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3 juillet 2023

Comment faire venir des adolescents / jeunes adultes au musée ?

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En 2021, la fréquentation des musées et monuments a encore été marquée par la crise COVID. En 2022, à l’heure où les restrictions sanitaires sont désormais levées, les institutions culturelles doivent redoubler d’efforts pour renouer avec leurs publics d’antan, voire, en développer de nouveaux. Or, s’il était particulièrement difficile d’attirer les adolescents et jeunes adultes (15-25 ans) dans les musées avant la crise, un tel défi est d’autant plus difficile aujourd’hui. Bien qu’une présence en ligne accrue a permis de maintenir des liens avec ces jeunes, la coupure physique provoquée par les fermetures successives semble avoir été profonde. Pour autant, de nombreuses initiatives particulièrement inspirantes ont émergé depuis quelques années de la part des professionnel.l.e.s du monde muséal pour s’adresser à ces jeunes publics. Ces initiatives sont d’autant plus d’actualités pour relever les enjeux de reconquête de ce visitorat. Ce sera d’ailleurs l’un des thèmes que nous aborderons lors des Rencontres Patrimoines & innovations organisées à l’Hôtel de Sully (siège du Centre des monuments nationaux) le jeudi 21 avril 2022.

1.  De la considération des besoins spécifiques des jeunes adultes à la création de programmations dédiées.

Dans un article Les publics d’un siècle à l’autre, Olivier Donnat évoque le fait qu’au début des années 80, sous l’impulsion du ministère de la Culture et de différents changements sociétaux, la politique des publics s’est alors pensée « au pluriel » : publics jeunes, spécifiques, empêchés, etc. Cette reconnaissance de la diversité et de la singularité des publics a permis de légitimer des besoins et des attentes spécifiques de certaines catégories de visitorat au risque de dissoudre les enjeux globaux d’accessibilité à la culture des publics les plus éloignés. Les adolescents et jeunes adultes n’ont pas fait exception, et, un ensemble de projets éducatifs et culturels, d’offres et de tarification ciblées ont été mis en œuvre pour mieux prendre en compte leurs besoins spécifiques.

La création d’évènements tels que la Nuit Européenne des musées semble avoir favorisé le développement de ces jeunes publics. Apparue en France en 2005, la Nuit des musées a été conçue dans un esprit festif et convivial. Elle succède au printemps des musées afin de proposer un événement, cette fois-ci nocturne, attractif pour un nouveau public plus jeune et plus noctambule.

Affiche de la 18e édition de la Nuit Européenne des musées.

La Nuit des musées est alors devenue un lieu d’expérimentation pour affiner la programmation d’ouvertures nocturnes de certains musées et s’adapter au rythme de sorties des étudiants et lycéens. Nombreuses ont été les initiatives qui ont ainsi émergées pour proposer des opérations de médiation nocturnes réalisées par des étudiants et pour des étudiants. C’est le cas, par exemple, de l’évènement bi-annuel créé il y a plus de 15 ans par le musée du Louvre : les jeunes ont la parole.

Un exemple de collaboration dans le cadre des Jeunes ont la parole entre l’Ecole Duperré et le Musée du Louvre.

Dans les villes où la population étudiante est nombreuse (comme à Grenoble ou Lille), ce type d’opérations de médiation trouve un écho particulièrement favorable. Le Palais des beaux-arts propose aux étudiants lillois sa nocturne Modèles vivants pour s’exercer au dessin, le musée de Grenoble organise, quant à lui, sa douzième nocturne en mars 2022 autour d’une quinzaine de projets artistiques. La programmation s’élargit à la création artistique pour diversifier les publics mais aussi en s’ouvrant à d’autres champs culturels tels que les musiques actuelles, des DJ Set, le cinéma, la gastronomie, la danse, le numérique, etc. Transformer en lieu de vie nocturne où le musée devient lieu d’exception et offre pour certains un nouveau regard sur les collections ou sur les expositions qui y sont proposées, ce type d’évènements s’est multiplié ces dernières années et démontre toute la créativité des musées en la matière : Curieuses nocturnes au musée d’Orsay, soirées Before au Quai Branly, nocturne FLVLAB à la Fondation Louis Vuitton, etc.

G pour Gaudi, la Curieuse nocturne organisée au musée d’Orsay en avril 2022 en lien avec l’exposition sur le célèbre architecte.

Or des nocturnes, des offres de parcours à la croisée de la médiation, du divertissement et de la culture pop ont ainsi émergé puisant dans l’univers du jeu, des séries ou des jeux vidéo. Ce sont le cas, par exemple, des escape games qui ont fleuri ces dernières années (voir le très bon article d’Exposcope sur le sujet) dont, certains, ont été réalisés en partenariat avec des acteurs du jeu vidéo tels que celui de l’Hôtel des Invalides, avec Cultival et Ubisoft (autour de l’univers d’Assassin’s Creed) ou celui de la Monnaie de Paris en lien avec Netflix et Fever (inspiré de la série La Casa de Papel).

Pour conclure ce panorama, certains musées ou centres d’art sont allés jusqu’à créer des espaces d’accueil dédiés avec une programmation récurrente. C’est le cas, par exemple, du studio 13-16 du Centre Pompidou.

Le Studio 13-16, un espace dédié aux ados créé en 2010 par le Centre Pompidou.

En développant une programmation culturelle dédiée aux jeunes adultes, les lieux patrimoniaux peuvent ainsi s’ouvrir à une multiplicité d’autres champs culturels mais aussi élargir leur programmation à des enjeux sociétaux contemporains. Pour autant, la conception et la diffusion de tels évènements nécessitent de mobiliser des équipes, des moyens et du temps. Pour donner du sens à ces nocturnes et ne pas succomber à une logique trop distractive (tout en conservant une certaine attractivité), des liens avec le lieu, ses collections ou ses expositions semblent primordiaux à tisser. Un tel équilibre entre attractivité, divertissement et médiations peut sembler parfois difficile à atteindre. Il semble alors nécessaire de confirmer les goûts présupposés spécifiques de ces jeunes publics tant avec les équipes en interne qu’avec certains d’entre eux pour confirmer ou infirmer cette programmation. Enfin, cibler ces publics nécessitent de déployer un ensemble de leviers et de moyens tant en termes de communication que de tarification dédiée. Or, ce dernier levier est plus difficile à envisager du fait de la notion de gratuité mise en œuvre depuis 2009 dans les musées de France).

2.  Enjeux / limites de la gratuité et opportunités offertes par le pass Culture.

Depuis plus de 10 ans, la gratuité des collections permanentes dans les musées nationaux est accordée aux jeunes de moins de 26 ans, ressortissants de l’Union Européenne. Cette mesure participe à la politique de démocratisation culturelle menée par le ministère de la Culture et ses établissements. Ainsi, plus de 3 millions de jeunes entre 18 et 25 ans ont bénéficié de cette gratuité en 2019. L’enquête « À l’écoute des visiteurs » (2019) auprès des visiteurs des musées et monuments nationaux a confirmé que la gratuité d’accès aux collections a joué un rôle dans leur décision de visite pour plus des trois-quarts des 18-25 ans qui en ont bénéficié.

Malgré le succès de cette mesure, dès 2011, la Cour des Comptes a recommandé, dans un rapport sur l’autonomie des musées nationaux, de mettre fin à cette mesure « trop générale » et de « redéployer les moyens qui lui sont consacrés à des actions plus ciblées en direction des publics éloignés de la culture ». Par ailleurs, le fait de s’adresser à un public « gratuit » pourrait contribuer à réduire les actions de développement engagées auprès de ce dernier (jugées alors non rentables). Enfin, la modulation tarifaire qui pourraient être envisagées par les musées dans le cadre d’actions promotionnelles pour attirer ces publics semblerait affaiblie par ce type de mesure.

Face à ces différents constats, le lancement du pass Culture pour les jeunes de 15 à 18 ans en 2019 pourrait contribuer à promouvoir et à réévénementialiser les offres des musées auprès de ces jeunes publics.

Le pass Culture permet aux jeunes de 15 à 18 ans de bénéficier via une application mobile d’un crédit allant jusqu’à 300 € en fonction de leur âge pour le dépenser dans une variété d’offres culturelles physiques ou numériques jusqu’à la veille de leurs 20 ans.

Depuis janvier 2022, dans le cadre de la politique de développement de l’éducation artistique et culturelle et d’un partenariat entre le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, le dispositif permet également aux enseignants de réserver des sorties scolaires pour les classes de la quatrième à la terminale, pour les établissements publics et privés sous contrat. Dans cette logique, le conseil d’analyse économique préconise de faire du Pass Culture un outil de politique culturelle sur l’ensemble du territoire en le centrant sur « l’apprentissage par la pratique et l’offre culturelle territoriale », voire, d’affecter certaines dépenses culturelles vers des lieux patrimoniaux ou de spectacle vivant.

Au-delà du prix, variable limitée à actionner pour les jeunes publics, communiquer de façon spécifique auprès de ce visitorat potentiel semble tout autant être un enjeu particulièrement clé.

3.  S’adresser aux jeunes adultes : moyens, leviers et enjeux.

Pour communiquer auprès des adolescents et des jeunes adultes, des actions de communication de plus en plus ciblées et, portées conjointement par des services des publics et de la communication, se sont développées. Elles impliquent, par exemple, la mobilisation d’influenceurs ayant une forte résonnance chez les jeunes publics, l’intervention sur des plateformes sociales qu’affectionnent ces derniers (telles Tiktok, Instagram, Youtube ou Twitch), la présence sur des médiums tels que les jeux vidéo ou le développement de partenariats avec des écoles / universités.

Depuis de nombreuses années, des influenceurs sur les réseaux sociaux sont mobilisés par les musées. différentes collaborations entre influenceurs et musées peuvent être envisagés. Dans un article de Mon cher Watson, Amélie Benchallal évoque, par exemple, différentes collaborations entre influenceurs et musées. Parmi celles-ci, elle cite Camille Jouneaux (La Minute Culture), Antoine Vitek (Culturez-Vous) et le Scribe Accroupi.

Un exemple de story Instagram développée par Camille Jouneaux pour la Minute Culture.

Sur la mobilisation d’influenceurs et le développement d’une communication sur les plateformes les plus appréciées par les jeunes adultes, le château de Versailles est un bon exemple en la matière. Sur Youtube, le musicien Thylacine a, par exemple, été invité a enregistré les sons du château (parquet, horloge, clavecins…) pour recréer une expérience musicale immersive partagée sur la célèbre plateforme vidéo particulièrement utilisée par les jeunes adultes (71 % des 15-24 ans utilisent mensuellement Youtube).

Dans le cadre d’une invitation sur Youtube, le musicien Thylacine propose une relecture des sons du château.

 Quant aux réseaux sociaux (tels que Twitch, Instagram ou Tiktok), le château de Versailles est de plus en plus présent sur TikTok, par exemple, où, en un mois d’existence sur cette plateforme, le site patrimonial a réussi à attirer 5 000 abonnés. Pour affiner le sujet, un excellent podcast publié par le Quai des savoirs propose un interview éclairant d’Elisabeth Gravil sur la pertinence (ou non d’être présent sur ces plateformes pour des lieux patrimoniaux). 

L’une des vidéos sur la galerie des Glaces publiée par le château de Versailles sur TikTok a été vue plus de 150 000 fois.

Ces chiffres sont néanmoins à nuancer. Différentes injonctions vis-à-vis de ces plateformes ont menées les institutions culturelles à les investir sans forcément avoir toujours les codes de celles-ci. Un tel investissement a souvent contribué à alourdir la charge des équipes en charge du numérique souvent déjà conséquente (ou partagée pour la grande majorité des musées avec d’autres tâches et missions).

Ceci étant dit, l’intervention sur de telles plateformes s’est particulièrement développée avec la crise sanitaire est a aussi, par ailleurs, été l’occasion de monter en compétences en termes d’écriture de contenus, de spécificités d’animation, de mobilisation de nouvelles communautés et de nouveaux partenaires ou influenceurs. Cette présence en ligne accrue auprès des jeunes adultes a également amené à renouveler, a minima, l’image de certains lieux culturels, voire, de contribuer au développement de ces jeunes publics.

Si la crise sanitaire a semblé couper la relation physique avec les adolescents et jeunes adultes, les nombreuses initiatives développées en ligne sur le Web et les réseaux sociaux par les institutions patrimoniales ont permis d’enrichir et de nouer de nouvelles formes de liens avec ces publics. La réduction des restrictions sanitaires et le retour de programmations évènementielles ambitieuses contribueront sûrement à renouveler ces liens entre jeunes adultes et musées. Les enjeux sont néanmoins nombreux et nous aurons l’occasion d’en débattre le jeudi 21 avril lors de la prochaine édition des Rencontres IESA Patrimoines et innovations.

Antoine ROLAND