Accélérateur
de projets

10 juillet 2019

Innovation et lieux de culture : de l’expérimentation a la pérennisation ?

Table des matières

Le jeudi 27 juin ont eu lieu les rencontres IESA au 11 Conti — Monnaie de Paris. Créées il y a 2 ans en collaboration avec {CORRESPONDANCES DIGITALES], ces rencontres accueillent un parterre de professionnels (agences, institutions culturelles, universitaires) pour échanger sur différentes thématiques autour du numérique et de l’innovation dans le secteur culturel.

Cette année, 4 thèmes sont abordés :

  • Expositions / médiations immersives : que change le numérique ?
  • A quoi sert l’open data / content ?
  • Comment le numérique peut favoriser la préservation du patrimoine ?
  • Innovation et lieux culturels : de l’expérimentation à la pérennisation.

Cet article propose de synthétiser les échanges de la quatrième rencontre sur le rapport des lieux culturels à l’innovation. Il sera l’occasion d’interroger ce que l’innovation peut faire évoluer au sein des établissements culturels en termes de stratégies, d’organisations, de compétences mais aussi dans leurs rapports aux autres institutions culturelles, à leurs publics et aux entreprises.

1. En introduction, une mise en perspective.

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introductive réalisée par les étudiants de l’IESA.

Cette rencontre a été introduite par les étudiants du Master 2 Patrimoine de l’IESA pour proposer quelques réflexions sur l’innovation. Cette introduction met en avant la diversité de l’innovation, celle-ci peut répondre à des évolutions d’usages, d’organisations ou de technologies. Ces évolutions peuvent être, quant à elles très douces (incrémentales) ou de rupture (radicale). La recherche d’innovation dans les lieux culturels recouvre donc une pluralité d’enjeux en termes de :

  • Stratégies d’établissements,
  • D’organisation et de gestion des compétences,
  • De relations aux publics.

Pour répondre à ces questionnements, cette quatrième rencontre a réuni :

Pour écouter le podcast de la rencontre, c’est ici :

2. Le Centre des monuments nationaux : de l’expérimentation à l’incubation de l’innovation.

00:3 : Où Valérie Senghor présente brièvement le Centre des Monuments Nationaux et leur stratégie d’innovation

Le Centre des Monuments Nationaux (CMN) représente un réseau national de 106 monuments qui comprend de grands lieux emblématiques comme le Panthéon, l’Arc de Triomphe, la cathédrale de Reims etc.

Une diversité de monuments sont gérés par le CMN.

Le CMN a 3 missions principales :

  • Ouvrir aux publics les monuments,
  • Les restaurer,
  • Et, en diversifier la fréquentation à travers une programmation culturelle et artistique distinctive.

Pour répondre à ces missions, innover est essentiel. A ce jour, plus de 50 projets innovants développés en fonction des problématiques de chacun des monuments du réseau contribuent à valoriser la programmation culturelle du CMN, à communiquer au grand jour sur les opérations de restauration menées et à diversifier les publics.

Présentation des expérimentations menées au sein du CMN.

A titre d’exemple, un dispositif de robots-guides est testé actuellement pour faciliter l’accessibilité de la villa Kérylos aux publics empêchés et à mobilité réduite grâce à un système de pilotage à distance.

Innover pour développer l’accessibilité des monuments, c’est l’enjeu du projet de la Villa Kerylos.

7:00 : Où Valérie Senghor évoque l’incubateur du patrimoine

La légitimité et la pérennité d’une stratégie d’innovation ne peuvent être assurées que si cette stratégie s’aligne clairement avec les missions d’un établissement. La création de l’incubateur du patrimoine l’an dernier s’inscrit dans cette volonté de structuration des actions conduites dernièrement. Avec cet outil, l’innovation numérique s’intègre mieux à l’organisation du CMN.

Sur la base du volontariat, chaque monument qui le souhaite s’engage dans les expérimentations proposées par les start-up incubées par le réseau et contribue ainsi de façon plus enthousiaste à l’intégration de ces innovations dans leurs lieux. Selon les résultats de ces expérimentations, le CMN peut ensuite envisager la pérennisation de certains dispositifs dans le cadre d’un appel d’offre.

Quelques expérimentations menées avec la première promotion de l’incubateur du patrimoine.

A noter que les start-up incubées ne se concentrent pas uniquement sur des innovations technologiques. La deuxième promotion récemment annoncée est composée de 3 start-up (sur les 8 sélectionnées)dont les offres s’engagent résolument dans des logiques de développement durable.

Présentation de la 2e promotion de l’incubateur du patrimoine récemment annoncée.

La stratégie d’innovation du CMN s’est bâtie sur un ensemble d’expérimentations menées depuis 10 ans. Depuis 2 ans, grâce à la création de l’incubateur du patrimoine, ces expérimentations sont accompagnées en lien étroit avec les monuments pour en faciliter l’internalisation et en assurer la pérennité.

La Bibliothèque nationale de France, à l’instar du CMN, souhaite aussi appuyer les projets innovants pour permettre aux collaborateurs de monter en compétences.

3. La Bibliothèque nationale de France : l’expérimentation au coeur des changements de méthodes et de l’organisation du travail.

14:02 : Où Pauline Moirez évoque le rapport de la BnF à l’innovation.

Institution de 2 400 personnes réparties sur 5 sites, rassemblant des millions de documents et accueillant 2 millions de visiteurs annuels, la BnF est une institution culturelle ancrée dans son histoire.

Quelques chiffres concernant la BnF.

La culture de l’excellence, de l’érudition et de la perfection qui font l’identité de l’établissement ne favorise pas l’expérimentation et l’agilité qui peuvent être, parfois, nécessaires à l’accueil d’idées nouvelles.

Malgré cela, de grands projets innovants ont été déployés ces dernières années. C’est le cas de la plateforme Gallica qui rassemble à ce jour 5 millions d’images numérisées et qui est visitée par près de 15 millions d’internautes par an.

17:00 : Où Pauline Moirez évoque différents projets œuvrant à l’acculturation des équipes de la BnF à l’innovation.

Pour encourager la mise en place de nouveaux services, la BnF depuis quelques années, avec l’appui de la mission innovation légitimé par son rattachement hiérarchique à la direction générale et par les profils dont il est composé, encourage une politique d’expérimentation en interne.

A titre illustratif, l’idée d’un point café-presse dans les espaces de la bibliothèque a été testée dans une logique de co-créativité avec les usagers et le personnel de l’établissement. Face à des problématiques de sécurité des collections, de cohabitation d’usages, une expérimentation en 2 étapes a été menée auprès des agents et des utilisateurs. Après différentes itérations et évaluations qui ont menées à l’évolution du projet initial, le point café-presse sera prochainement aménagé dans l’un des halls de la bibliothèque.

Présentation de deux expérimentations : la première n’a pas été opérante, la deuxième a rencontré son public.

Pour renforcer cette logique d’innovation évoquée avec cet exemple, la BnF a mis en place un laboratoire d’accélération de projets internes en 2018. Destiné aux agents de la BNF, ce programme est animé par 8 facilitatrices qui accompagnent des porteurs de projets pendant 6 mois. Elles appuient ainsi les agents dans leurs projets et contribuent à les former à des méthodologies d’innovation.

Acco{Lab, le laboratoire de projets internes de la BnF.

L’organisation d’un hackathon incite, par ailleurs, les équipes de la BnF à contribuer avec des usagers à l’identification de nouvelles idées.

Lors d’une précédente intervention, Pauline Moirez évoquait le fait que “les publics sont experts de leurs besoins et que nous sommes experts de la solution”. Cela reflète bien l’ambition de son service d’accroître les compétences du personnel de la BnF afin de mieux accueillir et mieux répondre aux besoins des publics de l’établissement.

Dans cette logique, Steven Hearn revient sur l’histoire de Scintillo pour montrer comment depuis de nombreuses années, cette holding a appuyé différents lieux et projets culturels et innovants.

4. Scintillo : l’essaimage et le maillage d’un réseau d’innovations culturelles.

28:53 : Où Steven Hearn revient sur l’histoire de Scintillo et de son implication dans l’innovation culturelle.

A la genèse de Scintillo, une agence d’ingénierie culturelle a été créée pour accompagner les projets innovants des lieux culturels : Le troisième pôle.

Quelques projets menés avec l’agence Le troisième pôle.

Suite à ces premiers pas, Scintillo, avec Créatis, a assuré la délégation de service public de la Gaîté Lyrique pour le compte de la Mairie de Paris entre 2008 et 2016. C’est dans ce cadre, notamment, que s’est développée l’idée d’un incubateur.

Scintillo avec Créatis ont assuré la gestion de la Gaîté Lyrique entre 2008 et 2016.

Suite à l’expérience menée avec la Gaîté Lyrique et la remise d’un rapport sur l’entrepreneuriat culturel à Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti en 2014, en phase avec l’une des recommandations phares de ce rapport, l’incubateur Créatis se rapproche du secteur de l’économie sociale et solidaire en s’associant au groupe SOS.

Le groupe SOS culture, fruit du rapprochement entre Scintillo et le groupe SOS.

Depuis ce rapprochement avec le groupe SOS, Scintillo avec Créatis contribuent au développement de lieux culturels innovants dans plusieurs villes de France.

A Paris, l’accélérateur de projets FAR est créé en 2017 sur 3 000m2 et héberge désormais plus de 250 porteurs de projets. La stratégie du groupe est désormais à l’essaimage.

Un premier accélérateur de projets culturels qui ouvre la voie à de nombreux autres projets en France et à l’international.

A Lyon, à Montpellier, à Bruxelles et dans de nombreuses autres villes, d’autres plateformes innovantes s’ouvrent autour de l’art contemporain, de la réalité virtuelle, de l’artisanat, de la production de spectacle, du patrimoine, du design etc.

Parmi ces nombreux exemples, celui de Tropismes, incubateur culture et ESS.

A l’instar des projets d’incubation portés par Scintillo, d’autres acteurs interviennent de façon emblématique dans l’incubation de projets artistiques. C’est le cas du CENTQUATRE avec le 104Factory.

5. 104factory : l’ expérimentation comme accélérateur d’opportunités pour les startups culturelles et créatives.

42:21 : Où Marylène Ricci présente l’innovation au coeur du projet du CENTQUATRE.

Lieu d’art, de culture et de l’innovation de la ville de Paris, le CENTQUATRE accueille 700 000 visiteurs à l’année. Plus de 50 000 pratiques spontanées peuvent y être recensées.

CENTQUATRE : quelques chiffres.

Cette plateforme collaborative qu’est le CENTQUATRE agit ainsi comme un lieu d’inspiration pour aider à faire émerger des idées artistiques et culturelles nouvelles en reliant une pluralité d’acteurs (artistes, entreprises, publics…) et de pratiques professionnelles et amateures.

Le CENTQUATRE, un lieu d’expérimentations artistiques professionnelles et amateures.

Les relations développées avec les publics depuis quelques années, la connaissance du maillage territorial, l’expertise en ingénierie culturelle et en innovation sociale que proposent le CENTQUATRE sont autant d’atouts, propices à la profusion de projets innovants.

55:00 : Où Marylène Ricci parle du 104factory, un incubateur au service de la politique d’innovation du CENTQUATRE.

Pour mettre en oeuvre cette stratégie d’innovation, le CENTQUATRE s’est notamment doté d’un incubateur pour expérimenter de nouvelles formes de collaborations entre pratiques artistiques et entrepreneuriales : le 104factory.

Depuis sa création en 2013, 42 start-up y ont été accueillies, 16 millions de fonds ont été générés pour des projets de pérennité à 3 ans, et dont un-tiers est co-fondé par des femmes.

Le dispositif accompagne les porteurs de projets en financement, en expertise, leur fournit un accès à une large communauté de partenaires et permet des synergies regroupées en pôles de compétences type expérience immersive, design, lifestyle, musique…

Depuis 2018, il existe une volonté de créer du lien avec l’international, notamment en Asie et au Québec, pour accroître les opportunités commerciales et élargir le réseau de la communauté. Ainsi, le projet Maestro des start up québécoises de MT Light et Atomic3 a pu être expérimenté directement auprès du public du CENTQUATRE lors d’une installation sonore et lumineuse dans les espaces.

Expérimentation du projet Maestro des start-up québécoises de MT Light et Atomic3.

L’expérimentation et l’ouverture extérieure vers un ensemble de compétences nouvelles sont centrales pour mener des projets innovants. C’est ce que démontre aussi Agnès Abastado, qui accueille les rencontres à la Monnaie de Paris.

6. 11 Conti : vers l’innovation ouverte ?

1:00:53 : Où Agnès Abastado explique la stratégie de partenariats innovants du musée 11 Conti.

La Monnaie de Paris est une institution sous la tutelle du Ministère de l’économie et des finances. Sur 2 sites de production (Pessac et Paris) sont fabriquées des pièces de monnaie depuis 1150 ans.

Dans le cadre du projet Métalmorphoses, la Monnaie de Paris a mis en oeuvre une solide politique culturelle. En 2017, le musée du 11 Conti a notamment été rénové pour soutenir la marque, créer des vocations autour des métiers d’art et d’artisanat, renouveler la création et valoriser le patrimoine.

Au total, une équipe de 15 personnes gère le musée, les expositions, les programmes de collaborations artistiques et d’activités culturelles.

L’enjeu d’innovation du lieu porte principalement sur la médiation mais aussi sur sa notoriété.

Pour accroître cette notoriété, l’équipe a mis en place une stratégie de rayonnement en structurant un réseau d’innovation avec des entreprises, des écoles / universités et des lieux culturels.

A titre illustratif, différents projets récents ont permis d’expérimenter de nouvelles technologies mais ont contribué, aussi, au repositionnement de l’image de la Monnaie (d’un musée de numismatique à un musée innovant). Ce fut le cas autour de la réalité virtuelle avec Mindtree ou avec le Google Cultural Institute.

Présentation de différents projets innovants mis en oeuvre au 11 Conti.

7. En guise de conclusion

Une pluralité de possibilités sont envisageables pour innover au sein d’un lieu culturel. Fruits d’une histoire, d’une organisation, d’une volonté stratégique, d’opportunités de partenariats fortuites, ces logiques d’innovation sont forcément différentes d’un lieu à un autre. Elles passent souvent par une capacité à s’ouvrir et à accueillir les compétences et expertises détenues par d’autres établissements culturels, par des écoles / des universités, des entreprises…

De façon plus certaine, l’intégration de ces logiques dans des établissements culturels patrimoniaux nécessite beaucoup de modestie, d’expérimentations et de tests pour trouver de bonnes idées et les adapter aux enjeux des lieux et des collections. L’application de ces solutions doit donc se négocier en lien étroit avec les publics, leurs usages et pratiques ainsi qu’avec les personnels qui sont souvent en chargent de faire vivre ensuite ces idées.