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3 juillet 2023

Peut-on faire de la médiation à distance ?

Table des matières

Depuis quelques mois, sous l’impulsion de la crise sanitaire et des mesures de restrictions touchant les sites culturels, différentes propositions de médiations à distance émergent dans le secteur patrimonial. Impliqués depuis longtemps dans le développement de leur présence en ligne, musées et monuments lancent ainsi depuis mars de nouveaux projets sur le Web et les réseaux sociaux où la médiation humaine, directe et interactive est au cœur de ces nouvelles offres : webvisites, e-classes, conférences ou ateliers en ligne …

Quelles en sont les caractéristiques ? Comment s’inscrivent-elles dans un ensemble d’autres propositions lancées récemment par d’autres acteurs ? Quels publics sont touchés ? Sont-elles susceptibles de s’inscrire dans la durée ? Autant de questions auxquelles cet article souhaite apporter des éléments de réponse.

Pour information, pour alimenter cette réflexion, nous avons piloté avec GECE une étude en janvier sur les pratiques culturelles en ligne des français afin d’en jauger la pérennité. Un Webinaire aura lieu le 2 mars à 9h30 pour en partager les principaux résultats (pour s’inscrire, c’est ICI).

1. Quelques initiatives pionnières à la source de la médiation à distance.

Constaté lors du premier confinement (mars-avril), l’engouement des français pour les visites virtuelles a vite tourné court : 7 % des français affirmaient alors avoir visité virtuellement une exposition ou un musée (cf. le chiffre du mois de décembre). Cette situation inédite a, en revanche, mis à l’honneur et pérennisé ce qui faisait jusqu’alors figure d’exception : des temps de partage en direct entre publics et professionnels du monde muséal. Bien sûr, depuis 2014, quelques temps forts venaient à ponctuer l’année et à favoriser de telles rencontres en ligne. C’est le cas d’évènements ponctuels tels que la MuseumWeek sur Twitter ou d’Ask a curator. Dans leurs premières éditions, ces deux initiatives ont connu un engagement sans faille des professionnels du secteur patrimonial. Engouement qui s’est malheureusement essoufflé avec le temps…

2014 fut aussi la date du lancement de nouvelles offres de médiation particulièrement pionnières en la matière : celles des Webvisites du Musée de la Grande Guerre (Meaux). Nous avions eu l’occasion d’échanger sur la genèse et les caractéristiques d’une telle offre avec Aurélie Perreten, la directrice du musée en décembre dernier lors du Webinaire que nous avions organisé avec la DPMA sur la monétisation des activités numériques.

 Les Webvisites du Musée de la Grande Guerre, pionnière des propositions de médiation à distance actuelle.

En 2020-2021, dans le sillon tracé par le Musée de la Grande Guerre, beaucoup de musées et monuments lancent désormais des offres de médiation à distance inédites et innovantes face à une situation de fermeture qui semble se poursuivre indéfiniment.

2.Médiation à distance : une simple transposition d’activités et de savoir-faire ?

Bien que très diversifiées, l’ensemble de ces offres de médiation sont liées par quelques caractéristiques communes. Toutes transposent sur le Web et les réseaux sociaux des activités jusqu’alors proposées sur site : conférences, ateliers, visites guidées… Dès lors, elles mobilisent assez naturellement les solides expertises en médiation des professionnels du secteur muséal. Elles contribuent, par ailleurs, à pallier l’absence de propositions physiques pour créer ou renouer des liens entre publics / musées et mettre en œuvre des conditions propices à l’échange.

Pour répondre à ces enjeux, les institutions patrimoniales sont assez facilement passées en ligne en réalisant des captations vidéos de leurs visites guidées. Ces captations ont ainsi été proposées « en live » sur les plateformes sociales :  Facebook / Instagram Live, Twitch, TikTok… A titre d’exemple, le Château de Versailles propose depuis novembre des visites guidées à distance sur Tik Tok (voir l’article de France Culture consacré au sujet avec l’intervention particulièrement pertinente d’Elisabeth Gravil), occasion pour l’établissement de nouer des liens fertiles avec de nouveaux publics.

L’usage du live pour proposer des visites en Live, pratiques préexistantes à la crise mais qui connaissent un regain d’intérêt.

D’autres se sont emparées des solutions de visioconférences pour proposer des cours « en streaming ». C’est le cas de Paris Musées qui a ainsi déployé en ligne ses cours d’histoire de l’art jusqu’alors proposés physiquement dans l’auditorium du Petit Palais. A l’image d’autres plateformes de streaming, un accès à l’unité (8 € en tarif plein, 6 en tarif réduit) ou sur abonnement annuel (130 € en tarif plein et 80 € en tarif réduit pour 26 séances) est proposé à ces amateurs d’histoire de l’art.

Les cours d’histoire de l’art de Paris Musées retransmis en streaming.

La Fondation Louis Vuitton s’est, quant à elle, inspirée des micro-visites, actions ponctuelles de médiation proposées jusqu’alors dans ses expositions, pour les transposer sur le Web. Pour renouer le lien avec ses visiteurs, la Fondation a donc contacté en priorité ceux et celles qui avaient déjà acheté leurs billets pour l’exposition physique Cindy Sherman et leur permettre de découvrir cette exposition malgré les circonstances. Une telle offre n’est pas pour autant un pis-aller car pour un prix modique de 2 (tarif réduit) à 4 euros (plein tarif), l’exposition est commentée, thématisée et les interactions avec les médiateurs encouragées.

Les micro-visites de la Fondation Louis Vuitton.

Océanopolis, centre culturel et scientifique à Brest, a repris à distance des formats d’ateliers jusqu’alors proposés en ses murs aux publics scolaires.  Les modalités pédagogiques d’un atelier d’une heure ont été reprises dans leur intégralité : partage de notions clés, observations et annotations d’expériences, interactions avec un médiateur. Seule différence, le médiateur est dans une salle équipée de matériels audiovisuels pour capter l’ensemble de l’atelier, les élèves sont en classe avec leur enseignant et annotent leurs observations sur un cahier d’expérience (compter 160 € pour la préparation et l’animation de cet atelier à distance). Pour découvrir plus en détail les projets de la Fondation Louis Vuitton et d’Océanopolis, vous pouvez découvrir le replay d’un meet-up que nous avons organisé et animé avec Museum Connections.

Les ateliers à distance proposés par Océanopolis.

Et, la liste ne cesse de se rallonger depuis quelques mois : la Cité des Sciences a lancé récemment ses visites virtuelles interactives, le Centre des monuments nationaux lance en mars ces premières visites à distance pour les publics scolaires, etc.

Simple transposition en ligne ? Pas tout à fait…

3. De la nécessité de maîtriser de nouveaux outils, de nouveaux contenus, de nouvelles compétences et de se positionner face à d’autres offres.

A l’instar de nombreux français, un premier temps d’adaptation a été nécessaire pour ces différentes institutions afin d’expérimenter et de s’approprier les fonctionnalités des plateformes qu’elles avaient sélectionnées : TikTok, My tour live, Big Blue Button, Zoom, etc. Les médiateurs d’Océanopolis pour concevoir leurs ateliers à distance ont dû, par exemple, être formés sur 2 jours, puis, monter en compétences par un usage régulier de cette plateforme (60 ateliers ont ainsi été animés depuis novembre !).

Un exemple de plateforme utilisée pour réaliser des visites à distance : My tour live (développée par une start-up marseillaise).

Au-delà de la formation et des enjeux techniques, les contenus proposés dans le cadre de ces actions de médiation en ligne nécessitent d’être largement remaniés, scénarisés et éditorialisés. Ceux-ci doivent favoriser une approche vidéo du lieu fluide et facile à suivre. Les interactions entre professionnels et publics sont, par ailleurs, essentielles dans une telle expérience (a contrario des visites virtuelles comme le soulignait Omer Pesquer dans cet article de 20 minutes à l’approche de la dernière Nuit des Musées). A ce titre, si la visite de l’exposition Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton se base sur une vidéo 360° enregistrée au préalable, les commentaires et temps d’interaction sont réalisés en direct et en présence physique de médiateurs. Les conditions d’une visite guidée et adaptée sont donc préservées, voire, renforcées. L’engagement des publics est, enfin, appuyé par le paiement d’une somme relativement modique pour accéder à cette visite limitée à des groupes de petites tailles.

Plus largement, Quel que soit, le format envisagé (conférences, ateliers, visites…), de tels dispositifs recèlent de trésors d’imagination pour capter l’attention et l’engagement d’une audience mise à l’écart. L’alternance de temps d’échanges à des temps d’explications en passant par des temps d’exercices semblent nécessaires pour pallier à tout ce qu’une relation à distance peut produire de désengagement physique et d’attention. Un autre défi éditorial attend ce type de propositions lorsque les sites patrimoniaux réouvriront. Tout l’enjeu sera alors de pérenniser ces activités à distance tout en affirmant leurs singularités par des compléments inédits à une visite physique : anecdotes, coulisses, thématiques spécifiques… Comme le confiait récemment une médiatrice du Musée de la Grande Guerre, le format en ligne doit favoriser le hors champ pour développer la frustration et donner envie de découvrir le musée in situ. 

 L’intéraction avec les publics essentielle dans la médiation à distance avec l’exemple des e-classes d’Océanopolis.

D’autres lieux optent pour la captation en direct et en déambulation. C’est ce que propose d’ailleurs le Musée de la Grande Guerre (Meaux). Le Centre des monuments nationaux s’oriente aussi vers cette option. Véritable défi technique, ce type de visite engage ainsi les médiateurs et médiatrices dans de nouvelles compétences et savoir-faire plus proche de la réalisation vidéo que du commentaire d’œuvre.

A l’instar des visites et activités de médiation physiques, les musées et monuments ne sont pas les seuls à proposer ce type de formats. Les agences de guides et tour-opérateurs ont aussi investi récemment le champ de la médiation à distance face à une crise qui les touchent particulièrement sévèrement. Ces structures s’orienteraient, quant à elles, plutôt vers des propositions « outdoor » à la découverte des patrimoines d’un site, d’un quartier, d’un territoire. Culturemoov propose, par exemple, ce type de visites virtuelles guidées.

Culturemoov, plateforme mettant en avant une diversité de visites virtuelles guidées.

À ces suggestions de visites complémentaires aux musées et monuments, somme toute assez naturelles, d’autres offres viennent à concurrencer celles proposées dans le secteur patrimonial. C’est le cas des  » expériences » qu’ont lancées des plateformes telles qu’Airbnb enrichissant ainsi leur positionnement initial de pourvoyeur de logements par l’association de nouvelles propositions physiques et en ligne d’ateliers, de visites ou de rencontres avec des locaux.

 Les « expériences », une concurrence aux propositions des agences de guide, des tour operators, des musées et monuments ?

Le pas à franchir pour ces acteurs du Web face à cette crise pour digitaliser leurs propositions a été relativement aisé. Si concurrence d’offres il y a, les publics et, surtout les propositions ne sont pas les mêmes. 

La brusque fermeture des lieux culturels lors du premier confinement (et des suivants…), le travail entamé de longue date sur le Web et les réseaux sociaux par des chargé.e.s de communication et de médiation volontaires a ouvert la voie et mis à l’honneur de telles pratiques de médiation en ligne. Le secteur patrimonial n’est pas pour autant isolé dans cette dynamique et nombreuses sont les initiatives particulièrement inspirantes qui se développent (aussi) dans le spectacle vivant (cf. la stratégie d’innovation initiée par l’Opéra de Paris). Avec le temps, ces pratiques se sont sophistiquées et d’autres formats viennent à éclore : création d’évènements collaboratifs à distance (hackathons, challenges créatifs, conseils d’élèves etc.), développement de parcours éducatif et d’apprentissage en ligne (ou dans une logique de mixité distanciel / présentiel), lancement d’offres grand publics et entreprises, etc. Ces différents projets ont donc, pour la grande majorité, vocation à se pérenniser, et ce, en articulation avec la réouverture d’activités physiques dans les prochains mois. Les questions liées au maintien de la volonté des publics à participer à ce type d’expériences, de leur propension à payer pour y accéder, de la stratégie et des moyens que peuvent allouer les établissements culturels dans le temps restent cruciales.

Antoine ROLAND