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31 octobre 2023

{3 questions à] – Janaïne Golonka, ingénieure de recherche et développeuse en innovation culturelle, créatrice de l’expérience Rivesaltes VR

Table des matières

Janaïne Golonka est ingénieure de recherche et développeuse en innovation culturelle. Spécialiste des médiations numériques liées à la mémoire, elle a contribué à créer une expérience en réalité virtuelle au Mémorial du Camp de Rivesaltes. Baudouin Duchange s’est entretenu avec elle pour revenir sur les enjeux de conception de ce projet emblématique à la croisée entre transmission, Histoire et numérique.

Rivesaltes VR, une expérience d’une vingtaine de minutes pour découvrir le camp de Rivesaltes reconstitué et de nombreuses archives inédites grâce à une médiation narrative adaptée aux enjeux mémoriaux 

Baudouin Duchange (B.D.) – Bonjour Janaïne, peux-tu te présenter et revenir sur ton parcours professionnel ? 

J.G. Je suis ingénieure spécialisée dans la culture. Je travaille particulièrement sur les questions liées au numérique, aux nouvelles technologies, à l’innovation ou encore à la réalité virtuelle/augmentée. Je fais du conseil, je monte des projets et je réalise des formations à destination des professionnels ou des étudiants. 

J’ai un parcours en médiation, d’abord via une licence en médiation culturelle et communication, puis un master en médiation « médias informatisés » que j’ai complété par un master en « communication et territoire » dans l’optique de démarrer une thèse.

Avec cette thèse, je travaille sur les médiations mémorielles immersives autour de la première guerre mondiale. J’axe mon analyse plus particulièrement sur les reconstitutions des tranchées afin d’observer les incidences produites par les expériences immersives sur les représentations contemporaines des conflits.
En parallèle, je suis entrepreneuse depuis 2012 pour travailler avec des approches plus concrètes sur la médiation mémorielle. J’ai monté mon agence JAÏKA en 2020. Cela m’a permis de travailler pour ArtofCorner, Toulouse Métropole, la commune de Monflanquin ou encore le centre d’art La Chapelle Saint Jacques.

Les restes du Camp de Rivesaltes avec, au premier plan, le mémorial construit par l’architecte Rudy Ricciotti 

B.D. – En 2021, tu démarres avec le Mémorial du Camp de Rivesaltes la conception d’une expérience immersive en co-construction avec des jeunes publics. Quels étaient alors leurs enjeux de médiation, et pourquoi votre choix s’est-il porté sur la réalité virtuelle ?

J.G. Tout est parti de l’appel à projets « Services numériques innovants destinés au tourisme de mémoire et d’histoire en France » proposé par le Ministère des armées et coordonné par la DMCA. J’ai ensuite rencontré Marion Decome, ancienne responsable scientifique du Mémorial qui a été intéressée pour monter ce projet ensemble. 

Nous sommes partis des problématiques rencontrées par le Mémorial pour élaborer les contours du projet : 

  • La représentation du camp et ses enjeux de reconstitution : Le camp est aujourd’hui en ruine, et seul un petit espace représente l’ancien camp qui était immense. 
  • Compléter l’offre de médiation sur la tranche d’âge 13-18
  • Valoriser les archives du Mémorial non présentées dans l’exposition permanente.  
  • Médiation autour de l’histoire du camp : de nombreuses populations différentes ont été internées à Rivesaltes, ce qui complexifie la lisibilité de son histoire. 
  • Proposer une nouvelle offre pour attirer de nouveaux publics : aussi bien in situ qu’en ligne, pour les visiteurs empêchés. Une déclinaison en ligne est ainsi en cours de réflexion. 
  • Gestion des publics et des groupes : le Mémorial ne dispose pas de beaucoup de médiateurs. Les équipes souhaitaient donc un dispositif de médiation permettant de faciliter la gestion des groupes.
Intérieur du Mémorial du Camp de Rivesaltes

C’est avec en tête ces différents enjeux que nous avons évoqué plusieurs projets et plusieurs technologies. C’est finalement la réalité virtuelle qui correspondait le mieux car elle nous permettait de travailler sur de la reconstitution et de pouvoir plonger les visiteurs à l’intérieur du camp, à différentes époques. 

Actuellement, 8 casques sont disposés dans la Salle des Cartes, un espace situé à la fin de l’exposition permanente. Ce positionnement permet d’intégrer le dispositif au discours de ce parcours permanent sans toutefois déranger les autres visiteurs. Un atelier de médiation a aussi été pensé pour entourer le dispositif afin qu’il serve de point de départ à la discussion. Aujourd’hui, la réflexion porte autour de la question de le rendre accessible à plus de publics au vu des retours positifs des visiteurs et de l’intérêt de l’outil. On réfléchit aussi à la revalorisation des contenus sur d’autres supports.

Une visiteuse en pleine l’expérience dans la Salle des Cartes du Mémorial

B.D. – Comment s’est déroulé la conception de cette expérience VR en déplacement libre d’une vingtaine de minutes ? 

J.G. Au début nous étions partis sur un projet plus modeste. Celui-ci s’est étoffé au fur et à mesure de l’enthousiasme des équipes du Mémorial. Notre dossier a été validé par l’appel à projets du Ministère des Armées et nous avons pu rédiger un pré-scénario qui a servi de support de travail pour un hackathon.

Présentation de certaines pièces issues des archives lors du hackathon

Ce hackathon d’une semaine a réuni 8 jeunes de 13 à 20 ans. Avec l’expérience, c’est le bon nombre pour pouvoir encadrer des séances de travail riches. Après avoir découvert le site, l’histoire du camp et réalisé des ateliers de médiation, nous leur avons fait tester des expériences en réalité virtuelle. La majorité n’en avait encore jamais fait. Sur la deuxième moitié du hackathon, nous les avons séparés en deux groupes pour les faire travailler sur deux structures de scénarios. Ils ont été accompagnés par l’équipe du Mémorial et par moi-même. Des rencontres ont été aussi organisées avec mon directeur de thèse pour aborder les enjeux de médiations mémorielles (ex. comment représente-t-on des internés ?), un développeur pour les questions techniques ainsi que les médiateurs du Mémorial sur leurs axes d’intervention thématiques (ex. faim, froid, hygiène dans les camps…). Cela nous a permis de régler des questions techniques, de faire des choix quant au scénario et aux contenus. Par exemple, nous avons fait le choix de ne pas représenter des personnes mais des silhouettes pour évoquer l’ensemble des internés et faciliter la projection des visiteurs dans l’expérience. Ce travail très enrichissant a permis de créer un scénario final inspiré des deux scénarios proposés par les jeunes. Ce scénario a d’ailleurs été validé très rapidement puisque la majorité des acteurs décisionnels avaient été mobilisés dans cet hackathon.

Structure de l’expérience en 9 séquences conçue avec un “menu général” dans lequel sont proposés 9 points d’intérêt thématiques au visiteur. Chaque point d’intérêt (POI) correspond à une thématique, un objet, une population internée, une période historique et un lieu dans le camp. 

Pour la suite, nous avons respectés les étapes de construction d’un projet :

  • Validation du scénario par le conseil scientifique : une étape essentielle pour que la narration ne prenne pas le pas sur la médiation et l’histoire. 
  • Travail de recherche dans les archives pour sélectionner les témoignages et illustrations les plus pertinentes : 1 équivalent temps plein (ETP), qui était en service civique, a été mobilisé pendant plusieurs mois.
  • Rédaction des textes de la voix off et traduction en 6 langues : Par exemple, un partenariat avec une université espagnole a permis de faire travailler des étudiants sur les traductions via un coaching à distance et sur place.
  • Production des ambiances sonores et enregistrement de la voix off du personnage principal : La voix off principale française a été réalisée… par une jeune du hackathon ! Elle incarnait parfaitement le personnage principal de l’expérience. Nous avons donc choisi de prendre le risque de travailler avec une « amatrice », et de travailler avec elle pendant 1 mois sur du coaching et des prises de son. 
  • Reconstitution avec un artiste 3D :  Au début, nous souhaitions travailler avec un spécialiste en développement et modélisation. Mais notre priorité était la reconstitution historique du camp, impliquant un niveau de qualité important. Un artiste 3D expérimenté a donc été préféré. 
  • Montage et développement.
  • Tests et adaptations : auprès des équipes en interne, puis des jeunes impliqués dans la hackathon, puis auprès de nombreux volontaires très divers (technophiles ou non, amateurs d’histoire ou non…). 
  • Formation des médiateurs.
Reconstitution du camp de jour avec des archives photographique HD à disposition des visiteurs 

Nous avons fait le choix de ne travailler qu’avec des indépendants. Ils ont moins de contraintes, moins de charges financières, et donc des tarifs plus accessibles pour des sites comme ceux liés à la mémoire. Cela nous a permis de réduire les coûts de production et de travailler avec un budget réduit de 60 000€, ce qui est peu pour une expérience VR de près de 20 minutes en free roaming. Ce projet aura finalement nécessité 2 ans de développement, du lancement du projet à sa mise en exploitation. 

Un grand merci à Janaïne Golonka pour ce partage et sa disponibilité. Pour en savoir plus sur son travail, quelques ressources à disposition :

Baudouin Duchange