Peut-être que la situation de confinement que nous vivons sera une parenthèse ? Peut-être celle-ci se reproduira ? Pour le moment, nul n’est en capacité de le (pré)dire. Seule chose sûre en ces temps incertains, le confinement produit un « effet grossissant » sur la présence en ligne des institutions culturelles, unique alternative pour maintenir un lien avec leurs publics. Ce révélateur permet de découvrir les établissements qui ont une maturité et les moyens en la matière. Leurs pratiques sont donc particulièrement inspirantes. Pour autant, le site web et les réseaux sociaux d’une institution ne sont qu’un levier au service d’une stratégie globale de médiation et de communication et ne peuvent en aucun cas se substituer à ce qu’elle peut offrir en termes d’expérience sensible, matérielle et humaine. Sur ce point, nous rejoignons entièrement, la directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, Nathalie Bondil qui estime que « l’art est lié à l’émotion et à l’expérimentation, donc les visites dans les musées se poursuivront. Le numérique pourra préparer la visite et la compléter, mais ne s’y substituera pas » (cf. l’article du 14 avril 2020 publié dans le journal canadien La presse).
Dans cet article, nous partagerons quelques enjeux sur la période que nous vivons dans le secteur patrimonial. Nous présenterons aussi quelques pratiques inspirantes réalisées par des lieux culturels sur le web et les réseaux sociaux. Enfin, en vue du déconfinement, nous évoquerons la nécessité d’intégrer sa présence en ligne dans une stratégie globale des publics. Pour ce dernier point, nous évoquerons le travail mené avec l’Institut français de Russie lors d’une mission démarrée l’année dernière.
1. Des enjeux anciens révélés par une situation inédite.
En préparation d’une participation de {CORRESPONDANCES DIGITALES] à un webinaire prévu début mai pour les lieux touristiques et culturels du Val d’Oise, nous avons tenté de cerner quelques enjeux liés à cette crise. Une conviction en est particulièrement ressortie : la crise que nous vivons accentuent des enjeux qui préexistaient à celle-ci.
L’enjeu du lien aux publics : maintenir le lien, ouvrir et fidéliser une nouvelle audience.
Les médiations en ligne déployées durant le confinement semblent se baser, et cela peut se comprendre aisément, en grande partie sur des contenus publiés avant le confinement. Le numérique comme unique option et la rediffusion par les médias de certaines ressources publiées par les musées à donner une visibilité sans précédent à ce type de contenus. La situation a donc été bénéfique pour ouvrir l’audience des lieux culturels dont les initiatives ont été les plus relayées. Sur ce point, malheureusement, comme toujours, se sont plutôt les institutions les plus visibles qui ont principalement bénéficié de cet octroi de visibilité supplémentaire. Difficile donc de tirer une conclusion globale pour tous les musées même si les plus actifs sur les réseaux sociaux ont aisément poursuivi leurs activités. Pour les autres, ce fut potentiellement le silence imposé.
L’enjeu de la collaboration entre professionnels : travailler en transversalité en interne et en réseau avec les autres lieux culturels.
La fermeture des lieux physiques a fait basculer le poids de toute les relations aux publics sur les community managers des musées. Dans les musées les plus visibles sur les réseaux sociaux, ce travail est parfois géré par une équipe dédiée, ce qui est plutôt l’exception. En règle générale, ce travail repose sur un community manager ou sur le volontariat et les compétences d’un professionnel sur un temps donné de son activité. Dans cette situation, il pourra être intéressant d’analyser si le travail en transversalité avec d’autres métiers a été facilité et si cette solidarité peut perdurer lorsque les musées retrouveront leur marche normale. Par ailleurs, ce questionnement peut porter aussi sur les liens entre lieux culturels, la logique de réseau a-telle mieux fonctionné en cette période ? Peut-on envisager des effets de mutualisation et de synergies de façon plus pérenne dans les prochains mois ?
L’enjeu économique : la présence en ligne des musées doit-elle (et peut-elle) permettre de générer des revenus ?
D’un point de vue économique, le confinement a stoppé et va ralentir pour de nombreux mois la fréquentation des lieux culturels, notamment, internationale. La crise économique qui se profile risque de produire des mesures d’économies publiques et privées et produit déjà des impacts lourds sur les métiers les plus précaires. Dans une telle situation, La présence en ligne des musées doit-elle être envisagée comme un véritable service public ou doit-elle permettre de générer des revenus ? Encore faut-il que les publics en ligne soient prêts à payer… Bruno Girveau, directeur du Palais des Beaux-arts de Lille pense ainsi qu’il faudra « une place plus importante sur le net, sans attendre nécessairement un retour immédiat » (Interview à lire en intégralité sur le site du Club innovation et culture).
Pour creuser ces différents enjeux, un formidable travail a été réalisé par l’Ocim qui a ouvert un espace de réflexions à des responsables et chercheurs du monde muséal. Face à ces enjeux différentes initiatives prises par des lieux culturels ont été particulièrement remarquables.
2. Quelques pratiques inspirantes réalisées par des lieux culturels sur le web et les réseaux sociaux.
Comme précédemment évoqué, beaucoup de musées et monuments se sont basés sur des contenus déjà produits avant la crise. Ces contenus ont trouvé une nouvelle vie pour des publics tenus à distance et confinés à leurs domiciles. A défaut de liens physiques, des initiatives ont été prises aussi de façon plus spontanée pour favoriser une communication personnalisée et plus interactive entre lieux culturels et communautés. Sans refaire une liste exhaustive de ces réalisations déjà fortement relayées dans la presse, voici brièvement quelques pratiques, fruit d’une excellente maturité numérique de certains établissements patrimoniaux.
La publication de ressources utiles en cette période créées avant le confinement.
Pour rêver, apprendre, se divertir ou expérimenter, nombreuses ont été les propositions des lieux culturels. Le confinement a ainsi été propice à la curation de contenus et ressources produites par le passé par des institutions culturelles. A ce titre, le musée d’Orsay (avec, par exemple, les petits M’O, sa plateforme dédiée aux jeunes publics), Paris Musées ou le Centre des monuments nationaux ont régulièrement proposé des ressources particulièrement riches (cf. cet article de Cnews sur le sujet) . Des vidéos, podcasts, playlists, visites virtuelles proposition d’activités et de jeux, livrets pédagogiques ou MOOC ont été ainsi mis à la disposition des publics de ces établissements.
Le développement d’initiatives plus spontanées durant le confinement.
Nombreuses ont été les initiatives réalisées en réaction à la situation de confinement que chacun vivait. Si en premier lieu, la communication en ligne a servi de pis-aller pour présenter des expositions reportées ou annulées (ce fut le cas par exemple de l’exposition Pompéi au Grand Palais), elle fut aussi l’occasion de réaffirmer le rôle sociétal que joue les lieux culturels.
Des échappatoires poétiques, artistiques, culturels ou pédagogiques au confinement ont ainsi été proposés aux publics en ligne. Ce fut le cas, par exemple, du jeu concours proposé par la Maison européenne de la photo en collaboration avec la Maison de la poésie et le Forum des images.
En lien étroit avec l’actualité, des lieux patrimoniaux, notamment des centres culturels scientifiques techniques et industriels (CCSTI) ont aussi favorisé l’information et ouvert des espaces d’échanges et de réflexion en proposant des contenus de qualité. A titre illustratif, la Cité de l’économie a mis à disposition différentes ressources pour comprendre les impacts économiques du Covid-19.
Néanmoins, si cette situation venait à perdurer, elle déséquilibrerait durablement les liens entre publics et lieux culturels en privant ces dernières d’un ensemble de leviers et d’actions nécessaires à la réalisation de leurs missions. Tout d’abord, d’un point de vue économique et budgétaire, sans réouverture physique, les lieux patrimoniaux ne pourront contribuer au développement de leurs ressources propres alors même que les financements publics dans le secteur culturel risquent de se réduire toujours un peu plus. Par ailleurs, face à une fracture numérique réelle, les actions physiques restent essentielles tant dans les murs qu’hors les murs pour œuvrer aux missions de démocratisation culturelle de ces établissements publics.
3. Intégrer sa présence en ligne dans une stratégie globale des publics.
Avec la perspective d’un déconfinement prochain qui sera plus ou moins long selon la densité de la fréquentation des musées, il est important d’évoquer plus avant les liens complexes entre présence en ligne et présence physique auprès des publics.
Des publics dans les murs différents des publics en ligne et qui nécessitent donc des approches dédiées.
Sur ce point, c’est donc l’occasion de revenir sur un article que nous avions rédigé il y a quelques temps : Le numérique a-t-il tué la médiation physique des musées ?
Dans cet article, nous insistions sur la différence entre publics en ligne et in situ en rappelant la difficulté d’établir comment un visiteur en ligne devenait un visiteur physique. Ce fut aussi l’occasion d’évoquer la diversité d’usages auxquels les publics en ligne s’adonnent sur le web et les réseaux sociaux des lieux culturels.
Durant le confinement, la présence en ligne comme unique option a potentiellement développé de nouveaux usages et de nouveaux réflexes de la part des publics (cf. les exemples évoqués ci-dessus). Cela nécessitera d’avoir un certain recul pour mesurer la façon dont ces usages se pérenniseront. En guise d’ouverture et pour embrayer sur l’«après-Covid19 », il peut sembler intéressant de revenir sur l’articulation d’une présence en ligne avec le positionnement physique d’un lieu culturel.
Intégrer sa présence en ligne dans une stratégie globale des publics.
L’année dernière, avec {CORRESPONDANCES DIGITALES], nous avons eu le plaisir d’intervenir à Moscou auprès de l’Institut Français de Russie. Opérateur culturel de l’Ambassade de France, l’Institut Français donne efficacité et visibilité aux activités de coopération menées en Russie par la France : culture, formation et langue française. En charge de l’animation du réseau des 12 Alliances Françaises dans toute la Fédération, l’Institut Français, présent à Moscou et Saint Pétersbourg, souhaitait définir une stratégie numérique commune à l’ensemble de ces acteurs.
Pour définir cette stratégie, un premier travail a donc consisté à étudier le positionnement que l’Institut Français de Russie revendique auprès de ses concurrents, de ses partenaires et de ses publics.
Suite à ces premières réflexions, une analyse plus fine avec les directions des Alliances Françaises a consisté à analyser la façon dont se matérialise ce positionnement (enjeux et missions, programmation culturelle et événementielle mais aussi politique tarifaire) et vérifier si celui-ci se décline clairement :
- Auprès des publics accueillis dans les murs des Alliances Françaises et Instituts Français de Russie via un ensemble de médiations matérielles (dont l’affichage et la signalétique) et humaines.
- Auprès de leurs concurrents, partenaires et publics potentiels (ou non publics) dans le cadre de leurs relations publiques et presses ainsi que de leurs communications numérique, print et événementielle.
Pour mener ce diagnostic, des profils-types de publics ont été définis par les participants afin d’imaginer et formaliser l’ensemble des étapes par lesquels ces publics sont passés pour rentrer en contact avec une Alliance Française ou un Institut Français et, éventuellement, participer à des activités qui leur étaient proposées. Cela a permis aussi de passer en revue les différents supports qui leur étaient mis à disposition, et donc, de revenir sur leur clarté, leur homogénéité et le cheminement proposé.
Sur la base de ce diagnostic, une feuille de route a été élaborée pour améliorer tant les relations aux partenaires, que les relations presses, la communication Web, print et événementielle.
Cet exemple permet donc d’évoquer la nécessité d’une approche globale des publics pour proposer un continuum d’expériences en ligne et physique quand bien même certains d’entre eux resteront sur le pas de la porte des musées et profiteront de la richesse des activités proposées sur leurs sites web et réseaux sociaux. Il n’est donc pas forcément nécessaire de façonner un « double éditorial » entre visite physique et en ligne mais de continuer à entretenir ce riche dialogue entre numérique, humain et sensible.
La pandémie que nous subissons agit comme un révélateur, voire comme un accélérateur, de la maturité numérique des établissements patrimoniaux. Cette situation inédite nécessite donc de s’appréhender avec un certain recul pour bien anticiper ce qui change dans les rapports aux publics et dans les pratiques des professionnels au service du patrimoine et de ces publics.