Comment les institutions culturelles s’engagent-elles dans une politique d’innovation numérique ? Dans ce cycle d’entretiens, nous continuons avec Anne Le Cabec, responsable de projet numérique au musée Fabre de Montpellier pour aborder la stratégie d’innovation du musée et découvrir la nouvelle expérience de réalité virtuelle produite avec Lucid Realities, Outrenoir.
Pouvez-vous vous présenter ainsi ainsi que les grandes lignes du projet d’innovation numérique du musée Fabre ?
Anne Le Cabec (A.L.C.) – Je suis chargée des projets de médiation numérique au musée Fabre. Je fais le lien entre les équipes des services du musées, les projets et des prestataires comme les entreprises, mécènes et étudiants, pour le déploiement de dispositifs de médiation destinés à valoriser nos collections et nos expositions. Cela peut aller de la table tactile à l’expérience en VR, en passant par des films réalisés dans le cadre de nos grandes expositions, le site internet, des expériences en réalité augmentée… Nous utilisons les nouvelles technologies au service de nos collections permanentes et de nos expositions.
Jusqu’à présent, nous avons principalement développé des dispositifs dans le cadre de nos grandes expositions. Depuis quelques années, le musée se concentre sur les collections permanentes. En effet, le musée Fabre a un parcours de collections dense, avec près de 900 œuvres. Nous nous sommes d’abord préoccupés du hors-les-murs, en travaillant sur le déploiement d’une application mobile diffusée dans la ville de Montpellier de façon saisonnière : Fabre and the city. Cette application évoque de manière indirecte le musée et le met en lien avec d’autres établissements montpelliérains. Elle est composée de deux saisons, la dernière concerne le musée et l’université de médecine de Montpellier.
Depuis un an, le musée met en place un nouveau dispositif pour ses collections. Bien que pour le moment nous ayons des audioguides classiques mais vieillissants, nous réfléchissons à développer dans le cadre de notre parcours un audioguide nouvelle génération. Cet audioguide permettrait d’équiper les publics du musée de casques favorisant une expérience de visite plus immersive et fluide (avec déclenchement automatique de contenus).
En termes de politique d’innovation, nous souhaitons faciliter la rencontre des publics avec nos œuvres le plus naturellement possible, tout en déployant des appuis numériques de plus en plus discrets et permanents.

Tous les dispositifs ont été déployés auparavant dans des expositions temporaires ou hors-les-murs, le musée souhaite donc les pérenniser dans son parcours permanent ?
(A.L.C.) – Nous avons déployé beaucoup de dispositifs à l’occasion de nos expositions, via des lancements de marché ou via des partenariats avec du mécénat de compétences ou des universités… Jusqu’à présent, dans nos expositions, nous avions des projections mapping, des tables tactiles avec des expériences interactives, une expérience en VR ou des accompagnement sonores (classiques ou podcasts). Nos expositions sont un terrain d’expérimentation pour notre politique de médiation numérique. Au départ, nos expérimentations menées dans le cadre des expositions concernaient aussi bien les œuvres issues de nos collections que celles prêtées par d’autres institutions, comme dans le cas de l’exposition consacrée à Picasso.
Aujourd’hui, nous changeons de trajectoire. Nous continuons de développer beaucoup de numérique pour nos expositions mais toujours avec cette projection : est-ce que ces dispositifs pourront être réutilisés dans nos collections permanentes ? Nous souhaitons que ces dispositifs aient une durée de vie plus pérenne que la simple durée de vie de l’exposition, voire, de les déployer dans nos collections permanentes en réutilisant ce qui a déjà été fait dans des expériences fixes in situ.
Pour ce déploiement numérique dans nos collections, nous avons trois étapes :
- 1ère étape : une introduction à la visite, avec deux dispositifs terminés :
- Un film qui raconte l’histoire du musée (créé il y a 1,5 an) et visible dans un salon de projection à l’entrée de nos collections, sur 2 écrans, qui raconte l’histoire du musée et de nos collectionneurs.
- Une application sur tableau tactile qui permet un repérage dans le musée, pour préparer sa visite, s’orienter dans le musée et mieux comprendre l’architecture du musée au regard du parcours de visite labyrinthique que nous proposons. Ce dispositif est proposé dans le hall d’accueil et dans le parcours. Après observations et évaluations, nous nous sommes rendus compte que le visiteur venait au musée sans savoir ce qu’il allait voir, mis à part les collections Courbet et Soulages. Nous avons donc décidé de relier ce dispositif à notre base de données des collections en temps réel. Le visiteur bénéficie d’un aperçu de l’ensemble des œuvres présentées dans toutes les salles du musée, lui permettant de sélectionner celles qu’il souhaite découvrir au fil de sa visite. Il peut aussi, s’il le souhaite, créer son propre parcours qu’il pourra suivre depuis son téléphone (proposition en ligne et sur le site Web du musée).
- 2ème étape : trois parcours audios seront lancés en automne 2025 :
- Un parcours découverte : le visiteur va pouvoir traverser les grandes sections du musée, découvrir les chefs-d’œuvre par le biais d’informations et d’un fil narratif fictionnel ;
- Un parcours adolescent/jeune public : travailler avec un invité, probablement un influenceur ou un youtubeur/twitcher.
- Un parcours “signature” : travailler avec un invité autour de rencontres interdisciplinaires. Nous aimerions travailler avec un musicien ou un écrivain qui partagerait son regard sur le musée Fabre. Nous envisageons de lancer une collection de ce parcours, chaque année.
Ces parcours dureront chacun environ 1h30 (déplacements compris) et seront lancés en octobre prochain. Ces dispositifs fonctionnent via des capteurs infra rouges, comme à l’hôtel de la marine ou dans d’autres établissements patrimoniaux (par exemple, la grotte Chauvet). Dans les musées de Beaux-Arts, ce type de dispositif n’a pas été installé à grande échelle sur toutes les collections. Nous y allons très prudemment : avec une phase de prototype (sur une petite partie de nos collections avec des tests) puis un déploiement sur l’ensemble des collections.
- 3ème étape : utiliser tout ce qui a déjà été fait et le compléter pour jalonner nos collections de dispositifs interactifs fixes. Nous avons plusieurs expériences interactives liées à plusieurs de nos œuvres qui vont être réhabilitées et les compléterons pour qu’ils couvrent l’ensemble de nos collections. L’idée n’est pas d’être prolifique car nous avons des espaces contraints mais que nos expériences puissent illustrer les points forts de nos collections. Cette troisième étape aura lieu l’année prochaine.

Vous travaillez actuellement avec Lucid Realities sur une nouvelle expérience, Outrenoir, réalisée par Gordon et produite par Lucid Realities. Pouvez-vous m’en dire davantage ? Son origine, ses étapes de création, ses modalités de mise en œuvre ?
(A.L.C.) – La rencontre avec Lucid Realities s’est faite lors d’un salon. L’idée a émergé de développer un projet autour de Pierre Soulages (une grande rétrospective va être inaugurée cette année, le 27 juin). Cette piste les a emballés !
Ensuite, nous avons étudié comment concrétiser le projet. Lucid avait déjà une belle expérience avec le musée d’Orsay et d’autres musées parisiens. Le musée Fabre s’est donc appuyé sur cette expérience pour coproduire cette œuvre. Nous avons été séduits par la singularité de leur réalisateur, Gordon, déjà très familier de l’univers de Soulages et de son esthétique. Il nous a vite proposé un scénario qui nous a tout de suite plu. Cette expérience va durer une dizaine de minutes, elle sera fixe mais interactive à certains moments, à l’instar de l’expérience produite pour l’exposition Van Gogh au musée d’Orsay. Elle sera présentée aux publics dans une salle dédiée du musée et sera diffusé hors les murs dans des lieux partenaires tels que des médiathèques, hôpitaux, écoles, et autres espaces culturels
En amont de l’exposition, l’expérience en réalité virtuelle sera présentée lors des “conférences ambassadeurs” animées par nos médiateurs dans divers lieux de la Métropole de Montpellier, afin de sensibiliser les publics et de promouvoir l’événement.
Au musée, l’expérience sera payante, elle fera l’objet d’une billetterie et d’une réservation spécifique. Suite à l’exposition, elle sera proposée gratuitement hors-les-murs dans le cadre d’événements bien identifiés.

L’exposition Pierre Soulages, la rencontre se tiendra du 28 juin 2025 au 4 janvier 2026. L’expérience en VR Outrenoir présentera le parcours de l’artiste, sa trajectoire de création artistique ainsi que ses aspirations.
Un grand merci à Anne Le Cabec pour sa disponibilité !
Charlotte BAUGE