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9 février 2024

[Synthèse] – Les lieux culturels et la réalité virtuelle

Table des matières

Cet article est une synthèse d’une série en 5 volets sur la réalité virtuelle dans les musées proposé par la plateforme Unframed Collection et rédigé en 2022 par l’agence {Correspondances digitales]. Chacune des thématiques abordées ci-dessous renvoie à un article plus exhaustif inspiré par de nombreux exemples XR.

1. Qu’apportent une expérience VR aux visiteurs et aux lieux culturels ? 

« Le public qui sort de The Enemy n’a pas l’impression d’avoir vu un film. Il a bel et bien le sentiment d’avoir rencontré des personnes »

Karim Ben Khelifa, réalisateur-photographe de l’expérience VR The Enemy (sources)

Pour 41% des visiteurs ayant déjà expérimenté la réalité virtuelle, l’apport de l’immersion est d’ordre sensoriel, émotionnel et collectif. La reconstitution d’un espace physique et la sensation d’interaction participent toutes deux au développement d’un lien émotionnel à l’histoire racontée ainsi qu’à la création de sentiments et d’émotions complémentaires à celles qu’éprouvent déjà physiquement un visiteur de lieu culturel. Des expériences qui permettent de partager des réalités vécues par des personnages (ex. la perte de la vue avec Notes on Blindess, le quotidien d’un migrant avec Meet Mortaza, de prisonnier avec Reeducated ou de combattants avec The Ennemy) ou de transmettre les grands enjeux mémoriaux (ex. Anne Frank House VR, Verdun – paysage de guerre – paysage de paix, StoryTrails). En grande majorité (67%), l’expérimentation de ces dispositifs immersifs par des visiteurs a été réalisée de manière collective dans des lieux publics. Ces moments partagés peuvent se faire autant avec des expériences en déambulation libre (ex. Éternelle Notre-Dame, We Live in an Océan of Air, -22,7°) ou par des expériences collectives personnalisées (ex. Mechanical Souls, Le Bal de Paris, Fugue VR...)

We Live In a Océan of Air, une experience sensible au plein Coeur du parc national de Sequoia

2. Quels lieux culturels accueillent des expériences VR ?

Les médias immersifs sont des formes de médiation qui permettent de sensibiliser nos publics et de les engager pour la préservation de la nature »

Stéphanie Targui, cheffe du service des contenus numériques au Museum National d’Histoire Naturelle (sources)

21% des 200 établissements culturels interrogés dans le cadre du Baromètre de l’Innovation des Musées 2021ont actuellement recours à la réalité virtuelle. Une tendance appelée à s’accroître puisque 33% de ces 200 établissements ont également des projets VR en cours qui seront accessibles dans les prochains mois. De nombreux projets enrichissent désormais la ligne éditoriale d’une diversité de lieux patrimoniaux et de spectacle vivant ainsi que leurs possibilités de médiation. Des institutions scientifiques utilisent par exemple les nouvelles technologies pour renouveler leurs approches de médiation en reconstituant des environnements inaccessibles (ex.-22,7° sur l’Arctique, à la SAT, Ayahuasca Kosmik Journey sur les pratiques spirituelles amazoniennes ou encore l’Infini sur l’espace au Centre Phi) ou animalier (ex. The wild Immersion au Jardin acclimatation, Extended Reality World au Zoo d’Amnéville…) facilitant la diffusion de messages autour du développement techniques et écologiques. Les sites patrimoniaux (Beaux-arts, histoire, architecture…) utilisent davantage la réalité virtuelle pour renouveler le regard des visiteurs sur l’art et l’histoire.

Ainsi, de nombreux projets de reconstitution de lieux historiques ont vu le jour (ex. VR Pompéi au Grand Palais, l’expérience VR au Théâtre antique d’Orange, l’Horizon de Khéops à l’IMA,  Chambord 360° au château de Chambord, The Dawn of Art sur la Grotte Chauvet) ainsi que de contextualisation augmentée d’œuvres artistiques (ex. la série de production numérique Arte Trips s’appropriant des tableaux en VR, comme les Nymphéas de Claude Monet en lien avec Musée de l’Orangerie). Enfin, les salles de spectacle vivants utilisent, quant à elles, l’immersion pour développer des nouvelles expressions artistiques en lien avec le numérique (ex. VR-I par la Compagnie Gille Jobin, Le Bal de Paris par Bianca Li ou Eve, la danse est un espace sans lieu produit par la Compagnie Voix). 

Claude Monet – L’Obsession des Nymphéas, une expérience in situ (Musée de l’Orangerie) et Hors-les-Murs (Arte) pour augmenter la médiation autour de ce chef d’œuvre artistique du XIXème

3. Comment intégrer une expérience VR dans un espace muséal ?

Selon Jean Davallon, la médiation « vise à faire accéder un public à des œuvres et son action consiste à construire une interface entre ces deux univers étrangers l’un à l’autre (celui du public et celui, disons, de l’objet culturel) dans le but précisément de permettre une appropriation du second par le premier ». 

Au même titre qu’une rencontre avec des collections physiques, l’appropriation d’œuvres de réalité virtuelle par les publics d’un lieu culturel nécessite d’être accompagnée. Un ensemble de moyens matériels, techniques et humains peuvent ainsi être mobilisés pour accueillir les visiteurs et les appuyer dans la découverte de cette expérience : facilitation des conditions d’accès, mobilisation de facilitateurs pour accompagner les publics, aménagements des espaces physiques, etc. Cet article reviendra aussi sur la capacité des œuvres de réalité virtuelle à être de véritables objets de médiation en tant que tels. En effet, leur capacité à mobiliser la vue et l’ouïe, à mettre en mouvement le corps d’un utilisateur et à l’embarquer dans un récit semblerait faire de ce medium un moyen de médiation idéal.

A l’instar d’autres œuvres ou dispositifs, les œuvres de réalité virtuelle font l’objet d’une médiation pour en faciliter l’accès, la découverte et l’appropriation par les publics. La variété des modèles et des environnements narratifs qui peuvent être proposés avec ces oeuvres VR sont autant d’atouts pour proposer d’autres regards ou d’autres expériences sur des collections ou des oeuvres. Elles sont donc aussi de formidables compléments à d’autres formes de médiation déjà accueillis dans les lieux de culture.

4. Comment communiquer sur une expérience immersive ?

“Je vois une évolution encourageante au niveau de la couverture médiatique. Quand nous avons commencé, nous ne proposions pas d’expositions à part entière. C’était plutôt un jardin VR avec deux ou trois fauteuils. À ce moment-là, les journalistes que j’invitais à venir ne semblaient pas penser que leur public serait intéressé. Or, plus récemment avec des expériences comme Carne y Arena et L’infini on voit une réelle évolution; c’est le jour et la nuit. C’est un changement important, car les médias jouent un rôle décisif dans l’évangélisation du domaine.”

Myriam Achard, Chef Partenariats nouveaux médias et relations publiques au Centre Phi (sources)

Différents supports existent pour promouvoir une offre culturelle immersive auprès des futurs visiteurs. Des bonnes pratiques à initier en ligne et in situ permettant de toucher les publics habituels d’un lieu culturel. En ligne, le site internet est la porte d’entrée des visiteurs autant pour présenter une expérience (ex. l’Odyssée de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat) ou pour inciter à la réservation et l’achat via la billetterie en ligne (ex. Revivre au Museum National d’Histoire Naturelle, Le Bal de Paris,VR_I de la Compagnie Gilles Jobin, l’Infini pour sa tournée aux États-Unis). Des outils internes aux établissements permettent, par le biais de jeux concours, d’infolettres, de données issues de la  billetterie ou de modules d’inscription à des événements, d’inviter les visiteurs à partager des informations pour mieux leur cibler la communication (ex. Éternelle Notre-Dame). Sur les réseaux sociaux, de nombreux lieux immersifs mettent en avant les retours d’expérience des visiteurs via des interviews ou des captations des réactions (ex. IDEAL, Virtual Room, DreamAway). In situ, la communication peut être complétée par de la documentation et supports print (brochures, flyers, affiches, dépliants…) visible depuis l’accueil du lieu culturel (ex. Musée de la Guerre 1870 pour leurs tablettes en réalité augmentée, l’Atelier Bourdelle au Musée Bourdelle ou Insurrection 1944 au Musée de la libération). Pour développer des nouveaux publics, un ensemble de partenaires peuvent être mobilisés pour diffuser, auprès de leurs publics et communautés, la promotion d’une expérience culturelle. Avec les partenaires institutionnels, des kits de communication peuvent être déployés pour accroître la visibilité d’une expérience sur un territoire (ex. la Citadelle Souterraine de Verdun et son parcours de visite permanent en RA, l’installation VR du Paléosite de Saint Césaire). D’autres communautés peuvent être touchées grâce à l’intermédiaire d’influenceurs ou les visiteurs eux-mêmes sur les médias sociaux (ex. Éternelle Notre-Dame, Musée de l’Ordre de la Libération). Enfin, différents outils, complémentaires entre eux, permettent de programmer une campagne publicitaire à impact national ou international afin de valoriser une expérience immersive auprès du (très) grand public (référencement, achat d’espace, relations presse).

Panneau publicitaire pour l’Horizon de Khéops devant l’IMA

5. Comment évaluer une expérience VR ?

«On doit réfléchir à l’utilisation des technologies de façon critique. Il faut rester concentré sur le contenu que l’on va proposer. Il faut repenser la narration grâce aux technologies, mais celles-ci ont besoin d’un contenu de qualité»

Giulia Bini, curatorial à l’ArtLab de l’EPFL en Suisse (sources)

Au même titre qu’un parcours de visite, qu’une exposition temporaire ou que des activités de médiation, une expérience immersive peut faire l’objet d’une évaluation. Premier niveau d’évaluation, la réalisation d’un diagnostic pour ajuster, éventuellement, une expérience immersive. Un audit des espaces et des aménagements spatiaux mis en œuvre peut être dressé pour analyser l’intégration de l’expérience immersive dans un lieu culturel (ex. Chambord 360° au château de Chambord). De même, une analyse comportementale des visiteurs peut être menée pour améliorer leur accueil et leur accompagnement. Un deuxième niveau d’évaluation a pour objectif de mieux connaître les publics – via l’analyse des données d’inscription et de la billetterie – ainsi que leurs pratiques – via des entretiens ou des sondages in situ ou en ligne. Dernier niveau d’évaluation, considérer l’apport d’une expérience immersive à un lieu culturel en termes de notoriété, de marque et de développement des publics en extrayant les données issues de nombreux outils (analyse des supports de communication, données billetterie,  réservation, sondages, entretiens). Déterminante, l’évaluation permet ainsi d’identifier l’adéquation entre l’expérience des visiteurs et l’expérience prévue par les créateurs afin d’éventuellement procéder à des ajustements.

Ramses & Nefertari: Journey to Osiris actuellement en tournée au Young Museum 

La diversité et la qualité des expériences VR actuellement proposées dans de nombreux lieux culturels forment autant d’exemples inspirants qui démontrent tous les apports qu’elle offre à un visitorat et aux lieux qui accueillent ce type de dispositifs. La mise en espace, la médiation, la monétisation, la communication ou l’évaluation de ces dispositifs, bien que spécifiques, font appel à autant de pratiques déjà existantes dans les lieux culturels. De nombreuses perspectives peuvent ainsi se dessiner pour élargir, diversifier et nouer de nouvelles formes de liens avec de nouveaux publics.

Antoine ROLAND et Baudouin DUCHANGE