Le Louvre Abu Dhabi a récemment fêté ses 5 ans, le Centre Pompidou a récemment implanté des antennes à Malaga, à Shanghai ou à Bruxelles. Cependant, l’action et le rayonnement des musées ne se limitent pas à ces quelques exemples emblématiques. Les échanges entre homologues culturels français et internationaux sont variés. Nombreuses sont les formes de collaborations et de transmissions mises en œuvre par les musées français pour diffuser leurs savoir-faire et collections à l’étranger : prêts d’œuvres, coopération internationale, ingénierie culturelle, itinérances d’expositions temporaires, etc. Une riche expertise que la France exporte pour amener aux portes de chaque pays l’exception culturelle française qui n’est pas exempte de défis tant technologiques qu’en termes d’écoresponsabilité.

1 – LE CONSEIL ET L’INGÉNIERIE POUR TRANSMETTRE LE SAVOIR-FAIRE CULTUREL ET MUSÉAL FRANÇAIS.

Le Conseil International des Musées (ICOM) définit le cœur de métier des musées comme étant « la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel ». Autant de savoir-faire et d’expertises propres aux professionnels muséaux qui peuvent être valorisées au gré des projets et des opportunités de collaborations (en lien avec des prêts d’œuvres ou en lien avec des projets de coopération) ou de façon plus pérenne ou systématisée (accompagnement à la création ou à la transformation de lieux opérés par les services dédiés d’un lieu culturel).

A. Accompagnement des institutions culturelles internationales en lien avec les prêts d’œuvres.

Certains musées accompagnent ponctuellement des institutions culturelles étrangères ayant une proximité avec les collections qu’elles exposent. Suite à l’ouverture d’un musée consacré aux artistes contemporains du monde arabe, le Centre Pompidou a, par exemple, signé le 12 mars un contrat de partenariat avec les équipes de la Commission royale pour AlUla (RCU) en Arabie Saoudite. Beaubourg apporte ainsi à ces équipes « son expertise scientifique et technique dans la formation du personnel, particulièrement en matière de conservation, de gestion des collections et de médiation » selon le communiqué de presse.

B. Accompagnement des institutions culturelles internationales en lien avec des projets de coopération.

Une telle expertise peut aussi faire l’objet d’échanges interculturels entre professionnels. Le Musée des Confluences de Lyon est, quant à lui, intervenu en 2022 au Vietnam dans le cadre d’une coopération internationale.

Cette intervention de 6 jours a permis de former des professionnels du patrimoine vietnamiens sur l’accueil des publics in situ et de les accompagner dans la transposition au Vietnam d’un dispositif de médiation hors-les-murs actuellement déployé dans la métropole lyonnaise : les Cabanes à Histoires. Cette formation était destinée aux musées de Saigon, Danang et Hué grâce à un soutien de la Métropole Grand Lyon et d’un partenaire local, l’ambassade de France du Vietnam. 

En lien avec un tel projet de coopération culturelle, d’autres exemples d’échanges et de partages scientifiques inscrits dans les enjeux de diplomatie culturelle de l’Etat français peuvent être évoqués. A titre illustratif, le Musée de l’Armée a collaboré en 2022 avec plus de 12 établissements culturels étrangers, dont le Deutsches Historisches Museum et le Rütskammer en Allemagne, le Musée royal de l’armée et de l’histoire militaire de Bruxelles, Imperial War Museums à Londres, le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg ou encore le Livrustkammaren suédois (source). 

Pour l’ensemble de ces projets, le rôle des ministères de tutelle, des ambassades et du réseau des instituts français y est essentiel et doit être particulièrement souligné.

C. Accompagnement des institutions culturelles internationales sur des projets de transformation ou de création au long cours.

Des musées interviennent aussi sur des projets d’ingénierie au long cours. C’est le cas de la Cité du Vin qui valorise son expertise à l’international en termes de médiations autour des procédés viticoles.

Depuis 2019, les équipes de la Cité participent à la création du Musée Universel du Vin dans le district de Fangshan, en Chine, près de Pékin. Pour Philippe Massol, directeur de la Cité, il était « important que la fondation soit partie prenante d’un tel projet puisqu’elle est reconnue d’utilité publique, et a pour but de rendre accessible au plus grand nombre la culture du vin ». Ce projet, dont l’ouverture est prévue pour 2024, est appelé à se reproduire dans d’autres lieux dédiés au vin, notamment au Chili et en Italie (pour plus d’informations, lire cet article).

D. Accompagnement des institutions culturelles internationales via des services d’ingénierie culturelle dédiés.

Des établissements culturels peuvent aussi créer un service dédié afin d’exporter et transmettre leurs savoir-faire. 

Louvre Conseil en est un bon exemple. Ce service du Musée du Louvre mobilise les professionnels du musée pour valoriser leurs expertises et accompagner les institutions culturelles internationales dans leurs projets de transformation dans le cadre de formations, activités d’audit ou de conseil. Louvre Conseil a, par exemple, contribué à la réhabilitation du musée de Mossoul en Irak, du Musée de la Boverie à Liège ou du Musée national de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo. C’est aussi la raison d’être de l’agence de conseil et d’ingénierie culturelle France Muséums qui accompagne, avec l’appui d’un réseau de 17 établissements culturels partenaires (Musée d’Orsay, Musée du quai Branly, Musée Rodin…), les projets de création ou de transformation de lieux culturels à l’international. 

Plébiscités pour leurs expertises scientifiques, les musées français interviennent auprès de partenaires étrangers via des actions d’audits, de formations, de conseils, actions de récolement, participation à des recherches, actions de coopérations diplomatiques… Cette présence culturelle inédite permet à la France de s’appuyer sur des experts de la conservation, de la recherche scientifique, de la médiation et de l’accueil des publics pour diffuser à l’international la culture et les savoir-faire français. Un soft power efficace pour diffuser à l’étranger la culture française, amplifié aussi par l’itinérance de nombreuses expositions temporaires.

2 – LES EXPOSITIONS ITINÉRANTES POUR DIFFUSER ET FAIRE RAYONNER LA CULTURE FRANÇAISE.

L’itinérance d’expositions implique un ensemble d’acteurs variés à toutes les phases de leur réalisation : production, conception, distribution et exploitation. Pour y parvenir, les musées peuvent s’appuyer sur des expertises scientifiques françaises reconnues, développer des collaborations avec des partenaires locaux, voire, créer des services et des offres dédiés à cette diffusion. 

A. Créer et diffuser des expositions en se basant sur un savoir-faire et des expertises reconnus.

Les différents exemples cités précédemment illustrent la richesse des expertises scientifiques des musées français. Certains partenaires publics et privés participent aussi à la diffusion de cette expertise scientifique à l’instar de l’unité de recherche technologique Archéovision.

Cette filiale de l’Université Bordeaux Montaigne a récemment participé à la création de l’exposition immersive sur le patrimoine de Lalibela. Cette exposition est le fruit d’une étude de conservation qui a permis de réaliser la numérisation et les relevés 3D de onze églises rupestres classées au patrimoine mondial de l’UNESCO en Éthiopie. Cette collaboration a été mise en oeuvre grâce à un partenariat international entre le ministère des Affaires Étrangères, le ministère de la Culture et l’ambassade de France en Ethiopie (pour en savoir plus sur ce projet, voir la présentation réalisée à l’occasion des Duos de l’innovation lors de la dernière édition de Museum Connections). 

B. Faire appel à des partenaires locaux.

Pour assurer une diffusion dans certaines régions, la mise en place d’un projet d’exposition commun avec une institution culturelle locale peut faciliter la mise en contact avec d’autres partenaires. 

Pour son exposition « bébés animaux », le Museum de Toulouse a monté en 2014 une coproduction avec le Muséum des sciences naturelles de Bruxelles.

Cette coproduction a ensuite facilité la distribution auprès de trois musées du Benelux (le Museon de La Haye au Pays-Bas, le Muséum de Bruxelles ou encore le Science Center Heilbronn en Allemagne).  

Autre exemple de diffusion particulièrement original avec l’appui d’un partenaire implanté localement, celui de l’exposition itinérante Notre-Dame de Paris : l’exposition augmentée.

Cette exposition conçue par l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EPRNDP) avec l’entreprise Histovery a bénéficié du mécénat de L’Oréal. A ce titre, l’exposition a bénéficié de l’appui de l’Oréal pour une itinérance dans 6 pays où le groupe est présent (National Building Museum de Washington, Dubai World Expo, le Collège des Bernardins, le Grand Garden Palace de Dresde, à la Collection Historique de la Nouvelle-Orléans, au Bund 18 de Shanghai) et actuellement dans la Maison de France à Berlin.

C. Développer des compétences en interne pour assurer la diffusion d’expositions.

Les institutions culturelles peuvent aussi mobiliser leurs équipes en interne pour produire et diffuser leurs expositions à travers le monde. L’exemple du château de Versailles en Asie illustre bien cette mobilisation et la valorisation de ces compétences en interne.

Depuis 2018, l’exposition numérique Virtually Versailles se déploie gratuitement en Chine pour valoriser des relations de longue date et faire rayonner le domaine de Versailles en Asie. Plusieurs dispositifs immersifs – tels que des vélos connectés, des casques en réalité virtuelle (diffusant les œuvres VR Versailles VR et Vivez Versailles), des hologrammes ou encore des salles de projection 380° – parviennent à reconstituer à distance le château. Pour parvenir à être diffusé à Singapour (2018 – 50 000 visiteurs en 5 semaines d’exploitation), Shanghai (2021), Honk Kong (2023) et prochainement (sous réserve de l’actualité internationale) à Beijing, Shenzen, Hangzhou, Wuhan, Chengdu, Chongqinq et Xi’an, Versailles pilote la distribution en s’appuyant sur un partenaire local dans chaque ville, comme le Hong Kong Heritage Museum actuellement. 

L’internationalisation de l’expertise numérique de Versailles contribue au rayonnement de cette institution culturelle. Au-delà de cette expertise technologique, de nouvelles approches liées à l’itinérance d’expositions plus éco-responsables peuvent être sources d’innovation. Ces approches ont fait l’objet d’un précédent article de restitution de l’un des thèmes abordés lors de la dernière édition de Museum Connections : Comment rendre un lieu culturel plus durable et écoresponsable ?.

3 – EN GUISE D’OUVERTURE : QUELQUES ENJEUX SUR LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX LIÉS À CETTE POLITIQUE D’INTERNATIONALISATION. 

A l’instar des déplacements des publics, les mouvements d’œuvres et d’expositions à l’international posent la question de leurs impacts environnementaux. Un aspect déjà abordé par de nombreuses institutions culturelles, à l’image du Muséum de Toulouse. Pour rendre plus durables l’itinérance de son exposition « Impact, la biodiversité en question », l’institution toulousaine a mené différentes actions au cours  : 

• DE LA CONCEPTION : Réutilisation de 95% des éléments de présentation issus d’une exposition londonienne, recyclage de bois issus d’une ancienne usine, utilisation de matériaux écologiques (panneaux composites en aluminium Dibond® 100% recyclables, cartons alvéolaires et encres écologiques) ;
• DE L’EXPLOITATION : Installation des textes traduits sur des panneaux magnétiques placés au-dessus des originaux, communication en priorité avec les publics potentiels dans un rayon de quelques centaines de kilomètres autour de l’exposition en cours ;
• DE LA DISTRIBUTION : Compensation carbone prévue pour chaque trajet, transport dans des flight cases (roulants et légers) en repérant « les musées et sites culturels capables de recevoir ces caisses » ;
• DE LA FIN DE CYCLE : partenariat avec une plateforme de recyclage (recyclage ou réintégration dans une économie circulaire) vers de nouveaux usages (mobilier, design) ou réinstallation dans les ICC (théâtre, cinéma…).

En conclusion, les institutions culturelles qui s’engagent à l’international ont des approches particulièrement variées. Bien que ces approches s’inscrivent dans leurs missions scientifiques et de diffusion, elles peuvent répondre à des enjeux très variés tant de coopération culturelle, que de communication ou de développement de ressources propres. En fonction de ces enjeux, elles sont intégrées différemment au sein de leurs organisations (mobilisation d’équipes ad hoc ou création de services dédiés). Elles peuvent aussi faire l’objet de collaborations très diversifiées (réseaux diplomatiques, laboratoires de recherche, institutions culturelles locales, entreprises, etc.). Elles sont enfin un terrain primordial d’expérimentations tant d’un point de vue de l’innovation technologique qu’en termes d’éco-responsabilité.

Antoine ROLAND / Baudouin DUCHANGE