Accélérateur
de projets

26 juin 2024

3 questions à : Nathalie Keurmeur, responsable du département “structures et produits numériques” de la Fondation Humboldt Forum. 

Table des matières

Nathalie Keurmeur, spécialiste en curation numérique, travaille à la Fondation Humboldt Forum à Berlin, où elle développe une expertise précieuse dans la coordination et la mise en œuvre de la stratégie numérique de ce site regroupant plusieurs organisations culturelles. Elle a dirigé des projets innovants tels que « Palace of Memory » et « Re-Set, » explorant les frontières entre réalité virtuelle et réalité augmentée pour enrichir l’expérience des visiteurs. Sa vision pragmatique de la durabilité et son engagement pour l’évaluation continue des dispositifs numériques témoignent de son approche stratégique et de son souci constant d’améliorer l’accessibilité et l’impact des contenus culturels dans un monde numérique en constante évolution.

Bonjour Nathalie, pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours professionnel ?

Nathalie Keurmeur (N.K.) : J’ai étudié dans le nord de la France, à l’IUP (Institut Universitaire Professionnel) Métiers des Arts et de la Culture de l’Université d’Arras, où j’ai suivi une formation axée sur les métiers culturels. Pour mon dernier stage, je suis partie en Allemagne, où je suis restée depuis.

Après ce stage, j’ai intégré une agence spécialisée dans la muséographie pour des musées de petite taille. Dans ce cadre, la distinction entre les contenus destinés aux supports numériques et ceux destinés aux cartels physiques n’était pas toujours évidente, car tous les contenus étaient conçus par les mêmes spécialistes. Mon rôle consistait à rédiger les textes et les contenus, qu’ils soient destinés au digital ou au physique.

L’imposant bâtiment accueillant les différentes entités du Humboldt Forum – source photo

C’est en rejoignant le Humboldt Forum en 2015 que j’ai commencé à me concentrer davantage sur les médias numériques. Dans une institution de cette envergure, la quantité de contenu à produire impose une certaine spécialisation. Bien que je sois relativement nouvelle dans le domaine des médias numériques, cet aspect a toujours été présent dans mon travail, surtout dans notre monde actuel où les médias sont essentiels à notre communication.

Il est important de savoir que le Humboldt Forum regroupe plusieurs institutions : le musée ethnologique et le musée d’art asiatique des musées nationaux de Berlin, le Musée de la Ville de Berlin, Humboldt Universität zu Berlin et la Fondation Humboldt Forum.

J’ai commencé mon travail dans les deux premiers musées, où ils avaient besoin de quelqu’un pour coordonner les médias numériques. Par la suite, il a été décidé de centraliser cette coordination au niveau supérieur des quatre institutions. J’ai donc rejoint la Fondation Humboldt Forum où, avec mes collègues, j’ai pris en charge la coordination des médias numériques utilisés par l’ensemble des partenaires, comme le guide de visite par exemple.

Cette coordination comprend aussi bien les contenus numériques des expositions temporaires que les kits de visite communs, visant à fluidifier les transitions entre les musées. Nous intégrons également les systèmes de communication, notamment les écrans et la tour média dans le foyer. Nous collaborons avec les acteurs pour créer des standards de navigation et nous assurons que toutes les institutions soient informées et harmonisées.

Nous travaillons également sur la mise en scène digitale esthétique, comme l’architecture numérique, en réfléchissant à ce qui doit être standardisé pour faciliter l’utilisation des contenus numériques par le personnel et leur appropriation par le public. Cela a été notre mission jusqu’en 2022, lorsque la pandémie de Covid-19 a bouleversé notre organisation. Avec l’arrivée de nouveaux projets expérimentaux que je vous présenterai certainement, nous nous concentrons depuis 2022 sur la prochaine étape : développer des expériences numériques qui correspondent plus aux attentes actuelles.

Quels sont les projets numériques et immersifs développés au Humboldt Forum ? 

Illustration de l’exposition temporaire du Humboldt Forum, « Blown Away: The Palace of the Republic. » – Source photo

(N.K.) – Cette année, nous présentons d’abord deux expériences immersives au Humboldt Forum, en lien avec notre exposition actuelle : « Blown Away: The Palace of the Republic. »

Visuel de Palace of Memory – @CyberRäuber – Source photo

Tout d’abord, nous avons « Palace of Memory« , une installation en réalité virtuelle. C’est une expérience sociale et participative pouvant accueillir jusqu’à 10 personnes simultanément, offrant un voyage à travers les souvenirs des Allemands de l’ancien Palais de la République, détruit en 2008. Pour cette intervention artistique, nous avons utilisé nos propres ressources et subventions pour financer ce projet, qui fait partie de notre programme. Nous avons collaboré avec des artistes issus du monde du théâtre, CyberRäuber, qui ont travaillé sur la mise en scène et l’interaction, bénéficiant d’une grande liberté créative. Notre rôle s’est limité à fournir des avis et à fixer les limites, sans intervenir directement dans la conception et la réalisation. Cette collaboration a été très enrichissante, nous permettant d’apprendre de leur approche et de comprendre pourquoi certaines de leurs réalisations ne seraient pas possibles avec nos méthodes traditionnelles.

Visuel de l’expérience AR Re-Set –  Source photo

Ensuite, nous avons « Re-Set« , une application web en réalité augmentée qui permet de reconstituer le Palais de la République en fonction de l’endroit où l’on se situe. Pour compenser l’absence physique du palais, nous avons fourni des panoramas à 360° du Palais de la République. Nous avons utilisé les modèles conçus par les deux artistes de l’installation « Palace of Memory » pour cette intervention autour du Humboldt Forum. En plaçant des panneaux et en remplaçant les salles du Palais de la République à leur emplacement d’origine, nous avons intégré un système de QR codes avec des modélisations 3D. Cette solution est relativement économique. Notre guide média est développé en open source, et nous avons un fichier en réalité augmentée pour projeter la façade du Palais de la République sur celle du Humboldt Forum.

Dans la salle d’exposition de l’installation Loot. 10 Storiessource photo

Nous avons également une autre installation, « Loot. 10 Stories« , sur le thème de la restitution, qui est actuellement présentée en collaboration avec le Mauritshuis de La Haye. Il s’agit d’une exposition temporaire. Jeudi dernier, j’ai assisté à la remise des prix XR History Award, où cette installation a été primée. « Loot. 10 Stories » présente dix objets choisis dans différents contextes de pillage, y compris ceux issus des périodes coloniales et de l’époque napoléonienne, pour montrer que le thème du pillage est plus vaste qu’on ne le pense généralement. Ce thème de la restitution est central en Allemagne depuis quelques années, et l’aborder via une médiation numérique était particulièrement intéressant. 

Avec ces projets, nous explorons davantage les nouvelles technologies cette année, en travaillant sur la mise en scène digitale pour véhiculer des contenus de manière très compréhensible.

Quels sont vos enjeux en termes de conception de dispositifs de médiation numérique ?

(N.K.) – De manière générale, nous adoptons une stratégie visant à utiliser les expositions temporaires pour enrichir et développer notre offre permanente. Cela est particulièrement visible avec l’exposition « Blown Away: The Palace of the Republic » qui a donné naissance aux deux premières expériences utilisant des assets numériques déjà existants. Il est important de préciser que nous avons le luxe de ne pas avoir besoin de nous refinancer. Ainsi, les différentes expériences proposées sont gratuites ou peu coûteuses.

Photo de l’ancien Palais de la République à l’emplacement duquel le Humboldt Forum est construit – source photo

Ensuite, il y a l’évaluation. Nous avons une phase d’évaluation pour les offres numériques et digitales, qui inclut la mesure de la fréquentation et de la durée d’utilisation. Nous échangeons beaucoup avec le service visiteurs, comprenant le personnel de surveillance et de médiation, pour recueillir des retours techniques (fonctionnels ou non) ainsi que des retours qualitatifs sur l’appréciation des visiteurs. Il est crucial pour nous d’intensifier cette démarche.

Enfin, il y a la question de la durabilité et la pérennité des dispositifs que je considère de manière pragmatique. Par exemple, dans « Palace of Memory », l’approche est artistique. Les commissaires d’exposition n’auraient pas nécessairement envisagé de créer des images avec de l’IA, offrant ainsi un voyage entre réalité et fiction. Pour nous, il est essentiel de toujours chercher à apprendre avec les commissaires d’exposition. Qu’apporte cette expérience à notre travail ? Comment cela enrichit-il notre lien avec les visiteurs et notre réflexion sur le travail de mémoire ?

Nous cherchons également à impliquer activement les visiteurs. Ce que nous expérimentons aujourd’hui pourrait orienter nos futures initiatives. Nous sommes conscients que chaque expérience temporaire peut nous enseigner quelque chose, et que la durabilité ne se limite pas à maintenir une installation pour toujours, mais aussi à tirer des enseignements de celle-ci pour les intégrer dans d’autres projets. Pour moi, la durabilité implique de reconnaître que nous apprenons continuellement et que nous pouvons choisir de poursuivre – ou non – dans une direction particulière à l’avenir.

Bonus – Pour la prochaine édition du NUMIX LAB en Allemagne, quelles sont vos attentes ?

(N.K.) – Ce qui m’intéresse particulièrement pour la prochaine édition du NUMIX LAB en Allemagne, c’est l’opportunité de rencontrer d’autres professionnels du domaine, d’échanger sur nos expériences respectives et de discuter avec ceux qui travaillent quotidiennement sur les formats numériques. Je suis motivée par l’idée d’explorer de nouvelles perspectives en matière de mise en scène et de techniques, sachant que les médias numériques sont en constante évolution.

Mon objectif est également de nouer des partenariats stratégiques pour pouvoir envisager des projets plus ambitieux. En effet, le coût élevé des médias numériques constitue un défi majeur, et les partenariats renforcent nos capacités à relever ce défi ensemble. Je suis donc particulièrement en attente de ces opportunités de partenariat et d’échange d’expériences.

Parfois, les musées peuvent être isolés dans leur propre univers, et il est crucial, surtout dans le domaine des médias, de sortir de cette bulle afin de communiquer efficacement sur le présent. C’est une façon d’introduire la vie contemporaine dans le musée.


Un grand merci à Nathalie pour sa disponibilité et ce beau retour d’expérience. Pour vous inscrire à la prochaine édition du NUMIX LAB en Allemagne, qui se tiendra du 25 au 29 novembre 2024, veuillez cliquer sur ce lien.