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7 avril 2025

3 questions à : Anne Bernardo, responsable de la programmation culturelle et de la communication du musée des Beaux-arts de Caen

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Comment les institutions culturelles s’engagent-elles dans une politique d’innovation numérique ? Dans ce cycle d’entretiens, nous commençons avec Anne Bernardo, responsable de la programmation culturelle et de la communication du musée des Beaux-arts de Caen, pour aborder les nouvelles formes de médiation du musée au travers du projet Art, Bien-être et Cerveau.

Pouvez-vous vous présenter ainsi que le projet « Art, Bien-être et Cerveau » ?

Anne Bernardo (A.B.) – Je suis Anne Bernardo, en charge de la communication et de la programmation culturelle au musée des Beaux-Arts de Caen. Je pilote et coordonne le projet « Art, Bien-être, Cerveau », acronyme de ABC. 

Le projet « Art, Bien-être, Cerveau » est né de rencontres suscitées par la ville de Caen qui préparait son millénaire en 2025, lancé le 20 mars. Ce projet nous a fait nous rencontrer autour d’ateliers dit d’intelligence collective, dans l’idée de faire dialoguer l’art, la culture et la science. Au sein de ces réunions, nous nous sommes rencontrés, nous avons écouté ce que développaient les uns et les autres, quels étaient leurs objectifs, stratégies, modes de fonctionnement. Nous nous sommes rapprochés rapidement de l’institut Blood and Brain à propos de cette question du bien-être cérébral.

Le bien-être est une notion apparue dans les musées il y a presque plus de 20 ans. Le Canada en est à l’initiative. Le Canada, comme l’Europe après, ont réalisé différentes expériences qui avaient pour objet de montrer avec des publics dont les capacités cognitives étaient affectées pour des raisons de maladie d’Alzheimer, autisme et autre, que la rencontre avec une œuvre d’art, avait un effet positif sur les patients s’en trouvés mieux, avec des capacités de mémoire ou d’attention renforcées. 

L’OMS s’appuie d’ailleurs sur l’ensemble de ces données mondiales pour conclure au rapport positif entre Art et Santé. Nous avons pris connaissance, avec intérêt, de ces études préalables. Il nous manquait une étude scientifique d’envergure qui ferait la démonstration de cette relation.  La singularité de l’étude « ABC » que nous menons est qu’elle porte uniquement sur des sujets « sains », sur un échantillon de 200 personnes, in situ. 

Les participants à l’expérience sciences-art au Musée des Beaux-Arts de Caen devront porter un casque sur la tête qui étudiera leur cerveau lorsqu’ils regarderont les œuvres. © Sophie Maignié

(C.D.) C’est pour cela que vous avez choisi des participants en bonne santé plutôt que des publics dont leurs capacités cognitives étaient affectées ?

(A.B.) – L’idée est de poursuivre ce qu’a entrepris le Canada, qui est le premier pays à avoir lancé l’idée de la culture sur ordonnance. De la même façon que le sport, dans la culture collective, fait aussi du bien à notre cerveau, la culture est nécessaire à notre bien-être. A tous et toutes ! En bonne ou en mauvaise santé cérébrale.

Qu’est-ce que le bien-être cérébral ?  Nous mesurons ici les fonctions cognitives, c’est-à-dire la stimulation de notre mémoire et de notre capacité d’attention. Il ne s’agit pas de nos émotions : heureux, en colère, triste…

Quelles étaient les modalités de mise en œuvre de ce projet avant d’arriver à trouver les participants ? Comment l’étude s’est mise en place ?

(A.B.) – C’est beaucoup de rendez-vous avec l’ensemble des partenaires : l’institut Blood and Brain, les laboratoires PhIND, LaPsydé, NIMH, le GREYC, CYCERON, l’Université de Caen Normandie et le Centre Hospitalier Universitaire de Caen Normandie. Nous sommes une vingtaine de personnes à interagir. 

Le point de départ était de se mettre d’accord sur l’objet, puis de voir quels étaient les directeurs de laboratoires intéressés. Très vite ont été sélectionnées les 4 doctorantes qui allaient mener l’étude. 

Afin de mener cette étude in situ, devant les œuvres originales, dans le lieu du musée, il fallait une technologie nouvelle capable de lire le cerveau du participant alors qu’il se déplace dans le musée. Nous avons bénéficié d’une innovation très récente en France, ce sont les Canadiens qui en sont à l’initiative. Il s’agit de bandeaux NIRS qui permettent de lire le cerveau frontal, presque comme le ferait une IRM, mais de façon un peu moins profonde. 

Les scientifiques ont élaboré un protocole, garant du sérieux, de la rigueur de l’étude et de la sécurité et de l’anonymat des participant.es. Le protocole a mis 4/5 mois à se confectionner. 

Une fois le protocole validé, il y a eu l’appel à candidatures, le recrutement et le passage de deux phases : 

  • De septembre à décembre 2024 : c’est une phase avec un individu seul. Nous lui présentons différents tableaux d’abord sans commentaire puis avec une médiation. Nous voulons mesurer en quoi le fait de rajouter un savoir apporte, ou non, du bien-être.
  • De janvier à mai 2025 : c’est la phase avec des binômes. L’idée est de mesurer l’interaction sociale : est-ce qu’être ensemble au musée, devant un tableau apporte du bien-être ? qu’est-ce que cela apporte d’être deux devant le tableau ? Pour mesurer à la fois l’interaction sociale et la synchronisation des réactions du cerveau. 
Une participante lors de la phase 1 de l’étude.

Quels ont été les enjeux soulevés lors de la collaboration entre les scientifiques et le musée ?

(A.B.) – Décloisonner les savoirs, mieux se comprendre en s’observant, enrichir nos pratiques, ouvrir de nouveaux champs d’investigation… 

Cette réflexion sur le bien-être, le musée l’a ouverte depuis une dizaine d’années. Au sortir du Covid, les premiers visiteurs qui ont ressurgi à la réouverture du musée étaient les étudiant.es. Véritable bol d’air pour beaucoup d’entre eux. Nous avons alors mis en place, en partenariat avec l’Université, des séances de yoga gratuites. Elles ont tout de suite remporté un grand succès, nous continuons de les proposer comme des séances de méditation, de philosophie,…

Cependant, sans le « Millénaire Caen 2025 », nous n’aurions pas pu financer une étude comme celle-ci. 

Millénaire Caen 2025.

Y a-t-il d’autres outils de médiation en dehors de l’étude qui seraient amenés à exister au MBA de Caen pour développer cette politique d’innovation en allant plus loin que le bien-être et son étude ?

Nous avons les outils classiques que vous retrouvez dans d’autres musées : visite virtuelle, tablettes numériques, site web et podcasts pour préparer la visite, … 

Cependant, nous ne développons pas trop les outils numériques avec des écrans. Nous avons cette réflexion avec d’autres musées sur la lassitude des visiteurs face aux écrans quand ils se trouvent dans le musée. Ils ont besoin de partager en famille un tableau, un sentiment, de dialoguer, de jouer… Le musée des Beaux-Arts porte une attention très particulière sur la façon dont la médiation est faite ; elle est collaborative ou participative. Jamais passive et descendante. Il en va du bien-être, là encore, des visiteurs.

Notre Projet Scientifique et Culturel porte le titre suivant : Le musée lictionnel ou le visiteur interprète. L’un des engagements de notre musée lictionnel passe par l’accueil de la diversité des récits et des expériences. Le musée lictionnel prend soin de favoriser la création de relations multiples entre l’œuvre et le visiteur, en laissant chacun libre de mobiliser ses propres savoirs, son imaginaire, ses souvenirs et émotions. Ainsi nous travaillons à des propositions multiples et ouvertes. Nous programmons des temps où l’on donne la parole à des personnalités extérieures (écrivain.es, comédien.nes, danseur.ses, ethnologues, philosophes, …) avec des formats construits sur la pensée et la parole de l’autre. 

Il y a tout un ensemble d’innovations, qui ne sont pas numériques, qui nous intéressent beaucoup.

Où sera disponible l’étude ? Une restitution est-elle prévue ?

Il y aura des restitutions scientifiques. Le musée va proposer une synthèse de l’étude à destination des structures culturelles. Il y aura également des conférences de presse, des présentations dans différents colloques et séminaires culturels… Obliques a pour mission de diffuser l’étude dans les milieux de l’innovation numérique internationale.

Enfin, nous allons poursuivre les questionnements que soulèvera l’étude avec des journées dédiées, comme la journée de l’accessibilité du MBA. Dans ce cadre, nous avons prévu en 2026 de faire une première restitution des résultats de l’étude. 

Les premiers résultats de l’étude seront peut-être publiés fin 2025/début 2026. Le Millénaire a prévu une journée de clôture les 10 et 11 octobre 2025 à Caen. 


Un grand merci à Anne Bernardo pour sa disponibilité !