Accélérateur
de projets

30 janvier 2024

3 questions à : Françoise Poos, artistic and scientific director d’Elektron

Table des matières

1. Baudouin Duchange (B.D.) – Bonjour Françoise, peux-tu te présenter et revenir sur ton parcours professionnel ?

Françoise Poos (F.P.). J’ai un parcours atypique pour quelqu’un de ma génération, ayant travaillé surtout sur des projets culturels et de recherche de moyenne durée. J’ai initialement une formation littéraire que j’ai complétée plus tard par un PhD en culture visuelle, basée sur un attrait très fort pour le cinéma et la photographie. Ce qui m’intéresse plus particulièrement, ce sont les liens transversaux, comprendre comment fonctionnent les médias, quel rôle ils jouent dans notre vie quotidienne. Des ponts entre différentes formes d’expressions artistiques sont rendus possible par les médias. 

J’ai donc initié mon parcours professionnel en étant journaliste pour la radio, avec un intérêt fort pour la culture. J’ai ensuite dirigé le Média Desk Luxembourg, qui m’a permis d’appréhender le secteur de l’audiovisuel. Par la suite, une opportunité aux Etats-Unis m’a ouvert la voie à l’organisation d’expositions photographiques. Ces réflexions croisées entre médias, photographies et identités ont guidé la suite de ma carrière professionnelle jusqu’à mon arrivée à Esch-sur-Alzette. J’y suis arrivée en tant que directrice de la programmation culturelle d’Esch2022, suite à la candidature et nomination de la ville comme Capitale européenne de la culture. Nous avions cet axe important autour de l’art numérique, un secteur que je ne connaissais pas encore très bien, mais qui se trouve exactement dans le prolongement de ce que j’avais fait auparavant. Et j’ai ainsi pu approfondir le rôle des médias immersifs et du numérique de manière plus générale dans la société ainsi que l’alliage entre arts, technologies et sciences.

Extrait du site internet d’Esch2022

2. B.D. Pourquoi avoir créé le projet Elektron et comment le définirais-tu ?

F.P. Avec les grandes expositions d’Esch2022, nous nous sommes rendus compte de l’écart entre le Luxembourg et les projets développés à l’international. Certains lieux ont initié des réflexions autour de l’art numérique il y a plus de 40 ans, comme le ZKM, Centre d’art et des médias Karlsruhe , ou encore Ars Electronica à Linz). Au Luxembourg, il y a le festival Multiplica des Rotondes, qui travaille beaucoup pour la reconnaissance des arts numériques, mais qui n’a lieu que tous les deux ans. On peut aussi nommer les initiatives du Film Fund Luxembourg en faveur des productions XR. Cependant celles-ci  sont liées à l’audiovisuel plutôt qu’à un contexte artistique et culturel. Or, ce dernier est essentiel pour stimuler les prises de conscience, former des citoyens et citoyennes averti.e.s, développer des esprits critiques par rapport aux technologies…Ce qui nous intéresse, c’est la discussion autour de l’impact des technologies contemporaines sur la vie quotidienne ou bien sur l’environnement, pour initier un débat avec les publics qui, souvent, je pense, capitulent devant l’envergure des sujets et des problématiques.

Retour en vidéo sur l’édition 2023 du festival Multiplica organisé par les Rotondes (Luxembourg)

Ce constat, associé à celui de la fin du programme d’Esch2022, nous a motivé à proposer à la municipalité un nouveau programme : Elektron. C’est un parcours artistique inédit fusionnant les arts et le numérique à Esch-sur-Alzette. Porté financièrement par la ville à travers l’ASBL  frEsch (qui gère aussi d’autres événements culturels comme les Francofolies, les Nuits de la Culture et la Biennale Esch Capitale Culturelle ), nous sommes deux personnes à travailler dans ce programme. 

Comme nous opérons dans l’espace public, nous n’avons pas de lieux propre. Nous sommes des squatteurs, des nomades, des agitateurs de territoires ! Ainsi, nous intégrons nos projets dans des institutions culturelles  déjà existantes. Par exemple, nous allons installer un projet à Konschthal Esch, un centre d’art contemporain. Porté par ScanLAB Projects, Framerate: Pulse of the Earth est une installation immersive construite à partir de scans 3D d’environnements naturels. L’installation diffuse des enregistrements en time lapse pour montrer l’impact des activités humaines sur l’environnement. Le message artistique et scientifique est très facile d’accès, il a même été montré à la COP23

Quelques images du projet Framerate: Pulse of the Earth de ScanLAB Project

Ce projet est emblématique d’Elektron. Il illustre notre volonté de proposer des projets ouverts et accessibles tout en faisant des propositions à la pointe des arts et de la technologie. Nous essayons à chaque fois de présenter des projets qui sont pertinents pour les lieux, mais aussi pour les publics. Autre caractéristique forte, la relation avec les sciences. Pour Pulse of the Earth, par exemple, , les données récoltées par les scans sont  utilisées par des chercheurs  pour définir l’impact des humains sur leur environnement. Ces différents liens permettent à nos propositions artistiques d’être des plateformes de réflexions et de discussions collectives.

3. Quels sont vos enjeux pour 2024 et les prochaines années ? 

F.P. Le lancement de notre programmation est prévu pour mai 2024 avec la mise en place de sept projets dans une logique de parcours. Esch-sur-Alzette célèbrera sa toute première Biennale culturelle, dont le thème est « Architectures », une immersion captivante dans l’univers de l’architecture et de ses influences de la vie en communauté. Dans cette vaste thématique, nous avons choisi de nous pencher sur les architectures du numérique pour montrer ce qui n’est pas visible. Et plus particulièrement les infrastructures très lourdes qui sont rattachées à l’environnement digital comme les câbles sous-marins ou bien les centres de données.

Capture d’écran du site internet de la première Biennale culturelle d’Esch-sur-Alzette dont le thème sera « Architectures ».

Nous proposons pour ce parcours une série d’œuvres existantes et une nouvelle commande. Le but étant à moyen terme de co-produire régulièrement de nouvelles œuvres, tout en continuant à montrer des travaux existants que le public eschois n’a pas encore pu découvrir.  Comme l’œuvre photographique de Corinne Vionnet par exemple. Pour son projet Photo Opportunities,  l’artiste franco-suisse a glané des milliers de clichés touristiques en ligne, qu’elle “tisse” véritablement en une seule image aérienne et légère, combinant les perspectives et points de vue de chaque image isolée. Une manière de faire apparaître les individus dans ces réseaux anonymes. Et de rendre visible ce qui est caché derrière le numérique. 

Un autre projet est Connecting the Dots de l’artiste néerlandais Jeroen van Loon. Le sujet est celui des câbles transatlantiques. Il disposait d’une banque de données très pointues connectées à ces  câbles qui véhiculent les data numériques. Il a souhaité matérialiser ces tracés  sous la forme de dessins d’enfants. Il y a environ 180 dessins qui montrent ces réseaux de câbles. C’est un projet très simple, mais très pertinent qui permet d’aborder la présence physique des câbles et des réseaux omniprésents dans nos vies mais invisibles. Comme d’autres de nos propositions, ce projet est intrinsèquement lié aux infrastructures sociales et civiles de la ville.  En collaboration avec un master d’architecture qui se situe dans un quartier populaire d’Esch-sur-Alzette,  nous allons organiser des temps de discussions avec les habitants à travers des workshops entre autres. 

Au total, nous allons donc proposer sept projets avec les œuvres de ScanLAB Projects, Ziyang Wu & Mark Ramos, Jeroen van Loon, Lucas LaRochelle, Corinne Vionnet, Serge Ecker et les étudiant·es du programme Interface Culture de la Kunstuniversität Linz. Ces différents projets sont réalisés en collaboration avec la Biennale Esch Capitale Culturelle, Konschthal Esch, Bridderhaus, Cultures of Assembly, Lycée de Garçons Esch, Cultures of Assembly et l’Université du Luxembourg.

Pasig River, une série d’oeuvre de Ziyang Wu & Mark Ramos qui sera proposée à Esch-sur-Alzette par Elektron.

Notre objectif est de continuer d’explorer les thématiques des arts, des sciences et et de l’impact du numérique dans notre société. Nous continuerons également à développer notre réseau de partenaires.  Il y a localement beaucoup de possibilités envisageables: le Théâtre d’Esch, le Musée National de la Résistance et des Droits Humains… Nous continuerons donc à développer des partenariats locaux et, peut-être, progressivement régionaux, pour amener au cœur de nos lieux de vie des espaces de création et de réflexion sur les enjeux sociaux, sociétaux, environnementaux et technologiques.