane PROVOST est revenue sur le processus créatif de l’expérience (six mois), marqué par une collaboration étroite entre les deux partenaires. Une trame a été dessinée dans laquelle les visiteurs, accueillis par des personnages mythologiques (ex. Poséidon), devaient suivre un parcours ponctué d’épreuves, devenant ainsi des “chevaliers-marins”. Tout au long de la préparation, les acteurs ont été formés à partir de fiches scientifiques détaillées sur les œuvres. Ils ont ainsi intégré ces connaissances dans leur jeu, assurant une mise en scène fidèle et éducative. Chaque interaction, costume et maquillage était soigneusement conçue en lien avec les œuvres, et les visiteurs utilisaient un passeport pour s’assurer de participer à toutes les étapes de l’expérience.
Le résultat a été un parcours modulable, adaptable aux différents profils des visiteurs, qu’ils soient habitués, curieux ou joueurs. Le succès de l’événement s’est traduit par la participation de près de 2 000 personnes durant le week-end de réouverture. Par ailleurs, un groupe de personnes sourdes, accompagné d’une interprète, a pu participer pleinement aux activités, un enjeu particulièrement important pour le Musée qui a, à ce propos, reçu le prix “Brest Practice” du conseil international des musées ICOM CECA pour la démarche d’accessibilité universelle mise en oeuvre, de manière générale, dans le parcours du musée national de la Marine à Paris.
Quelques autres projets similaires inspirants : – Le spectacle “Mortel week-end” organisé par 5ème Acte pour le Domaine de Candé. – Le spectacle Secret Défense a été lancé par Polaris Productions au château de Rambouillet. – L’expérience le Fléau au Domaine du Palais Royal par la compagnie de Léonard Matton. – La Casa de Papel: The Experience par Fever à la Monnaie de Paris |
Ce type de partenariat permet d’explorer de nouvelles approches de médiation et d’élargir les perspectives éducatives et culturelles des institutions muséales. Le Musée national de la Marine a insisté sur l’importance de collaborer, pour ce type d’événement, avec des spécialistes du format scénique. L’expertise des Sculpteurs de Rêves dans les domaines du costume, des accessoires et de la mise en jeu des acteurs a en effet été essentielle pour la réussite de l’événement.
Ces événements et collaborations enrichissent l’offre muséale en créant de nouvelles formes de relations entre le musée, ses collections et ses visiteurs. Cette dynamique interroge la place du public dans les musées, tant du point de vue de l’accueil, comme en témoigne l’exemple du Musée de la Marine, que de manière plus scientifique, comme cela se pratique au Musée des Beaux-Arts de Caen. Ce dernier a développé un projet de recherche autour de la médiation sensible en partenariat avec des laboratoires, des universités et des plateformes expérimentales, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur l’interaction entre les publics et les collections.
2. Les recherches neurologiques du Musée des beaux arts de Caen pour le bien-être de ses visiteurs
En 2019, l’Organisation mondiale de la santé Europe a publié un rapport basé sur la conférence « Apprendre des arts », tenue à Budapest. Ce rapport explore comment intégrer les activités artistiques dans les systèmes de santé pour compléter le traitement et la prévention des maladies non transmissibles, en soulignant les bénéfices de l’art pour la santé physique et mentale. Il reconnaît que l’art peut offrir des solutions complémentaires à celles de la médecine traditionnelle. Cette approche, popularisée au Canada avec les fameuses « prescriptions culturelles », trouve également des exemples en France, comme c’est le cas avec le projet présenté par le Musée des Beaux-arts de Caen.
L’étude “Art, bien-être et cerveau” du musée normand est une initiative arts-sciences qui explore la place des visiteurs et leur relation avec le musée, en se concentrant sur les aspects neuroscientifiques et de bien-être. Ce projet de recherche scientifique et culturelle a été présenté par Marina CAVAILLÈS, Directrice de la culture à la Communauté Urbaine de Caen la Mer, et Anne BERNARDO, Responsable du service communication au Musée des Beaux-arts de Caen.
Tout d’abord, l’étude s’inscrit dans un cadre, celui du millénaire de Caen, une célébration qui commémore le millénaire de la ville avec une programmation culturelle riche, croisant sciences, arts, histoire et économie, et se déroulant dans divers lieux emblématiques de la ville. Pour la Communauté Urbaine de Caen la Mer, l’un des objectifs du millénaire était d’établir des dynamiques de collaboration co-construites et à faciliter les synergies entre différents acteurs de recherche du territoire pour combiner leurs expertises de manière complémentaire. Un projet a ainsi été élaboré avec le Musée des Beaux-Arts de Caen, visant à explorer l’impact des œuvres d’art sur les individus et à renouveler les approches de médiation en mettant l’accent sur les effets bénéfiques de ces interactions.
De son côté, le Musée des Beaux-arts de Caen explore depuis plusieurs les liens entre arts et bien-être, notamment à travers des séances de yoga. Récemment, le Projet Scientifique et Culturel (PSC) du musée a souligné l’importance des liens entre les œuvres et les publics. En avril 2022, lors de l’organisation du millénaire de Caen, le musée a été invité à co-construire des projets, choisissant de se concentrer sur la thématique de l’art et de la santé, en parfaite continuité avec ses initiatives antérieures.
Le projet “Art, bien-être et cerveau : une rencontre essentielle ?” réunit donc plusieurs partenaires spécialisés : le GIP Cyceron (plateforme d’ingénierie cérébrale), le Laboratoire CERN (Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire), l’Université de Caen, le Centre Hospitalier Universitaire et le CNRS. L’étude, actuellement en cours, vise à mesurer l’impact des visites muséales et des œuvres d’art sur le bien-être des visiteurs en observant leurs émotions. L’objectif est de comprendre comment l’art influence les émotions en mesurant les flux cérébraux, le regard et les battements du cœur des participants. Actuellement, une des problématiques majeures réside dans l’observation des flux sanguins cérébraux durant les visites sans recourir à une imposante machine d’IRM classique. Grâce à une technologie récente, le bandeau IMS, il est désormais possible de remplacer l’IRM et d’effectuer ces mesures directement dans le musée. Cette innovation permet de suivre en temps réel les réactions des visiteurs.
En termes de conception, l’étude se déroule en plusieurs phases structurées pour garantir la rigueur scientifique et la validité des résultats. La première phase consiste à établir des protocoles hospitaliers détaillés, un processus long et minutieux, afin de garantir la sécurité et l’efficacité des mesures. Ensuite, une sélection de 200 volontaires, répartis en trois grands groupes pour explorer différentes conditions de visite : une visite libre de quatre tableaux, une visite avec médiation, et une visite en binôme. Chaque groupe est exposé à quatre séries de trois tableaux, choisis de manière équilibrée pour inclure un portrait, une scène de genre, et un paysage, afin d’éviter les biais liés aux types de tableaux.
Une approche qui pourrait transformer les pratiques muséales en mettant en lumière les bénéfices psychophysiologiques de l’art et en guidant le développement de nouvelles stratégies pour enrichir l’expérience des visiteurs dans d’autres musées.
Quelques autre projets similaires inspirants : – L’étude APPREN’ART entre L’Établissement Public des musées d’Orsay et de l’Orangerie, en association avec l’Université Paris-Est Créteil et le Centre Hospitalier Henri Laborit de Poitiers (ce projet a lancé un appel à participation, vous pouvez contacter Carla TOME pour plus d’informations) ; – Les « Louvre-Thérapie” du Louvre-Lens. – Le Hamo, un espace de médiation culturelle inauguré en 2023 au Palais de Tokyo à Paris, qui porte une attention particulière à la santé mentale des visiteurs. – Le podcast “Museums and Chill – Comment je sais ce que je sais: musée et neurosciences” proposé par l’ICOM. |
Ces projets illustrent comment les musées innovent pour proposer de nouvelles formes de visites en se concentrant sur l’expérience vécue par les visiteurs. Le Musée national de la Marine, avec son expérience théâtrale immersive, et le Musée des Beaux-Arts de Caen, avec son étude sur les effets de l’art sur le bien-être des visiteurs, démontrent l’importance des collaborations interdisciplinaires. Ces initiatives ouvrent des perspectives prometteuses pour transformer la relation entre les musées et leurs publics, en mettant l’expérience des visiteurs au cœur de la médiation et des missions muséales.
Baudouin DUCHANGE