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25 July 2024

Le GCDN – Global Cultural District Network – un événement qui explore comment les arts, la culture et les industries créatives contribuent à l’amélioration de la qualité de vie urbaine. – Correspondances

Table des matières

En mai dernier nous étions au GCDN, le Global Cultural District Network, un événement international annuel dédié aux quartiers culturels, et plus généralement à l’appréhension de l’espace public comme vecteur de lien social et d’expérimentation culturelle collective. 

Comme se plait à le rappeler son Président dès son mot de bienvenue, le GCDN est d’abord et avant tout une communauté, un lieu d’échange, de partage d’expériences et de réseautage. L’événement n’a pas de vocation commerciale, et les participants sont invités à s’exprimer aussi librement qu’ils le souhaitent, celui-ci s’imposant la règle dite Chatham House rule, selon laquelle toute personne qui assiste à une réunion est libre d’utiliser les informations issues de la discussion, mais sans dévoiler les prises de parole des uns et des autres. 

L’équipe du GCDN collabore étroitement avec celles de AEA Consulting, agence de tout premier plan spécialiste de la planification stratégique pour le secteur des industries créatives et culturelles (1200 missions réalisées dans 42 pays depuis 1991), à l’origine de la création de l’association qui promeut “l’amélioration de la qualité de la vie urbaine grâce à la contribution des arts, de la culture et des industries créatives”.

Coorganisée par son hôte, le Centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos à Athènes, cette dixième édition avait judicieusement choisi pour thème l’Agora. L’Agora était le point focal de la population en Grèce au deuxième siècle avant Jésus-Christ. Siège de l’assemblée du peuple, mais aussi place publique, centre administratif, religieux et commercial de la cité, l’Agora illustre parfaitement l’intention qui semble s’être généralisée dans la démarche des opérateurs privés comme publics, celle de créer des espaces d’interactions et d’inclusion sociales, accessibles, ouverts, en un mot, des places et quartiers culturels conçus (et surtout perçus par les usagers) comme des Agoras modernes.

@AEA Consulting & GCDN

Une grande diversité de quartiers culturels, et une tendance qui se dégage : prendre soin de ses publics.

Cette tendance est d’autant plus intéressante à souligner qu’au GCDN se côtoient des initiatives d’échelle et de situation extrêmement variées (d’Expo 2020 Dubaï – 438ha, 24M de visiteurs – à une initiative citoyenne au cœur de Copenhague, en passant par Little Caribbean à Brooklyn), des initiatives dites top-down – à savoir des quartiers culturels développés dans le cadre de plans directeurs ambitieux au sein de métropoles internationales – aux projets bottom-up, qui se développent de manière organique à partir d’initiatives locales et citoyennes.

Signe de préoccupations communes, les démarches et expérimentations centrées sur l’implication de l’usager, les interactions, les pratiques alternatives, la recherche d’inclusion et parfois d’affirmation de l’identité culturelle progressent depuis plusieurs années de façon protéiforme dans de nombreux pays. L’expérience du covid a considérablement contribué à accélérer et répandre cette tendance.

SNFCC_The Canal©SNFCC_Pinelopi_Gerasimou

Replacer l’individu et son inscription au sein d’un corps social qui fasse sens, au centre du programme, éventuellement lui fournir des leviers d’émancipation par la pratique artistique par exemple, apparaissent désormais comme une réponse partagée aux crises et agressions qui ont fragilisé le lien social, au premier rang desquelles la pandémie de covid, dont les stigmates sont encore présents dans la relation aux publics. Mais aussi les crises climatique et environnementale, les tensions géopolitiques et le retour de guerres en occident – qui génèrent anxiété et mouvements de repli -, la polarisation croissante au sein des sociétés, le besoin d’affirmation et de reconnaissance des communautés marginalisées ou invisibilisées, le besoin de clarification de l’histoire et de vérité.

Les effets positifs des arts, de la culture et des pratiques artistiques sur la santé sont désormais reconnus et documentés : “les résultats de plus de 3 000 études ont mis en évidence le rôle majeur des arts dans la prévention des problèmes de santé, la promotion de la santé et la gestion et le traitement des maladies tout au long de la vie” [source : site internet de l’OMSHealth Evidence Network synthesis report 67]. Cette thématique avait été explorée au GCDN 2023.

On ne peut s’empêcher de remarquer comment ces préoccupations résonnent avec 3 courants de pensée contemporains, en France du moins. En premier lieu la notion de “soin”, telle qu’elle est développée par la psychanalyste et philosophe Cynthia Fleury, qu’elle pose comme “(…) une tentative de soigner l’incurie du monde, de poser au cœur du soin, de la santé, et plus généralement, dans nos relations avec les autres, l’exigence de rendre la vulnérabilité capacitaire et de porter l’existence de tous comme un enjeu propre (c’est nous qui soulignons), dans toutes les circonstances de la vie.” [Le soin est un humanisme – 2019]. L’idée du soin semble ainsi s’affranchir de son contexte sanitaire pour s’étendre à la relation aux autres, aux interrelations, et par extension à la relation aux publics.

La seconde est la notion d’ “habitabilité”, terme que l’on peut définir comme “l’ensemble des conditions de l’habiter d’un lieu (accessibilité, convivialité, citoyenneté, proxémies) aussi bien matérielles qu’idéelles. Le terme renvoie à une idée de l’habiter plus large que le fait de résider. L’habitabilité d’un lieu est liée à l’existence de possibilités suffisantes de création et d’adaptation permettant aux individus de se l’approprier. Les approches par l’habitabilité étudient la façon dont le social se construit dans un territoire de vie.” [source : site internet Géoconfluences]

Le sociologue, co-fondateur de la société Eranos et enseignant Michaël Dandrieux considère la question de l’habitabilité du monde comme incontournable aujourd’hui et il y dédie ses séminaires à Sciences Po Paris (Ecole de Management et d’Innovation).

Rien d’étonnant à ce que Cynthia Fleury et Michaël Dandrieux aient été invités, dans le cadre d’un séminaire d’entreprise, à réfléchir sur “comment le design réenchante la fabrique de la ville ?” au cours duquel est proposée l’idée d’une “architecture du soin”.

Enfin, la perspective d’une vision systémique du vivant, où il devient fondamental de prendre soin de l’environnement afin d’assurer l’habitabilité de notre planète “par nous et par les millions de formes du vivant dont nous dépendons” (M. Dandrieux), semble gagner du terrain tant dans les projets d’initiative publique, privée que citoyenne.

Nous retrouvons ces préoccupations, sous une forme ou une autre, dans presque toutes les tables rondes du GCDN 2024, comme un fil rouge. Ainsi, les quartiers culturels sont présentés comme des centres dynamiques, qui développent le sens de la communauté, promeuvent la culture, la créativité, l’innovation, et qui inspirent la fabrique de la ville. Ils reposent sur le partage et les interconnexions, la mixité et l’éducation, développant ainsi le lien social, l’encapacitation des individus et le sens de la communauté, ils sont le miroir de la vitalité des territoires.

Et la question est posée : “comment s’y prendre ?” dans un monde en constante mutation, où l’accélération, des techniques, des usages, des crises, semble irrépressible. Tel est l’objet du GCDN 2024, en débattre, s’inspirer de projets innovants et partager les expériences à travers des études de cas.

L’exemple du Centre Culturel de la Fondation Stavros Niarchos à Athènes : priorité à la population locale.

SNFCC_Stavros Niarchos Park_The Great Lawn ©SNFCC_Nikos_Karanikolas

Le site d’accueil de l’événement, le Centre Culturel de la Fondation Stavros Niarchos (SNFCC), en est un exemple.

Conçu par l’architecte italien Renzo Piano, le site comprend l’Opéra national grec, la Bibliothèque nationale de Grèce ainsi que le Centre culturel et le parc Stavros Niarchos, l’un des plus grands espaces verts de la ville et plus important parc méditerranéen au monde, d’une superficie de 21 hectares. La ligne directrice du projet se centre sur la création d’un espace public véritablement ouvert, et où chacun peut participer librement à une multitude d’activités et d’événements culturels, éducatifs, sportifs, environnementaux et récréatifs.

Le SNFCC a été entièrement financé par la Fondation Stavros Niarchos, qui l’a remis à l’État grec en 2017 une fois les travaux terminés. Organisation à but non lucratif déclarée d’utilité publique, SNFCC S.A. est chargée de l’exploitation, de l’entretien et de la gestion du Centre culturel de la Fondation et du parc Stavros Niarchos, tout en développant et en organisant ses activités propres. Elle est supervisée par le ministère grec des Finances. La gouvernance du SNFCC repose sur une collaboration particulièrement dynamique entre le secteur public et privé, pensée pour répondre aux attentes des investisseurs et des organisations impliquées. Il s’agit d’un modèle duplicable, appelé à inspirer de nouvelles organisations.

Du point de vue de son insertion urbaine, le projet visait avant tout à restaurer le lien naturel et conceptuel entre la terre et la mer (coupé par d’importantes voies de circulation). Renzo Piano résumait la démarche en un concept topographique : « soulever » un morceau de terrain pour concevoir un parc en pente, au sommet duquel se trouve le bâtiment, restaurant ainsi la vue perdue sur la mer et l’Acropole. Cette reconnexion a également été matérialisée par la mise en place d’une passerelle dédiée aux mobilités douces et complétée par la création d’un canal de 400 mètres de long par 30 mètres de large, afin d’intégrer au site la présence physique de l’eau.

Sur la question de la soutenabilité environnementale, le projet a visé l’exemplarité dans tous les domaines. Il est le premier site culturel de cette envergure à obtenir la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) Platinum en Europe, gage d’excellence dans 6 domaines-clés concernant la conception et la construction du bâtiment, la gestion de l’énergie de l’eau, la qualité de l’air et des matériaux, une utilisation des ressources et un aménagement paysager durables.

SNFCC_Stavros Niarchos Park_©SNFCC_Yiorgis Yerolymbos_

D’un point de vue sociétal, il est rappelé que les Jeux Olympiques d’Athènes de 2004 ont véritablement marqué un tournant, qu’une transformation s’est opérée au sein de la société grecque, révélant notamment un manque flagrant de places publiques où la vie de la collectivité peut s’organiser. Ces places sont devenues un enjeu de société, une aspiration commune, et le sont toujours aujourd’hui compte-tenu de la densification de la population et de la rareté d’espaces physiques disponibles. C’est pourquoi les projets de création de places publiques sont souvent l’occasion de collaborations entre l’Etat, les districts, les collectivités locales et les citoyens, ces derniers étant généralement invités en amont à participer à la définition programmatique des espaces. 

Dans le cas du SNFCC, des ateliers ont été organisés en amont afin de recueillir les attentes des différents publics. Parmi les demandes exprimées, un besoin de sécurité – ou plutôt de sentiment de sécurité – est ressorti au premier plan, aux côtés des notions d’accueil et de respect du public, ainsi que celles d’accessibilité et d’inclusion des publics éloignés.

Les subventions que touche le Centre lui permettent la mise en place d’une très grande variété d’activités culturelles, artistiques, éducatives et sportives en direction de tous les publics, dont la majorité en accès libre. Un des éléments clés de sa démarche a été d’impliquer les talents locaux dans la conception et la réalisation des événements proposés. 

Dans un contexte où la stratégie de la Grèce consiste à travailler et interroger les interconnexions entre culture et tourisme, le SNFCC fait le choix de s’adresser en priorité à la population locale dans sa diversité, afin de favoriser la créativité pour tous. Le curseur est clairement positionné sur une recherche d’impact social au détriment du strict impact économique. Proposer une plateforme d’expérimentation sociale et culturelle, plutôt que de rechercher une attractivité touristique. Le retour social sur investissement étant au cœur du projet, la mesure de l’impact environnemental, programmatique et social sur la population locale d’une part, et en termes d’image du pays d’autre part, a fait l’objet d’un travail de définition des indicateurs, dont les données collectées constituent le socle d’une étude d’impact en cours de réalisation.

Le Navy Pier de Chicago : la création comme levier d’émancipation.

@Navy Pier

De nombreux sites entament leur mue dans la même direction. Ainsi le Navy Pier de Chicago, site dédié à l’activité commerciale et touristique, travaille à une transformation progressive et profonde de la nature des activités qui y sont proposées. Pour la municipalité, l’enjeu consiste à construire une offre socio-culturelle forte en direction de la population locale, qui ne s’adresse pas aux touristes. Les artistes locaux ont été sollicités dans la construction d’un éventail de propositions dans les domaines des arts vivants, de la musique, du cinéma, etc. Des ateliers de création pour tous les publics ont progressivement remplacé les activités de divertissement, dans un esprit d’égalité des chances et d’émancipation, notamment concernant les publics spécifiques.

Et l’expérience du Navy Pier monte qu’un nouveau tourisme émerge alors autour de ces activités participatives, attiré par l’authenticité des propositions artistiques qui y sont présentées.

En différents points du globe, la notion de fatigue touristique s’est installée, les limites du tourisme ont été expérimentées, et les quartiers culturels œuvrent au renouvellement des approches dans la façon d’appréhender et d’impliquer les populations et les publics, à la recherche de leviers d’émancipation, de construction de l’identité sociale, ou tout simplement de bien-être.

En guise de clôture, la dernière table ronde du GCDN 2024, sur le thème du positionnement des grandes institutions face aux nombreux débats – souvent clivants – qui secouent actuellement nos sociétés, en fût véritablement un des temps forts. Que signifie la neutralité d’une institution, comment s’exprime-t-elle ? Proposer un positionnement clair et durable dans le temps, qui offre un cadre solide au débat, s’en faire le garant, mais sans y prendre part, ou jouer un rôle d’influence et tenter de peser sur le cours des événements en prenant partie ? Et au nom de qui ?

Un débat conduit avec beaucoup de hauteur et une argumentation de qualité, qui n’a pas manqué de faire réagir l’audience et s’exprimer des points de vue divergents. Jusqu’au bout la notion d’Agora aura été pertinente.

@AEA Consulting & GCDN