La dernière édition de Museum Connections, le salon de l’expérience touristique et culturelle de demain, a eu lieu le 30 et 31 mars 2022 à Paris Expo. A cette occasion, plus de 19 conférences se sont tenues auxquels s’ajoutent de nombreux évènements en ligne préalables au salon : 8 meet-ups, 1 Webinar et 4 conférences. {CORRESPONDANCES DIGITALES], en collaboration avec Museum Connections, propose de revenir sur 3 grandes tendances abordées lors de ces différents temps forts en termes d’innovation, de développement durable ainsi que d’accessibilité.
Cet article est dédié à l’accessibilité des lieux de culture et à l’engagement de leurs publics : quelles sont les barrières auxquelles se confrontent leurs publics ? Quels sont les leviers envisageables pour mieux les accueillir dans toutes leurs diversités ? Comment les engager à participer et à contribuer aux projets stratégiques d’un établissement ?
La récente définition adoptée par l’ICOM à Prague cet été affirme et encourage un rôle plus social et sociétal des musées (voir l’excellente analyse d’Elisabeth Gravil sur cette définition et les questions qu’elle pose). Cette ambition est déjà à l’œuvre dans de nombreuses institutions pour que celles-ci s’ouvrent et s’engagent pour tisser des liens vers une diversité de publics plus large tant dans leurs murs qu’hors les murs. Ces liens peuvent être parfois créés (pour les publics les plus éloignés), enrichis ou développés par de nouvelles formes de mises à contribution pour ouvrir et engager un lieu culturel vers la société dans toute sa pluralité. En lien étroit avec cette nouvelle définition des musées, cet article revient sur les différents leviers que peuvent actionner une institution patrimoniale pour s’engager et devenir plus accessible auprès de ses publics.
1. Devenir plus accessible : ouvrir ses murs.
Selon une étude réalisée par le Ministère de la Culture en juillet 2022, 43 % des français déclarent avoir visité un musée ou une exposition en 2019 (seulement 22% entre septembre et décembre 2021). Ce chiffre global ne démontre, cependant, pas la variété de ces visites en termes de saisonnalité (concentration des visites en période estivale), de leurs modalités (beaucoup de musées accueillent des publics scolaires) ou de lieux visités (seulement 6 musées en France accueillent plus d’un million de visiteurs par an). A ces premiers constats s’ajoutent en creux un fait sans appel : 67% des français n’étaient pas allés au musée en 2019, 78% dans les derniers mois de 2021. Les barrières sont donc particulièrement nombreuses pour aborder un lieu culturel quel qu’il soit. Ces barrières peuvent être tour à tour physiques, sociales ou éducatives.
Quelques barrières physiques et leviers envisageables.
Concernant les barrières physiques, elles peuvent être tout simplement liées à l’implantation d’un lieu culturel (et, donc à son accès géographique). Le bâtiment dans lequel se situe le musée et sa scénographie contribuent aussi à en complexifier l’accès.
Lors de la conférence Le lieu culturel en bon voisin : Défis et bonnes pratiques réalisée lors de la dernière édition de Museum Connections, Cécile Dumoulin, responsable du développement culturel et des publics du Mucem partageait un projet particulièrement inspirant pour aller à la rencontre des publics les plus éloignés du musée : Opération “Destination Mucem”. Pour de nombreux marseillais, venir au musée relève du défi : plus d’1h30 de transport pour les plus excentrés avec 2 changements et des bus qui ne circulent pas le dimanche. A cette distanciation géographique, s’ajoutent de multiples fractures socio-économiques accentuées par la crise sanitaire. Au printemps 2021, pour relever ces différents défis, le musée a décidé de mettre en circulation un bus de collection dans les quartiers excentrés de Marseille. Chaque dimanche, le bus parcourt jusqu’à 22 quartiers différents sur 4 itinéraires pour venir chercher les visiteurs les plus éloignés. L’opération “Destination Mucem” met à disposition un moyen de transport physique et, en outre, une médiation en amont du trajet, durant celui-ci et dans le musée (auquel les habitants accèdent gratuitement). Au-delà du dispositif mis en œuvre, les enjeux d’animation et de communication sont colossaux et les équipes du musée, avec l’appui de 3 jeunes en service civique, sont en contacts réguliers avec les associations, les commerçants, les bailleurs sociaux, les écoles et les collèges, etc.
Dans le même esprit que “Destination Mucem”, des projets similaires ont été mis en œuvre, particulièrement impliquants pour les équipes des musées. Ce fut le propos de Cathelijne Denekamp, Manager Accessibility/Inclusion au musée Rijksmuseum (Amsterdam) lors de l’une des conférences du salon : S’engager auprès des seniors. Pour rompre le sentiment d’isolement des plus âgés, un programme leur est proposé sur 3 mois afin de réaliser 3 visites de 2h du célèbre musée. Cette sortie est l’occasion de réaliser des activités créatives et artistiques, de discuter, de prendre un café pour vivre de véritables moments de convivialité. Cette politique des publics active envers les personnes âgées s’est aussi manifestée lors de la crise sanitaire par la proposition faite à l’ensemble des salariés d’écrire une lettre tous les 15 jours sur une œuvre du musée qui les a marquées. Ces lettres ont ensuite été envoyées à plus de 1 000 seniors néerlendais afin de contribuer à réduire leur isolement en cette période. Pour contribuer à réduire l’éloignement géographique et veiller à améliorer l’accueil dans un bâtiment complexe à parcourir, le Rijksmuseum a donc décidé de mobiliser activement ses équipes en favorisant leur sensibilisation, leur appropriation, voire, leur empathie envers les publics les plus pénalisés dans la visite physique d’un musée. Chaque année, les équipes du musée sont ainsi invitées à suivre un parcours de visite d’une heure pour se mettre en situation de handicap (parcours en chaise roulante, avec la vue brouillée, etc.). Le musée met donc en œuvre une politique RH ambitieuse pour pallier aux contraintes spatiales et bâtimentaires auxquelles font face de nombreux lieux culturels, et, les enjeux vis-à-vis de ces publics sont de plus en plus prégnants : pour rappel, plus de 20 % de la population de l’Union Européenne aura plus de 70 ans en 2045 (13% actuellement)…
Face à de tels barrières, il est parfois nécessaire d’aller hors les murs vers les publics les plus empêchés. C’est le cas de l’expérimentation évoquée par Florence Brachet Champsaur lors de la même conférence sur les seniors. Mise en œuvre en 2021 par le service patrimoine et mécénat de la SNCF, en lien étroit avec l’incubateur du patrimoine (Centre des monuments nationaux), la start-up de réalité virtuelle, Lumeen, a filmé en 360° le parcours du train jaune près de Perpignan. La vidéo immersive de ce train centenaire occitan a ensuite été diffusée auprès de résidents d’EHPAD et de maisons médicalisées pour les faire voyager. 5 à 6 résidents peuvent ainsi découvrir avec un médiateur et de façon collective une vidéo de 8 à 10 minutes de “voyage immobile”, adaptée à leurs conditions physiques et occasion de partager leurs souvenirs ou de stimuler leurs facultés mémorielles.
Nombreuses sont les réponses apportées par les sites patrimoniaux et muséaux pour réduire de telles barrières physiques tant dans leurs murs qu’hors leurs murs. Ces réponses peuvent être aussi bien infrastructurelles (avec la mise en place de solutions de transports), humaines (par la mise en œuvre d’une politique RH ambitieuse) ou technologiques. Aux frontières physiques s’ajoutent parfois des contraintes psychologiques, sociales, voire sociétales. Face à celles-ci, de nombreux lieux culturels développent des actions auprès de leurs publics de proximité.
Barrières sociales et éducatives et leviers envisageables.
Pour les barrières sociales et éducatives, elles sont particulièrement nombreuses. Malgré des efforts conséquents en termes de gratuité auprès des publics les plus fragilisés, les tarifs d’entrée dans les musées ont augmenté en moyenne de 40% dans les dix dernières années. Au-delà du prix, de nombreuses barrières psychologiques et sociales subsistent face auxquelles les équipes des sites patrimoniaux s’évertuent, avec beaucoup d’ingéniosité, à trouver des solutions.
L’occasion de la rénovation d’un lieu patrimonial ou d’un parcours de visite est particulièrement cruciale pour favoriser son accès au plus grand nombre. Ce fut l’objet de l’intervention de la directrice du Museum of the Home à Londres, Sonia Solicari, lors de la dernière édition de Museum Connections. Entre 2017 et 2021, l’architecture du musée a été profondément refondue pour revisiter le rôle de ce lieu et le rendre plus vivant. Situé dans le quartier londonien de Shoreditch, tenaillé entre une grande diversité et une forte gentrification à l’œuvre, le musée a ainsi un rôle à jouer face à ces tensions. De nouveaux espaces ont été créés pour ouvrir le musée sur le quartier et y accueillir des festivals, des événements et des locations. Un pub a été rénové et réouvert en accès direct pour favoriser la sociabilité et les échanges. Les jardins historiques du XVIIe siècle ont aussi été restaurés pour accueillir de nombreux projets pédagogiques avec les écoles et les familles du quartier. La programmation a été repensée et des actions ont été menées par le musée pour lancer une campagne de levée de fonds dans le but de financer un centre d’hébergement de courte durée pour les sans domiciles femmes du quartier. Au-delà de la restructuration du lieu, un ensemble d’actions sont ainsi menées au quotidien pour engager le Museum of the home vers une diversité de publics.
Parmi les leviers essentiels à l’accessibilité d’un lieu, l’accueil est primordial, l’accompagnement l’est aussi tout autant (la politique tarifaire pour y accéder est, par conséquent, fondamentale). Dans cette logique, dans la même conférence que Cécile Dumoulin (Mucem), Cécile Rives, administratrice de la Conciergerie a présenté la façon dont elle a accompagné le changement de politique tarifaire du lieu patrimonial qu’elle gère pour faciliter l’accès à un outil de médiation numérique : l’histopad. Avec 60% de publics internationaux à la Conciergerie, la crise sanitaire a particulièrement changé la sociologie des visiteurs du lieu. Fort de ce constat et compte tenu du fait que l’histopad était particulièrement apprécié par les publics locaux (pour un taux de prise de 5 à 7%, celui-ci était deux fois plus élevé pour les publics locaux), le CMN a donc décidé de changer le modèle d’exploitation de ce dispositif de médiation pour en universaliser la distribution. L’histopad est désormais proposé en inclusion du billet d’entrée : gratuitement pour 40% des publics (notamment, les moins de 26 ans) et avec une légère augmentation pour les publics payants (afin de l’offrir à tous).
Au-delà de l’approche tarifaire, les approches en termes de médiation peuvent être particulièrement variées. L’intervention de Lélia DECOURT, responsable du service de la médiation culturelle, du musée d’art moderne et contemporain de Nice (MAMAC) aux côtés de Cécile Rives en témoigne. Avec la crise sanitaire, ce musée municipal qui accueillait environ 140 000 visiteurs / an dont 60% d’internationaux a réorienté sa politique vers des publics plus locaux. Une programmation estivale (Mon été au MAMAC) a ainsi été développée, une nouvelle offre auprès des publics scolaires leur a été proposée. Une politique plus inclusive en partenariat avec des associations locales et les services municipaux a été mise en œuvre auprès des seniors et des publics en situation de handicap mais aussi auprès des étudiants, grands absents du musée (tels qu’Arty Party, événement artistique en lien avec les œuvres ou Remixe ta culture, un dispositif participatif en partenariat avec l’Université Côte d’Azur). La dimension participative s’est implantée au cœur des actions du musée et se déploient de plus en plus dans des logiques de co-conception plus participatives avec la création de comités d’usagers depuis septembre 2021 pour accompagner la rénovation du musée.
Les leviers mis en œuvre par les musées pour renforcer leur attractivité et leur accessibilité auprès de leurs publics de proximité sont particulièrement variés. Une rénovation des espaces d’un musée est l’occasion de repenser la politique d’accueil du musée, la programmation peut être redéfinie en fonction des publics de proximité dans toutes leurs singularités tout en veillant à ce que ces différentes activités soient abordables pour tous. La scénographie, la programmation culturelle ou la politique tarifaire sont autant de variables qui peuvent être modulées pour s’adresser à des publics plus diversifiés. La réflexion sur ces différentes barrières et leviers sont aussi l’occasion de favoriser des approches plus participatives et engageantes afin de mieux saisir les besoins et attentes de ces différents publics.
2. S’engager : faire participer certains publics à cette ouverture.
Pour mener ces politiques d’ouverture ambitieuses, les lieux culturels doivent, parfois, faire appel à leurs propres publics pour mieux identifier leurs besoins, leurs attentes ou leurs freins à la visite. A ce titre, différentes stratégies peuvent être mises en œuvre, soit, dans le cadre d’un projet spécifique de médiation, soit, d’un point de vue plus institutionnel en intégrant des représentants des publics dans la gouvernances et les décisions des musées.
Contribuer à un projet pour expérimenter et l’adapter aux usages et pratiques des publics.
Dans le cadre d’un projet de médiation, les logiques de co-conception sont presque induites par des approches méthodologiques souvent orientées usagers qui prévalent en ce domaine. A ce titre, des publics peuvent être mobilisés aussi bien pour créer des visites dédiées, des ateliers, des dispositifs de médiation dans ou hors les murs. Cette mobilisation des publics peut venir à toutes les étapes du projet aussi bien en amont pour en concevoir le cadre, que dans son développement dans une logique d’expérimentation itérative ou en aval pour évaluer un projet.
Dans cette logique, de nombreux musées ou lieux culturels ont engagé ce type de démarche. C’est le cas du MACVAL qui a proposé à ses publics allophones (dont la langue française n’est pas la langue d’origine) de participer à la conception d’un audioguide multilingue avec audiovisuel. Autre exemple que nous citions dans un précédent article, le musée de Pont Aven qui a organisé une exposition en co-création avec ses publics.
A ces exemples s’ajoute le musée d’Ixelles. Le musée a mis en œuvre un programme particulièrement innovant : Le musée comme chez soi. Ce programme met à disposition des œuvres du musée chez des particuliers durant un week-end pour qu’ils en assurent la médiation. Après de telles initiatives, le musée a naturellement constitué des comités d’usagers pour l’accompagner dans sa campagne de rénovation (réouverture du musée prévue en 2024). Fin septembre, nous avons organisé un meet-up en ligne pour revenir sur les différents projets menés par le Musée d’Ixelles et le Musée nationale de la Marine (voir ci-dessous), à consulter ICI.
Ces différents types de participation se nichent dans une diversité de sujets qui peuvent venir jusqu’à transformer la gouvernance des institutions pour induire plus de collaborations avec leurs publics.
Mettre en place une politique participative ou de co-gouvernance
Certaines institutions pour rester ancrées à leurs territoires développent, voire institutionnalisent des logiques participatives. C’est le cas du Musée de Bretagne qui revendique statutairement dans son projet scientifique et culturel l’ambition d’une gouvernance plus partagée avec les publics.
D’autres institutions mettent en place des instances facilitant la mobilisation régulière des publics à différents moments de la vie de l’établissement : en préfiguration de l’ouverture ou dans le cadre d’une rénovation d’un parcours de visite ou d’un bâtiment, pour tester une programmation, une exposition ou un dispositif de médiation. Le musée national de la Marine a, par exemple, mis en place des comités d’usagers pour la rénovation de son site parisien. Ces comités réalisés en 2021 et 2022 ont été composés de partenaires du champ social, éducatif et du handicap : représentants d’associations caritatives ou d’insertion, structures médico- sociales, éducateurs et enseignants, etc. Ces différents représentants d’usagers ont ainsi été réunis pour tester et évaluer les dispositifs numériques et audiovisuels, les supports (ex : dossiers d’enseignants) ou les activités de médiation mis à la disposition des groupes de visiteurs. Leurs différents retours ont ensuite été priorités et partagés avec les différents prestataires en charge de la refonte muséographique. A terme, ces comités d’usagers enrichiront un observatoire des publics permanent qui permettra au musée, grâce à la mise en place de telles instances, mais aussi d’un ensemble d’indicateurs, de mieux veiller à son accessibilité.
Les sources d’inspiration sont particulièrement variées pour mettre en œuvre une politique des publics plus inclusive et accessible : mise en place de solutions de transports, engagement des équipes dans des programmes d’inclusion, conception de dispositifs de médiation dédiée, modulation de la politique tarifaire, etc. Cette ouverture sociétale peut aussi induire des changements structurels et institutionnels forts pour mieux intégrer les différentes voix des publics. En fonction des orientations stratégiques d’un établissement, ces évolutions peuvent s’envisager selon les opportunités ou dans le cadre d’un repositionnement ambitieux et coordonné. Quoiqu’il en soit pour passer d’actions méritoires à des stratégies ayant de véritables impacts, l’engagement des équipes et des publics d’un lieu culturel à tous les niveaux (humain, organisationnel, financier, technologique) semble particulièrement primordial pour affirmer haut et fort la place des musées dans la société.
Antoine ROLAND