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3 juillet 2023

Construire une transformation collective, quelques retours d’expériences.

Table des matières

Le projet de recherche participative Cov’Culture associe une équipe de chercheuses aux compétences pluridisciplinaires * à des professionnels des arts et de la culture de la Région Nouvelle-Aquitaine tels que l’Agence culturelle du département de la Gironde, l’association familiale laïque de la Bastide, le festival de Confolens, les araignées philosophes et l’Avant-Scène (Cognac). Ce programme a pour ambition d’analyser sur le terrain et, en co-construction avec ces professionnels, les approches créatives et opérationnelles dont ils ont fait preuve pour s’adapter à la crise sanitaire. 

Plus globalement, l’équipe de recherche souhaite ainsi évaluer la façon dont cette crise révèle des changements plus profonds de pratiques et de relations aux publics en lien avec les mutations culturelles, environnementales et numériques que traversent le secteur de la culture. 

Dans le cadre de Cov’Culture, une journée d’étude a été organisée à la Maison des Suds à l’Université de Bordeaux Montaigne le vendredi 20 janvier 2022. Elle regroupait les différents participants de ce projet et d’autres auditeurs intéressés par les démarches participatives à l’œuvre dans cette initiative. Sur la base de différents retours d’expériences, cette journée a permis d’identifier les motivations de chacun dans ce travail collectif, d’en définir les modalités de collaborations pour maintenir l’engagement de tous et en valoriser les résultats. 

Cet article revient sur les différentes réflexions issues de cette journée collaborative et propose de mettre en avant un ensemble de pistes pour co-construire un projet culturel et de recherche. 

* Sarah Montero, Jessica de Bideran, Aurélie Chêne et Laetitia Devel

1. POURQUOI S’INVESTIR DANS UN PROJET COLLECTIF DE RECHERCHE ? ATTENTES ET MOTIVATIONS DE CHACUN DANS LE PROJET COV’CULTURE.

Pour débuter la journée d’étude, un temps de partage des attentes et motivations de chacun et chacune a été réalisé. Plurielles, ces attentes sont essentielles à appréhender pour définir ensuite de façon collective des leviers de mobilisation.

Un temps de parole pour chacun afin d’évoquer ses attentes et motivations vis-à-vis du projet.

Au sein de l’équipe de recherche, l’approche participative est revendiquée par les différentes chercheuses car elle oblige à être plus opérants et à se questionner sur ses propres postures et ses positionnements. L’observation et la contribution à un dispositif participatif induit d’accepter d’être déstabilisé et déplacé, la diversité du groupe oblige à s’ouvrir aux autres pour faire de la science ensemble. La co-construction semble donc un ingrédient essentiel pour contribuer à affiner la recherche et l’analyse.

Parmi les professionnels associés au projet, chaque structure s’engage déjà dans des démarches participatives avec leurs publics ou leurs partenaires. Chacun des professionnels a évoqué ses propres attentes concernant la démarche engagée dans le cadre de Cov’Culture tout en soulignant leurs spécificités en termes d’approches.

Le Festival de Confolens (en Charente) est un festival de musique du monde qui réunit plus de 350 bénévoles, 2 salariés et se développe en lien étroit avec les 2 700 habitants.

Comme l’a rappelé Delphine GARD, chargée de communication du festival de Confolens, les logiques participatives sont au cœur de l’ADN de cet événement. Néanmoins, un sentiment d’isolement est souvent ressenti par les organisateurs. Un projet participatif a donc de nombreuses vertus : il peut permettre d’ouvrir le champ des possibles, de rencontrer d’autres acteurs et de découvrir d’autres méthodes de travail. Après 3 ans de crise, un tel projet de recherche permet aussi de mieux cerner les impacts de la crise sanitaire sur les publics et les financements mais aussi de « se déplacer du côté de la rencontre » pour être soutenu et accompagné pour trouver des solutions très concrètes grâce à la création de groupes de travail.

L’IDDAC est une association loi 1901 participant activement à la mise en œuvre de l’action culturelle départementale de façon partagée avec un ensemble d’acteurs territoriaux.

Pour Laetitia Devel, responsable innovation et économie de la culture à l’Agence culturelle du département de la Gironde, il semble nécessaire, pour favoriser la participation entre professionnels et scientifiques, de s’acculturer au travail avec des chercheurs. Ce travail commun permet de s’ouvrir à des enjeux et contraintes différentes, mieux comprendre et décloisonner les approches en identifiant des éléments de réflexions des données pour l’agence et objectiver des observations.

L’Avant-Scène, scène conventionnée d’intérêt national en art et création pour les arts du mouvement basée à Cognac.

Pour Stéphane Jouan, directeur à l’Avant-Scène, un temps d’arrêt est nécessaire après avoir subi cette crise (alors que d’autres crises adviendront sûrement …). Ce temps d’arrêt permettrait d’évaluer les phénomènes de compensation mis en œuvre par les professionnels sans forcément s’attaquer à la structure de ces problèmes. Rentrer en confrontation, se poser des questions sont donc désormais essentiels pour aller plus en profondeur dans la compréhension de ces mutations, de ces dynamiques et d’identifier des actions correctives et structurantes à mettre en œuvre.

L’association familiale laïque de la Bastide œuvre pour l’accès aux droits sociaux, économiques et culturels des familles en situation de précarité.

Pour Bérénice Santana et Meryl Chaumont, médiatrices et assistantes sociales à L’association familiale laïque de la Bastide, il faut faire face à un manque de motivation général tant des professionnels que des publics très précarisés par la crise sanitaire. Un diagnostic, via un protocole d’enquête commun, semble désormais nécessaire pour mieux connaître ses publics, leurs pratiques culturelles, leurs points de vue et leurs besoins. Cette phase de diagnostic permettrait ensuite de trouver des pistes pour mieux les accompagner.

L’association des Araignées Philosophes (représentée par Jessica de Bideran lors de cette journée d’étude) évoque le fait que ce déplacement révèle d’autres changements, fragilités et nécessite de revenir aux fondamentaux pour retrouver sa place au sein des structures institutionnelles avec lesquelles elles travaillent. Il semble donc essentiel de s’interroger sur ses propres pratiques pour repenser et repositionner son rôle d’appui dans une dimension plus sociale et se former face à ces changements.

Une proposition de synthèse de ces différentes motivations et attentes.

Ces différents témoignages mettent en avant la diversité des approches en termes de diagnostic et d’analyse des impacts de cette crise sanitaire. Un désir de travailler en commun ressort, néanmoins, avec des attentes précises pour mieux diagnostiquer les effets de la crise sanitaire, mener une réflexion collective et mutualiser des pistes d’actions communes. Pour prolonger ce premier temps de partage, une intervention de Marta Severo, enseignante-chercheuse à l’Université Paris Nanterre (Laboratoire Dicen-IDF) a permis de positionner le projet Cov’Culture parmi d’autres projets culturels participatifs.

2. COMMENT COV’CULTURE SE POSITIONNE PAR RAPPORT A D’AUTRES PROJETS CULTURELS PARTICIPATIFS ? BREF HISTORIQUE DE CES PROJETS ET ENJEUX SOULEVES PAR CES DERNIERS.

Marta a commencé par élargir le contexte plus global dans lequel s’inscrit le projet Cov’Culture. Elle est ainsi revenue sur les origines des sciences participatives. Elle a ensuite partagé des retours d’expérience concrets de projets culturels participatifs et rappeler quelques enjeux qui pourraient être pris en compte.

Marta Severo est revenue sur différents projets culturels mettant en œuvre des approches participatives.

Historiquement, le phénomène des sciences participatives est relativement ancien. Il nait dans les années 70 dans le monde anglo-saxon sous le terme de « citizen science ». Ces projets visent à impliquer la population dans la recherche et à promouvoir l’échange avec des scientifiques pour que ces résultats soient profitables pour la société. Dans les années 90, Alan Irwin contribue à la popularisation de cette notion et démontre qu’en situation de crise, à l’instar de la crise de la vache folle, le recueil de connaissances de non scientifiques professionnels peut fortement étayer une démarche de recherche (pour en savoir plus, voir son intervention au Joint Research Center).

En France, dans le secteur culturel, le Muséum national d’histoire naturelle a joué un rôle pionnier dans le développement de projets participatifs tels que Vigie Nature. Ce programme de sciences participatives est « ouvert à tous les curieux de nature, du débutant au plus expérimenté ». En 2016, il revendiquait déjà plus de 14 000 participants.

Vigie Nature, un programme participatif pionnier porté par le Muséum national d’histoire naturelle.

La légitimité de ces approches a été, par ailleurs, confortée par la publication en 2016 d’un rapport sur les sciences participatives en France – Etat des lieux, bonnes pratiques et recommandations. Cette enquête, fondamentale dans son apport (bien qu’aucun projet avec une dimension culturelle ne soit mis en avant), définit les sciences participatives comme un ensemble de « formes de production de connaissance scientifiques auxquelles des acteurs non scientifiques interviennent ».

Le rapport Houllier sur les sciences participatives en France, une enquête fondamentale pour caractériser et recenser les enjeux des sciences participatives.

En 2016, le Ministère de la Culture en fait un axe prioritaire dans sa stratégie de recherche 2017-2020 en souhaitant « encourager les travaux de recherche sur les nouveaux défis sociétaux avec une approche participative ». 

La stratégie de recherche du ministère de la Culture 2017-2020 met en avant les approches participatives.

Ainsi dès 2017, le ministère de la Culture lance un appel à manifestation d’intérêt « Recherche culturelle et sciences participatives », où il invite chercheurs, professionnels et représentants de la société civile à se regrouper en réseau pour croiser pratiques de recherche culturelle et pratiques participatives. Une trentaine de chercheurs et professionnels du secteur culturel (archéologie, urbanisme, linguistique, arts, musicologie, communication, patrimoines…) se réunissent alors au sein d’un réseau nommé « Particip-Arc », coordonné par le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) pour mener des projets communs.

Particip-Arc, un réseau d’acteurs engagés pour les sciences participatives dans les domaines de la culture.

Après ce bref historique, Marta a évoqué quelques enjeux qu’il semblerait nécessaire à prendre en compte dans le cadre de Cov’Culture : 

  • Quand peut-on parler de « recherche » participative ? La participation favoriserait la production de nouvelles connaissances scientifiques. Pour ce faire, elle nécessite d’établir un protocole clair qui favorise l’apprentissage de compétences et le recueil de données « standardisées » tout en prenant garde à un ensemble de biais méthodologiques. 
  • Qui sont les « non-scientifiques » professionnels ? Le portail culturel Mémoire des Hommes impulsé par le ministère des Armées a fait l’objet d’un défi collaboratif sans précédent pour indexer plus d’un million de fiches documentaires en un an via l’opération 1 jour / 1 poilu. Un tel projet met en avant la diversité de ces participants et ouvrent un ensemble de questions sur :

    • Leur légitimité : sont-ils des amateurs ou des non-professionnels ? Par conséquent, l’information qu’ils apportent est-elle de même niveau ? 
    • Leurs statuts : Sont-ils bénévoles numériques volontaires ou involontaires ? Quelle communication et transparence apportées alors au traitement des données recueillies ?
    • La traçabilité des informations recueillies : Si les contributeurs sont connus ou anonymes (sous pseudo), comment s’assurer de la fiabilité de ces informations ?
  • Dans quelles mesures peut-on mobiliser ces non-professionnels ? Où peut-on les retrouver (espaces physiques ou en ligne) ? Comment les mobiliser en fonction de leurs contraintes calendaires (qu’ils soient professionnels ou amateurs) ? 
  • Comment traduire leurs expertises ? Du fait de leur provenance hétérogène, les savoirs recueillis sont de différents niveaux et nécessitent de croiser les approches.

Si les apports des démarches participatives sont essentiels, les questions qu’elles posent sont passionnantes et nombreuses. De telles questions nécessitent d’être prises en compte pour structurer l’approche scientifique du projet Cov’Culture.

3. COMMENT TRAVAILLER ENSEMBLE ? IDENTIFICATION DES MODALITES DE COLLABORATIONS

Fort de ce témoignage particulièrement inspirant, les participants de cette journée d’étude ont réfléchi dans le cadre d’un atelier aux différents niveaux de participation possibles à chaque étape d’un projet de recherche tel que Cov’Culture.

Un atelier de mise en pratique pour définir les modalités de travail au sein du projet COV CULTURE.

En fonction des phases de recherche, les participants à mobiliser sont plus ou moins nombreux pour favoriser les échanges et élargir les points de vue. Des rencontres intra-binômes entre professionnels et chercheuses peuvent favoriser le recueil d’informations précises sur la base d’entretiens. Des rencontres inter-binômes peuvent permettre de croiser les informations, de faire émerger des positionnements communs ou de partager des approches et des pratiques complémentaires. Des restitutions auprès de la communauté scientifique mais aussi auprès d’un public plus large permettre de valoriser les résultats de cette recherche participative mais aussi de l’enrichir d’un ensemble de points de vue additionnels. 

Les différents types de participation envisagés.

Cette démarche par cercles concentriques et successifs a ainsi permis de déterminer des temps de rencontres à chaque étape de la recherche. Le fruit de ces rencontres pourra ainsi être valorisé au sein de l’équipe projet à mesure que celui-ci prend forme mais aussi plus largement auprès des partenaires des professionnels, de la communauté scientifique mais aussi de toute personne intéressée (étudiants, chercheurs, professionnels ou amateurs) qui souhaiteraient accéder aux résultats de ce projet. 

Les différentes étapes du processus participatif.

Si la définition des modalités de participation semble essentielle, celle des productions à proposer l’est tout autant. Leur format, leur éditorialisation, leurs modalités de communication pourront favoriser leur diffusion et inciter à de nouvelles formes de partages et de participation avec un public plus large (partenaires, scientifiques, publics, etc.).

4. POUR ALLER OÙ ? DE PRODUCTION ET DE TRANSFERT

La journée d’étude s’est ensuite ouverte sur deux retours d’expériences pour évoquer les formats de restitution et de valorisation qui peuvent s’envisager dans le cadre d’approches participatives. Le premier a été proposé par Marcelle Dubé, universitaire du Québec à Chicoutimi sur la base d’un projet sur l’accessibilité culturelle, le deuxième, par Agnès Henry, universitaire à Paris 8 à partir d’une restitution artistique et créative particulièrement originale.

A. Retour d’expérience sur les démarches participatives mises en œuvre concernant un projet portant sur l’accessibilité culturelle au Québec.

L’observatoire des médiations culturelles a été créé il y a plus de 15 ans par un groupe de chercheurs et de praticiens. Cet observatoire met en avant des projets participatifs (médiation culturelle et normativités numériques, publications des cahiers de l’OMEC, etc.) et des outils (bibliographie, comptes rendus et ressources).

L’observatoire des médiations culturelles, une plateforme de ressources et d’outils au service des chercheurs et des professionnels.

La crise sanitaire a transformé les façons de faire tant des institutions que des chercheurs. Fort de ce constat, un chantier a été lancé en 2020 pour mener une étude sur la façon dont la médiation culturelle continue à favoriser l’inclusion sociale des publics marginalisés. Cette étude a été menée par une équipe d’étudiantes chercheuses (Maïlys Hervé (UQAM) et Alexandra Tourigny-Fleury (UQAM) sous la supervision d’Ève Lamoureux (UQAM), Noémie Maignien et Marcelle Dubé (UQAM-OMEC). 

Une première phase s’est tenue de mai à octobre 2020 pour recenser différents projets d’accessibilité menés dans les 17 régions administratives du Québec. 45 projets ont ainsi été documentés (24 dans la région de Montréal, 21 dans le reste du Québec). Ces projets particulièrement variés prenaient la forme d’actions de médiation, d’ateliers ou de résidences de co-création auprès de publics précarisés, de communautés autochtones ou de publics incarcérés. Leurs objectifs ? Développer des liens entre institutions culturelles, artistes, organismes communautaires, municipalités, médiateurs et médiatrices dans tous les champs culturels.

Cette première phase a donné lieu à la rédaction de 45 fiches de synthèse présentant les différents projets analysés.

La deuxième phase entre novembre 2020 et décembre 2022 a permis de mettre en place un outil à destination des médiateurs et médiatrices donnant certaines clés relatives à la conduite de ces projets d’inclusion. Malgré le peu de moyens financiers à disposition, l’équipe de recherche a ciblé plus particulièrement 10 projets. Sur la base de ce corpus, les chercheuses ont réalisé des entretiens individuels et ateliers avec les médiateurs / médiatrices à l’origine de ces initiatives. Ces rencontres ont ainsi permis de mieux comprendre les stratégies et mécaniques participatives mises en œuvre dans ces différents types de projets. 

Ces différentes itérations ont ainsi initié et favoriser la constitution d’une véritable communauté de pratiques avec les 45 organismes partenaires, réunie en mai 2021 pour revenir sur les différentes questions qui sous-tendent ces initiatives :

  • Quels types de projets ont été menés ? 
  • Comment les activités se sont déployées ? 
  • Quels en ont été les impacts ? 
  • Quelles en sont leurs forces ?

A partir de l’automne 2021, une période de rédaction a succédé à ces différents temps de rencontres. Cette rédaction a donné lieu à la sortie d’un outil en juin 2022. Cet outil met en avant les pratiques recensées pour transformer les rapports de domination qui structurent notre société en prenant en compte les enjeux d’inclusion, les logiques de partage de pouvoirs, la réalité des territoires, la précarité et la pérennité des projets et les leviers pour améliorer telles démarches dans le secteur culturel.

Le rapport final du projet sur la médiation culturelle et les publics marginalisés.

Ce projet a ainsi contribué à affirmer que la culture était un formidable outil de transformation individuel et collectif qui favorise le bien-être et le vivre ensemble. Des principes d’actions ont aussi été définis pour mieux définir les rôles de chacun dans un projet, les dynamiques relationnelles à l’œuvre, les impacts, les conditions et les enjeux visés. 

Parmi l’un des retours sur cette démarche, Marcelle Dubé rappelle qu’il est essentiel de « partir de ce que les gens font, pas de ce que nous, nous pensons qu’ils font ».

B. Retour d’expérience sur des modes de restitution artistiques d’approches participatives.

Pour cette dernière intervention de la journée d’étude, Agnès Henry, enseignante à Paris 8 en charge du pilotage de l’association extrapole, laboratoire d’expériences artistiques et culturelles a pris la parole.

Le retour d’expérience d’Agnès Henry d’un projet de recherche participatif et de sa restitution sous la forme d’un ouvrage artistique.

Le développement de démarches participatives dans le champ des pratiques artistiques est difficile à mettre en œuvre. Face à une logique de production et de diffusion précaire, les artistes ont des difficultés à prendre le temps de l’échange. Pour autant la nourriture d’une pratique artistique nécessite d’expérimenter mais la pression exercée par cette précarité sur les artistes rend difficile la possibilité de conserver une dynamique participative dans le temps.

A partir de ce constat, Agnès a évoqué une enquête menée en 2017-2018 avec la collaboration d’Emmanuelle Segura sur l’évolution de l’action artistique et culturelle. Cette enquête avait pour terrain 3 structures culturelles dont les 3 directions avaient alors été renouvelées récemment : le CCN2 – centre chorégraphique national de Grenoble, le Magasin des horizons- centre national d’art contemporain et le Pacifique – Centre de développement chorégraphique national. Cette « trilogie » d’institutions (ainsi évoquées dans le projet) avaient la volonté de mieux s’ancrer sur le territoire et de travailler en proximité pour donner de la visibilité aux invisibles.

1,5 an d’observation participante a donc été menée pour identifier des dynamiques communes d’actions de la part de ces institutions sur leur territoire. Fortement inspirée de la méthodologie de la cartographie des controverses de Bruno Latour, ce projet avait pour objectif de co-énoncer avec les institutions leurs besoins et les problématiques rencontrées. Le chercheur n’étant finalement pas le seul détenteur de l’objet qui se construit au fil de l’enquête.

A partir de cette enquête, l’autrice Emilie Notéris a été invitée à produire une fiction en 2018. En 2021, paraît Le nœud de Prusik. Ouvrage au titre évocateur (le nœud de Prusik est un nœud autobloquant) pouvant être lu depuis le verso ou le recto, met en avant les différents blocages institutionnels auxquels peuvent faire face les ambitions d’accessibilité et d’inclusion des institutions culturelles dans la relation à leurs tutelles et à leurs publics.

Le nœud de Prusik, la restitution artistique de ce projet de recherche.
Lecture du nœud de Prusik à 2 voix réalisée lors de la journée d’étude.

Au-delà de la découverte d’une très belle transformation d’une étude universitaire en un ouvrage créatif et original, le témoignage d’Agnès a été particulièrement riche. Il a permis d’évoquer :

  • La difficulté de conserver la mobilisation de tous dans le temps alors que la recherche n’est pas forcément ancrée dans le quotidien. Or, les différentes directions, en crise permanente, avaient de véritables difficultés à libérer du temps. Les délais de réponses des différents participants ont ainsi participé à distendre le processus et la dynamique de travail. La mise en place d’un agenda et d’une feuille de route sont, par conséquent, essentiels pour baliser des temps de réflexion, avancer et alimenter en permanence un processus de co-construction très mouvant.
  • La « position de fragilité » et de précarité de la recherche lorsque tout tourne autour de l’institution sans parfois oser questionner et formaliser certains moments de travail très informels. Tant le poids institutionnel que la logique de production et de diffusion en vigueur dans le spectacle vivant participent, selon Agnès, au fait que « les usages pèsent parfois sur les pratiques et pas de la même façon pour tout le monde ». Il semble donc nécessaire que le cadre de la recherche soit posé de façon formelle à l’instar d’une charte d’engagement proposée par des structures à des bénévoles. 

Enfin, le fait de s’adresser principalement aux directions a, par exemple, joué dans la faible participation des artistes qui ont ainsi identifié le projet comme celui d’une commande. Pour autant, les ateliers d’écritures ont été l’occasion d’échanger avec les équipes des 3 lieux et des artistes. Les artistes restaient néanmoins, dans une posture de critique institutionnelle, Agnès dans une ambition prospective. Ce décalage d’approches nécessite de faire face à l’injonction de l’impossible où l’on demande à la recherche d’être à tous les endroits.

L’alternance d’ateliers, de témoignages et de retours d’expériences sur des projets de recherche participatifs durant cette journée d’étude ont suscité de nombreux échanges entre participants. De cette riche journée semble ressortir le fait que les motivations à participer à un tel projet sont multiples. Entre volonté d’ouverture, de décloisonnement, voire, de confrontation, les approches participatives semblent favoriser la définition de réflexions ou d’esquisses de solutions sur la base d’un diagnostic commun. Pour autant ces approches ne sont pas exemptes de questionnements et de difficultés. L’ouverture qu’elles induisent semblerait nécessiter un cadre partagé, une temporalité maîtrisée et la coordination de différentes contributions aux statuts et aux légitimités multiples. Les restitutions qui peuvent être faites de ces démarches sont particulièrement variées et peuvent prendre des formes aussi différentes qu’un outil à destination de professionnels ou qu’une proposition artistique et créative. Le projet Cov’Culture, à l’instar d’autres projets de recherche participative, est en train de définir sa voie parmi ses multiples enjeux et possibilités.