L’incubateur du patrimoine vient de désigner ce mois-ci sa 4e promotion. Ce sont donc 5 start-ups (dont 3 tunisiennes) qui rejoignent cet incubateur pendant 1 an afin d’expérimenter des projets dans les différents monuments du Centre des monuments nationaux : Aller Simple, Capsulo, DesignLab, Educ’art et Morbiket. La mise en œuvre d’un tel programme dédié à l’innovation, nous l’avons déjà évoqué par ailleurs, semblerait favoriser l’expérimentation et la mise en œuvre de collaborations entre partenaires publics et privés inhérentes au développement de projets numériques. Or, de nombreuses start-ups qui souhaitent cibler le secteur public et, plus spécifiquement muséal, se confrontent encore à un ensemble d’obstacles qui les obligent à adapter leurs offres et approches face à ces différentes contraintes. En complément d’un premier article rédigé en 2019 sur les collaborations public / privé, nous avons donc récemment échangé avec quelques entreprises innovantes et institutions culturelles * ayant une certaine antériorité dans le domaine culturel pour avoir un recul réflexif sur ces obstacles (nous en profitons d’ailleurs pour les remercier chaleureusement de leur disponibilité). Les enjeux auxquels se confrontent ces différentes entreprises sont autant de pistes de réflexions pour améliorer les relations et collaborations entre institutions culturelles et partenaires privés souvent essentielles aux logiques d’innovation numérique, voire, peuvent faire bouger les lignes en termes de politiques culturelles.
1 – Se chercher sans se trouver ou de la nécessité de faire un pas l’un vers l’autre.
Les entreprises sont souvent à l’origine d’une telle rencontre. Pour susciter l’intérêt et l’envie de se découvrir, l’entremise est en règle générale provoquée par le partenaire privé à son initiative et, de façon proactive.
Or, la lisibilité organisationnelle des institutions culturelles est parfois complexe à aborder pour identifier le(s) bons interlocuteur(s). Cette organisation est souvent définie selon la taille et la fréquentation de l’établissement. Elle est aussi le fruit d’une histoire, de spécificités liées tant aux collections, qu’aux territoires d’implantation, d’interrelations et de bonne entente entre les services ou de la place reconnue (ou non) au numérique dans l’institution. Dans l’objectif de présenter une offre numérique dédiée aux publics d’un établissement, il sera, par exemple, nécessaire de s’adresser au service Communication. Or, dans 55,7% des cas, les musées n’ont pas de professionnel.l.e.s dédié.e.s à temps plein au site Web et réseaux sociaux. La faible reconnaissance des métiers et compétences liées au numérique (en renégociation pour beaucoup de musées suite à l’année passée), rendent l’identification du bon contact de l’ordre de la gageure. Selon la taille de l’établissement, il peut aussi être à chercher du côté de la direction, du service aux publics ou dans un service dédié au numérique (plus rare). Quoiqu’il en soit, le pouvoir de décision et la délégation budgétaire accordée à chacun de ces interlocuteurs est souvent relativement faible. La nécessité d’inclure dans les échanges les directions d’établissement est souvent essentielle.
Au-delà de l’organisation interne des musées, leurs modèles de gouvernance sont aussi à prendre en compte dans les logiques de démarchage des entreprises. Ces modèles de gouvernance peuvent aller jusqu’à influer la politique tarifaire des offres qu’elles peuvent être susceptibles de proposer. En France 82% des musées de France sont gérés par des collectivités locales, 5% par l’Etat et 13 % par des associations ou des fondations (Source : Ministère de la culture ). Majoritaires en France, les musées sous tutelle publique sont gérés selon un degré d’autonomie très varié. Certains, sont en régie, avec des degrés d’assujettissements à la collectivité différenciée selon qu’ils sont en régie directe, autonome ou personnalisée. D’autres, sont devenus des établissements publics avec une certaine indépendance budgétaire et de décision (celle-ci varie selon la forme juridique de l’établissement : administratif, industriel et commercial, coopération culturelle…). Cette diversité induit, par conséquent, une variété d’approches pour les entreprises selon le type de musée. En dessous de 4 000 €, une mise en concurrence n’est pas forcément nécessaire et ce quelque soit le type de musée. Au-delà de cette somme, la prise de décision sera potentiellement plus longe et la charge administrative plus lourde. Certes, le seuil plancher des marchés publics a été rehaussé depuis quelques années à 40 000 € et, cela facilite grandement la prise de décision sur un contrat en dessous de ce montant, pour autant, les musées en régie ont
une autonomie budgétaire plus faible. A partir de 15 000 €, une validation du service comptable de la collectivité est nécessaire avec recours en priorité aux marchés cadres de la collectivité ou lancement d’une procédure de consultation.
Face à ces différentes contraintes réglementaires, beaucoup d’entreprises ont aligné leurs offres sur ces montants pour réduire les temps de contractualisation et les charges administratives afférentes aux marchés publics. Cependant, le manque d’autonomie des services, voire, de la direction de l’établissement elle-même, rigidifie les relations et les prises de décisions dans des temporalités parfois difficiles à assumer pour de jeunes entreprises. Les entreprises plus matures, quant à elle, s’engagent plus souvent dans des stratégies œuvrant au développement de leur notoriété.
2 – Susciter la rencontre, l’apanage d’entreprises plus matures et expertes.
Selon le degré d’innovation portée par les entreprises, il sera nécessaire de faire de pédagogie pour être clairement identifiées et, consécration ultime, être mentionnée dans les marchés publics. A titre d’exemple, les concepts de chatbot ou de gestion de la relation client font l’objet de consultations publiques depuis peu. Face à ce manque de reconnaissance, d’autant plus manifeste que l’innovation est forte, il est du ressort de l’entreprise que de susciter l’intérêt des musées par un ensemble de stimuli mettant en avant la pertinence de leurs offres. Alors même que de jeunes entreprises nécessitent de communiquer de façon pédagogique, de tels investissements en communication ne sont, paradoxalement, soutenables que pour des entreprises plus matures.
Cet engagement en communication se manifeste, en premier lieu, par la participation à des salons professionnels dédiés au tourisme ou à la culture tels que le ou rofessionnels à l’instar du organisation d’évènements professionnelles, formations, publication d’études sectorielles, de ressources dédiées etc. Ask Mona ( le Salon international du patrimoine culturel. Il peut aussi consister à s’engager dans des réseaux p Club innovation et culture ou du voir les ressources proposées pour les professionnels), Artips ( s’inscrire à sa newsletter professionnelle ) ou Arenametrix () interviewées pour cet article, sont des bons exemples en la matière. Club culture et management . Candidater à des appels à projets locaux, nationaux, voire internationaux pourrait aussi être une troisième voie. A cette volonté d’intégration dans des réseaux, de nombreuses start-ups développent de plus en plus une communication particulièrement riche : envoi d’infolettres régulières, animation de blogs,
Ce partage contribue à la notoriété de ces différentes start-ups. Il nourrit aussi la réflexion du secteur professionnel muséal grâce à la diffusion de bonnes pratiques, de retours d’expériences ou des analyses sectorielles. D’ailleurs, avec {CORRESPONDANCES DIGITALES], nous appuyons régulièrement ce type de démarche à notre sens plus vertueuse pour le secteur culturel que des démarches plus commerciales souvent peu adaptées et potentiellement jugées négativement par les musées publics.
Si la mise en avant de projets et de solutions innovantes peut relever d’acteurs privés, elle est aussi (et, il faut le souligner) par les pouvoirs publics pour sensibiliser les professionnel.l.e.s du secteur muséal à ces évolutions.
3 – De la nécessité de fluidifier de telles rencontres : l’engagement des pouvoirs publics en ce domaine
Les pouvoirs publics, souvent à l’échelle locale, déploient des politiques incitatives favorisant la rencontre entre entreprises innovantes et musées. Pour ce faire, différents leviers sont à leur disposition : valorisation des expérimentations et projets mis en œuvre sur leurs territoires, organisation d’événements ou de formations, lancement d’appels à projets, voire, investissement dans des programmes pour soutenir la création de filières professionnelles dédiées.
En règle générale, de telles actions sont souvent portées en local par les DRAC, les acteurs du tourisme ou directement par les services de développement culturel, territorial, économique ou touristique des collectivités locales. A titre d’exemple, les actions développées par pour fédérer les acteurs touristiques et culturels sont assez emblématiques en la matière : création d’actions de communication sur le territoire, lancement d’un prix dédié à l’innovation touristique (pour favoriser les liens entre start-ups et acteurs institutionnels), organisation d’événements et de formation pour les acteurs culturels du territoire. Pour plus d’informations, voir l’intervention du directeur de l’agence dans le Webinaire que nous avions organisé au printemps.
L’agence de développement touristique Finistère 360° organise et anime, quant à elle, un club Tourisme, Culture et Patrimoines. Ce club permet d’accéder à une veille de qualité sur l’innovation, facilite le partage d’expériences entre acteurs culturels et touristiques, les inspire et les accompagnent dans leurs démarches d’innovations. Nous avons eu l’occasion d’intervenir récemment, au côté de Diane Drubay (We are Museum) dans le cadre d’un Webinaire que l’agence avait organisé.
Cet engagement dans l’innovation et dans la création de liens entre start-ups et lieux patrimoniaux se matérialise aussi par des appels à projets. C’est le cas de l’appel à projets porté par la Région Nouvelle-Aquitaine. La région nouvelle Aquitaine, par le biais de son service numérique culturel, est particulièrement active dans le domaine de l’innovation patrimoniale. Preuve en est avec l’ebook que nous avons eu le plaisir de créer ensemble pour valoriser les projets inspirants développés dans la région.
Enfin la volonté de rapprocher start-ups et sites patrimoniaux se manifeste sur les territoires par la création d’incubateurs ou d’espaces d’innovation (dédiés souvent au tourisme) à Nice, Nîmes, Tours, Angers… Certaines collectivités souhaitent d’ailleurs s’engager dans la structuration et le soutien de filières professionnelles dédiées à l’innovation patrimoniale. C’est le cas du conseil départemental de la Haute-Loire qui accueille de puis 2 ans un forum réunissant entreprises innovantes et collectivités dédié à la numérisation des patrimoines des territoires : (prochaine édition en octobre).
Créer la rencontre entre entreprises innovantes et institutions culturelles est parfois complexe. Ces collaborations se heurtent à des barrières réglementaires mais surtout organisationnelles, économiques et, parfois, psychologiques. Face à ces barrières, les temps de décision sont plus longs, parfois, inadaptés à une relation public / privé. Des acteurs privés et publics contribuent localement et régulièrement à ces rapprochements. Les formats qu’ils proposent sont autant de sources d’inspiration pour les pouvoirs publics et les établissements muséaux qui auraient pour ambition et vocation à mener une politique plus volontariste et incitative en la matière.
Antoine ROLAND
*Un grand merci pour leur disponibilité et leur ouverture à Ludovic Bordes (Arenametrix), à Marion Carré (Ask Mona), à Amélie de Ronseray (Artips) et à Muriel Jaby (musée d’art contemporain de Lyon) qui ont inspiré cet article.