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30 January 2025

Qu’apportent les projets numériques et immersifs à l’expérience de visite et au visitorat des musées ? – Correspondances

Table des matières

Une restitution de différentes études menées sur des expériences immersives accueillies récemment au Hangar Y, au Muséum national d’Histoire naturelle et au musée national de la Marine a été réalisée lors de l’événement Museum Connections le 14 janvier 2025. Face au manque d’études et de retours analytiques sur le sujet de l’immersion numérique culturelle, cet exposé a permis de révéler quelques tendances précieuses sur : la diversité des dispositifs numériques mis en place, l’importance des lieux et des espaces accueillant ces expériences, la complémentarité des différentes méthodologies mises en oeuvre dans le cadre de ces études au regard de ces initiatives immersives, et, enfin, de partager les résultats de ces études pour mieux saisir  les typologies de publics ayant eu recours à ces expériences et leurs pratiques. Une diversité de lieux et de résultats qui permettent de dégager quelques tendances sur le comportement de visite face à une expérience immersive.

Comment les français perçoivent-ils l’intégration d’outils immersifs dans les musées et lieux de patrimoine ? Bilan du baromètre du GECE 2024

GECE a mené une étude auprès de 1002 français âgés de plus de 18 ans, du 4 au 13 mars 2024, pour recueillir leur avis et des chiffres sur les projets numériques et immersifs. Tout d’abord, cette restitution met en évidence que l’offre numérique satisfait deux tiers des visiteurs, avec une attente plus marquée chez les jeunes (36%). Cependant, comme l’évoque Olivier Allouard, directeur du GECE : « Le numérique a pris le pas mais il y a encore un frein pour qu’on aille vers un tout numérique ». En effet, 53% admettent que le numérique et l’immersion sont intéressants surtout s’ils sont intégrés en complément de visite, ces projets ne devant pas remplacer les œuvres physiques. En revanche, 37% ne sont pas du tout intéressés par ce type d’offre, préférant venir pour des œuvres matérielles ou des objets présents dans un musée ou un lieu de visite.

Ensuite, 9% des français ont déjà réalisé une expérience immersive et numérique. Néanmoins, parmi les individus qui ont déjà eu recours à ces expériences, nous pouvons observer que ce type de public se rapproche déjà d’un public de musée existant : des franciliens (15%), de catégorie CSP+ (16%), qui sont passionnés par ces visites en faisant au moins 8 visites dans les 12 derniers mois (22%).

De plus, la moitié des interrogés seraient prêts à payer pour vivre ce type d’expérience, dont 11% se montrent tout à fait intéressés avec parmi eux 23% de jeunes et 21% de passionnés. A l’inverse, parmi les visiteurs qui ne souhaiteraient pas payer pour voir ces expériences immersives et numériques, 67% des interrogés sont des publics dit « détachés », c’est-à-dire qui n’ont pas fait de visite culturelle au cours de ces trois dernières années.

Enfin, même si les français voient dans ces projets de l’émerveillement lors de l’expérience (21% sont totalement d’accord, 54% plutôt d’accord), le sentiment d’isolement reste partagé par la majorité d’entre eux (28% tout à fait d’accord, 38% plutôt d’accord).

Cette étude permet de poser un cadre plus clair sur la perception de ces nouveaux projets numériques et immersifs vus par les français. Le bilan semble encore mitigé quant à l’instauration complète de ce type d’outil et le souhait de vouloir payer pour y participer. En revanche, en complément de visite, l’immersion semble trouver son équilibre et intéresse majoritairement un public déjà passionné par les musées, ainsi que les jeunes. Néanmoins, l’isolement reste une des contraintes majeures et cela pourra poser quelques limites à ce type d’expériences, d’autant plus que nous verrons avec les retours d’expériences du Hangar Y, du Muséum national d’Histoire naturelle et du Musée National de la Marine que le public majoritaire est familial ou vient visiter un musée ou un lieu en groupe. L’ensemble de l’étude est à retrouver sur le site du GECE.

GECE a également réalisé entre décembre 2023 et décembre 2024 une étude de public en collaboration avec le Hangar Y pour avoir une connaissance plus approfondie des profils sociodémographiques et culturels de ses publics, analyser les avis des visiteurs et ainsi évaluer les activités mises en place par le lieu, dont leur expérience immersive L’épopée du Hangar Y.

L’épopée du Hangar Y

Rouvert depuis 2023, le domaine et l’espace du Hangar Y, situés à Meudon, ont été fermés pendant plus de quarante ans, sans compter les deux dernières années de rénovation. Ainsi, dévoilant de nouveaux espaces tels que le parc, le hangar, un atelier, des espaces de restauration ainsi qu’une aire de jeux, le Hangar Y est devenu un vrai lieu de convivialité où l’expérience est au centre du parcours de visite. Ainsi, l’installation d’une expérience numérique et immersive L’épopée du Hangar Y s’intègre parfaitement dans la vision de ce lieu classé au titre des monuments historiques depuis 2000. Cette expérience s’inscrit dans un lieu très différent du Musée National de la Marine et du Muséum national d’Histoire naturelle : le Hangar Y ne possède pas de collections permanentes. Appuyant sa programmation autour d’événements et d’expositions, l’intégration d’une expérience technologique immersive permet de mettre en valeur une histoire qui ne possède pas de parcours permanent.

Hangar Y, Meudon, Hauts-de-Seine ©M. Delvaux

Autour de la question « qu’apportent les projets numériques et immersifs à l’expérience de visite et au visitorat des musées ? », le Hangar Y s’est associé avec GECE pour réaliser une étude de ses publics de son expérience L’épopée du Hangar Y. En utilisant le principe de la réalité mixte, mélangeant ainsi passé et présent, L’épopée du Hangar Y, créée par Realcast, retrace l’histoire de ce site patrimonial et son heure de gloire : avec les débuts de l’aéronautique au XIXe siècle, l’expérience plonge le visiteur à revivre la conception et le lancement du premier vol de circuit fermé au monde. Dans cette expérience de 30 minutes, le public est invité à interagir avec des objets ou répondre à des quiz pour poursuivre l’histoire. Également, sous le principe de casque, ce dispositif de réalité mixte permet de mettre à profit le réel pour alimenter le passé : un moyen de moins isoler le visiteur qui peut tenir compte de son espace et toujours apercevoir ce qu’il se passe autour de lui pendant son expérience.

Expérience L’épopée du Hangar Y

Cette proposition d’expérience immersive était la première installée au Hangar Y. Dans une optique d’amélioration et de perception du public, une étude globale du parcours de visite ainsi qu’une évaluation du dispositif ont été réalisées conjointement avec GECE pour recueillir l’opinion des participants. Des questionnaires ont été auto-administrés en face-à-face par les agents du Hangar Y ou envoyés par emailing pour les visiteurs ayant acheté leur billet d’entrée sur le site du Hangar Y, puis des QR codes ont été installés dans des points stratégiques du lieu pour les faire scanner au public lors de leur venue. Cette étude a été réalisée sur un échantillon de 1670 visiteurs venus entre décembre 2023 et décembre 2024.

Concernant l’ensemble des espaces de visite du Hangar Y, des tendances de publics et de comportements émergent : premièrement, 59% des publics sont des primo-visiteurs, ce qui peut s’expliquer par son ouverture très récente. La moyenne d’âge est de 51 ans et les visiteurs sont principalement venus en famille (48%) dont 40% viennent avec un ou des enfants de moins de 18 ans, ou en couple (29%). Ces résultats semblent faire apparaître que le public du Hangar Y est très individuel mais vient surtout en groupe, ce qui s’explique également par le souhait du lieu d’être un espace convivial avec des activités variées : promenade, expérience immersive, Iris Galerie… Concernant leur catégorie socio professionnelle, les deux publics majoritaires sont les CSP + (56%) puis les retraités (23%).

GECE a également fourni une étude spécifique à l’expérience L’épopée du Hangar Y. Avec un nombre de 24 000 participants à cette expérience, ce public représente 13% du visitorat depuis mars 2023. Avec un billet d’entrée à 12 euros, on ne compte pas moins de 100 personnes quotidiennes venues participer à l’expérience. De plus, 44% des publics sont extérieurs aux Haut de Seine, tandis que dans l’étude globale, le public était plus local, avec 37% des visiteurs extérieurs aux Haut de Seine. L’expérience attire un public plus loin qui, par conséquent, va faire davantage d’activités une fois sur site (2,9 contre 2,6 activités des publics globaux du hangar Y). Avec une note globale de l’expérience de 8,7/10 et une note de recommandation moyenne de 8,4/10, L’épopée du Hangar Y est perçue comme pertinente car intégrée à un lieu et à son histoire, favorisant également l’utilisation des autres projets et encourageant la durée moyenne de passage des visiteurs, permettant ainsi de faire un ricochet de l’expérience immersive jusqu’au visitorat du lieu-même. Les résultats démontrent alors l’importance de mettre en lumière un patrimoine avec L’épopée du Hangar Y qui offre une expérience plus mémorable et favorise le bouche-à-oreille grâce à une note de recommandation satisfaisante.

A l’inverse, d’autres lieux culturels bénéficient déjà d’un visitorat important, comme le Muséum national d’Histoire naturelle, qui a proposé une expédition immersive Mondes disparus et qui a attiré une majorité de publics qui avaient déjà visité le site.

Mondes disparus au Muséum national d’Histoire naturelle

Cette expédition prend vie au sein de la galerie de géologie et de minéralogie du Jardin des Plantes. Moyen d’accueillir des visiteurs venus dans la Galerie, cette expédition trouve sa place dans un des espaces non exploités, n’abritant pas des collections de la Galerie. En y consacrant un espace d’exposition spécifique, Mondes disparus ne vient pas s’entraver dans des plannings de programmation annexes et lui offre le moyen de rester sur des temps d’exploitation plus importants.

Avec son expédition immersive Mondes disparus, Le Muséum national d’Histoire naturel a décidé d’immerger complètement le visiteur dans des univers disparus grâce aux casques de réalité virtuelle HTC Focus 3, avec le choix d’une expérience de déambulation libre. Co-produite avec l’agence Excurio, cette expédition de 45 minutes retrace l’histoire de la terre sur 3,5 milliards d’années, en passant par l’essor de la vie animale, les grandes forêts du Carbonifère, continuant vers les grands dinosaures du Crétacé ou l’arrivée de vie humaine sur terre. Une expédition riche de découvertes par la reconstitution d’environ 100 espèces de plantes et plus de 120 espèces animales. En plus d’une réalité visuelle impressionnante, Mondes disparus s’empare d’un univers sonore où fiction et réalité se confondent pour plonger dans des environnements sauvages et denses. Avec l’intervention de 35 scientifiques du Muséum national d’Histoire naturel et l’implication d’une équipe spécialisée de 40 personnes chez Excurio, la production de ce projet a pris 18 mois. Un projet permettant d’accueillir 100 visiteurs par heure.

Expédition Mondes Disparus

Suite à cette expédition déployée du 14 octobre 2023 au 16 juin 2024, le Muséum national d’Histoire naturel a réalisé une étude de réception de l’expérience et une évaluation des typologies des publics. Deux sources de recueil d’information ont été utilisées pendant toute la durée de la programmation de l’expérience : le livre d’or GuestViews en fin de visite et l’envoi d’un questionnaire par emailing à J+1 aux clients de la billetterie en ligne. Le Muséum a récolté 4328 avis sur le livre d’or et 2885 réponses (15%) sur les 19 362 envoyés pour le questionnaire.

Mondes disparus a rassemblé 80 000 visiteurs, représentant 4% du visitorat du Jardin des Plantes (2,5 millions de visiteurs par an). Le premier résultat intéressant concerne directement les outils de collecte de données. Sur les livres d’or, 54% des répondants étaient des jeunes de moins de 15 ans : cet outil semble alors précieux pour collecter des avis de publics plus difficiles à atteindre de par leur âge. Avec cette étude, le public le plus évoqué et le plus majoritaire au sein du Muséum reste le public familial, avec un visitorat d’enfant très important : 58% des groupes de visiteurs comprenaient des enfants. L’expédition Mondes disparus a été une découverte du dispositif de réalité virtuelle pour 63% des participants. Le Muséum s’empare alors d’une responsabilité à ce que cela se passe bien pour mieux les fidéliser par la suite. En effet, le public de cette expédition reste tout de même un public déjà connu et présent dans le Muséum, notamment sur les critères du profil (âge, origine géographique, niveau d’étude et CSP) et de la familiarité avec le site (87 % étaient déjà venus au Jardin des Plantes).

De toutes les offres évaluées ces dernières années, Mondes disparus est la plus plébiscitée par les publics du Muséum, ce qui conduit par conséquent à une satisfaction de 9/10, soit au-dessus de 0,4/0,5 points par rapport à leurs expositions plus classiques. Avec un taux de recommandation à 75%, le bouche-à-oreille se place parmi le vecteur de communication le plus efficace (24%). Le Muséum avec cette expédition a permis de faire découvrir à plus de la moitié de son public un nouvel outil d’observation et de visite immersif qui se montre être apprécié et recommandé par les publics. Néanmoins, il est important de préciser que, pour le public, cette expérience s’apparente davantage à une offre de loisir plutôt qu’une offre culturelle, pouvant détourner l’attention du visiteur malgré un propos scientifique rigoureux. Malgré cela, 7 visiteurs sur 10 estiment que l’offre immersive enrichit tout à faire la façon d’aborder ces sujets, rejoignant ainsi la tendance évoquée par le GECE selon laquelle l’immersion doit être un complément à la visite et aux œuvres.

Un parcours immersif sonore avec La Boussoleau Musée national de la Marine

Le Musée national de la Marine a fermé en 2017 pour rénovation. A sa réouverture le 17 novembre 2023, il y avait un souhait de donner du contenu supplémentaire à ses publics et ainsi libérer leurs regards de leurs smartphones. Un nouveau dispositif sonore veut s’intégrer dans un parcours permanent et ainsi rester à long terme dans les offres du musée. Pour attester de l’efficacité de leur parcours de visite jeune public, le Musée National de la Marine s’est associé à la doctorante Mélissa Matthieu pour réaliser une étude sur le développement des publics.

Le Musée National de la Marine, souhaitant attirer des publics plus spécifiques en comparaison avec les expériences ci-dessus, développe un nouveau parcours de visite sonore créé par Unendliche Studio avec l’application La Boussole, dans lequel les visiteurs, à partir de 7 ans, sont invités à suivre une visite vidéoguidée. Application gratuite, accessible depuis un smartphone et sans téléchargement, cette démarche prend forme dans l’idée pour le Musée National de la Marine d’accompagner l’enfant dans son observation et sa compréhension de l’œuvre, mais également de lui permettre de vivre une immersion sonore. Dans cette restitution, le Musée National de la Marine se concentre sur le parcours jeune public développé par Unendliche Studio, où le jeune visiteur va suivre et écouter une sirène pour dévoiler à l’enfant les secrets qui se cachent derrière plusieurs œuvres.

Parcours sonore La Boussole @Musée national de la Marine

L’enjeu de cette étude était de savoir si pour un parcours jeune public, avec composition musicale et création sonore, comment celui-ci permet-il d’augmenter la réception et l’attention du visiteur ? Mélissa Matthieu a alors réalisé un protocole croisant plusieurs méthodes : un entretien et un questionnaire sur l’immersion afin de corréler données qualitatives et quantitatives pour avoir un regard holistique de l’expérience de visite telle qu’elle est vécue et les apports cognitifs et émotionnels de ce parcours de visite sonore qu’ils impliquent. Les enfants ont été équipés d’un casque audio et de lunettes oculométriques, qui enregistrent le champ visuel, pour observer l’expérience de visite par le biais du regard de l’enfant.  44 enfants âgés entre 7 et 12 ans ont été observés au Musée National de la Marine. Tout d’abord, lors d’un protocole d’1h45 minutes où les enfants ont fait une visite en autonomie puis réalisé un entretien avec un ou une chercheur.se du CNRS. Ensuite ils ont été revus deux semaines plus tard par visioconférence (30 minutes) afin d’observer ce qui a pu être retenu par l’enfant de la visite. La seule limite dans la méthodologie se trouve dans le recrutement réalisé avec les outils du musée, qui n’est pas forcément représentatif de la société française.

Entre le 17 novembre 2023 et le 17 novembre 2024, le Musée national de la Marine a accueilli plus de 400 000 visiteurs. Un succès après six ans de fermeture, mais qui conquit surtout un public très familial avec près d’un tiers de moins de 18 ans et leurs accompagnateurs[1].

Du côté de l’expérience menée par Mélissa Matthieu, un focus a été fait sur deux caractéristiques : l’expérience globale en lien avec le parcours physique et l’expérience rattachée à l’appropriation des contenus par l’enfant. Tout d’abord, les enfants sont plus enthousiastes face à l’expérience quand il y a des contenus rattachés à de la fiction, comme la sirène par exemple, mais il décroche à partir du moment où il est laissé en autonomie, malgré le fait qu’il n’ait pas de difficultés à s’approprier l’outil (casque et tablette).  Quand il s’agit de contenu fictionnel, les enfants interrogés arrivent à verbaliser davantage leur ressenti émotionnel, en décrivant beaucoup les ambiances. En revanche, dans le parcours description, même s’ils ont plaisir à reconnaître certains sons, la dimension sonore reste absente dans la restitution, comparé au contenu informatif. Ces résultats ont également été très pertinents pour comprendre les limites rattachées à l’âge et au parcours de visite. Le musée a remarqué que l’âge recommandé est peut-être trop petit, et que les œuvres ont été parfois accrochées trop hautes pour les enfants. Ces recommandations permettent alors de recadrer certains arbitrages et faire en sorte que les œuvres arrivent à correctement attirer le regard et à revoir la stratégie de communication en adaptant le discours à un public plus âgé, pour également renforcer les émotions qui ont été le plus ressenties lors de cette expérience, les anecdotes, les tons de voix…

En conclusion, ces trois restitutions d’études, au travers de dispositifs et de lieux différents, permettent de mieux comprendre quels sont les types de publics présents sur les lieux, leurs comportements face à ces outils numériques et immersifs ainsi que leurs avis sur la pertinence de l’expérience, leur satisfaction et leur motif de venue. Cependant, ces études restent encore peu nombreuses et un approfondissement de ces types de publics et de leur fidélisation potentielle pourra se confirmer avec d’autres études mais également avec de nouvelles expériences immersives.


[1] https://www.musee-marine.fr/fileadmin/user_upload/Reseau/professionnel/presse/2024/2024-11_MNM_PARIS_CP_1_an_reouverture.pdf