Du 22 au 25 novembre s’est tenue la troisième édition du NUMIX LAB, l’événement professionnel itinérant dédié à l’immersion numérique et culturelle francophone. Organisé par l’association Xn Québec et l’agence {CORRESPONDANCES DIGITALES] avec l’appui de nombreux partenaires, une centaine de participants internationaux issus des industries culturelles et créatives ont été réuni en France (Metz), puis en Allemagne (Völklingen, Sarrebruck) et enfin au Luxembourg (Esch-sur-Alzette, Luxembourg). Troisième étape au Luxembourg, à la découverte de la Capitale Européenne de la Culture 2022, Esch-sur-Alzette, puis, de la capitale luxembourgeoise pour découvrir un écosystème local particulièrement actif dans la mise en œuvre de projets culturels ambitieux.
1 - PANEL - SITE INDUSTRIEL ET RENAISSANCE NUMÉRIQUE (24/11)

Les intervenants du panel : Laura Welzenbach (Ars Electronica), Etienne Tellier (Iconem), Anne-Laurence Dubois (Thinkwell Studio Montréal). Animation par Françoise Poos (Esch 2022)
Esch-sur-Alzette est la deuxième ville luxembourgeoise en termes de population. Elle est la capitale du pays des terres rouges, territoire tirant son surnom de la présence de minerais de fer dans ses sous-sols. Cette ressource fera la fortune de la ville au XIXème avec la construction de plusieurs hauts fourneaux sidérurgiques éteints depuis 1997 suite à la crise industrielle du bassin lorrain (territoire comprenant la Lorraine française et belge, la Sarre et les Terres Rouges).
L’ancienne « capitale du Fer est devenue une capitale des savoir-faire » comme l’annonçait lors de sa présentation Mischo Georges, bourgmestre de la ville. Le projet de réhabilitation urbanistique du quartier de Belval à partir de 2001, incluant l’intégration de deux hauts fourneaux, est une réussite symbolisée par l’attribution en 2022 de Capital européenne de la Culture.
Un territoire formidable pour discuter des apports du numérique dans la valorisation industrielle.

Le quartier industriel de Belval, sur environ 120 hectares dédié à la recherche et l’enseignement, le travail et les loisirs, l’industrie et le commerce, l’habitat et la culture
L’art numérique peut permettre de marquer l’évolution de l’identité culturelle d’un territoire industriel à la recherche d’un nouvel élan.
Depuis plus de 25 ans, le festival Ars Eletronica – consacré aux rapports entre art, technologie et société – se déroule en Autriche, dans la ville de Linz. Cette ville au passé ouvrier (textile, composés chimiques, acier, etc.) souhaitait se renouveler par l’intermédiaire de la culture en valorisant son histoire, et particulièrement ses espaces urbains. « Les bâtiments industriels n’ont pas été conçus pour accueillir des œuvres d’art, ce qui rend très complexe l’installation de musées plus traditionnels. En revanche, la souplesse induite par les formats de l’art numérique permet une connexion unique entre les visiteurs et le lieu » partageait Laura Welzenbach, head of export dans l’entreprise autrichienne. Ars Electronica et la mairie ont alors conçu un plan stratégique sur le long terme pour la ville de Linz qui a abouti en 2009 avec la Capitale européenne de la Culture. Nous avons pu tester concrètement cette approche lors d’une visite à Esch-sur-Alzette dans une exposition d’arts numériques saisissante IN TRANSFER – A NEW CONDITION guidée par Laura Welzenbach.

Cette démarche peut aussi s’incarner dans un lieu patrimonial. Etienne Tellier, COO chez Iconem, est revenu sur le projet de modernisation du parcours de visite et de la création d’un centre immersif à la Saline Royale d’Arc-et-Senans. Ce site industriel, conçu par l’architecte Claude Nicolas Ledoux, a été construit sous Louis XV pour augmenter la production de sel au XVIIIème siècle. Classé en 1982 au patrimoine mondial de l’UNESCO, le musée sur l’architecture attirait en 2019 plus de 122 000 visiteurs.

Saline Royale d’Arc-et-Senans, un chef d’œuvre architectural du XVIIIème siècle
Pour renouveler l’offre in situ, ICONEM a réalisé en 2022 une expérience 180° en réalité augmentée. Une offre numérique complétée en avril 2023 par l’ouverture d’un centre immersif dans une des deux « cathédrales industrielles », dans un des deux anciens bâtiments d’évaporation de l’eau salée aux dimensions impressionnantes (80 m de long / 30 m de large / 17 m d’hauteur). Dans ce lieu seront présentés les jumeaux numériques de nombreuses numérisations effectuées par l’entreprise pour des projets scientifiques dans des sites UNESCO (ex. pyramides de Gizeh, les temples d’Angkor, les vestiges de Palmyre ou encore les falaises de Bamiyan). Un système novateur de projection a été pensé pour respecter le classement à l’UNESCO via des voiles transparents rendus opaques lors des projections. Un exemple saisissant d’intégration du numérique au service du patrimoine industriel.

Maquette du futur centre immersif des Salines Royales d’Arc-et-Senans conçu par ICONEM.
Le numérique permet ainsi de préserver l’architecture industrielle ainsi que ses ornements et éléments patrimoniaux. « Les sites industriels sont parfaitement adaptés pour les expériences immersives et les créations numériques en raison de leur volume et de leur originalité » considérait Anne-Laurence Dubois, productrice chez Thinkwell Studio Montréal, à l’initiative d’un centre d’art contemporain à côté des Chutes du Niagara. Le mapping a permis de faire des éléments industriels une force en les intégrant dans la scénographie lumineuse (ex. des gigantesques anciens générateurs) tout en continuant à rénover le bâtiment (nettoyage, restauration). 50 000 spectateurs sont déjà venus découvrir la réhabilitation de cette ancienne station hydroélectrique.

Les anciens générateurs du centre d’art numérique installé dans une ancienne station hydroélectrique à côté des chutes de Niagara.
Le numérique est largement utilisé par les collectivités ou lieux culturels pour remodeler une ligne éditoriale, moderniser un parcours de visite ou encore permettre d’ouvrir au public des sites industriels en respectant leur architecture. Différents apports qui permettent au secteur de la XR de se développer considérablement depuis 2017 comme nous l’avons découvert le lendemain, à l’occasion de la dernière conférence.
2 – PANEL - LA NOUVELLE EXPLOITATION DE LA XR (25/11)

Le Casino du Luxembourg, un musée d’art contemporain dans lequel s’est tenu notre dernier panel avec Stéphanie Targui (MNHN), François le Gall (a_BAHN), Timo Pauli (Ergosign GmbH), Emmanuel Rouillier (Mosquito), Medhi Mejri (Astrea). Animation par l’artiste Karolina Markiewicz
Encore récent (émergence en 2017), le secteur de la XR se structure progressivement pour répondre efficacement aux besoins des lieux de diffusion. Différentes pratiques professionnelles sur la conception, la distribution ou l’exploitation doivent, par exemple, être uniformisées pour rendre plus lisible l’offre XR internationale auprès des diffuseurs. Les retours d’expérience très inspirants présentés par les membres de ce panel démontrent pourtant que la XR permet déjà de répondre à de nombreuses problématiques.

Le Cabinet de réalité virtuelle du MNHN
L’évolution des modes de production XR du Muséum National d’Histoires Naturelles est, à ce titre, très significative. Après l’ouverture de son Cabinet de Réalité Virtuelle en 2017 (une première pour un musée), différentes œuvres ont été proposées aux publics selon des modalités de production très diverses : Virtual Arctic Expedition (prestation de service avec Green Hill Studio), Voyage au coeur de l’Évolution (mécénat avec la Fondation Orange et HTC), Lady Sapiens (acquisition des droits de diffusion pendant un an à France Télévision) puis enfin La plage de sable étoilé (coproduction avec Lucid Realities). Selon Stéphanie Targui, Chargée de mission projets numériques et audiovisuels innovants, qui nous a présenté ces différents projets, le modèle de la coproduction semble le plus adapté pour les expériences immersives présentées in situ au Muséum. C’est en tout cas ce modèle de collaboration qui a été utilisé dans le cadre la conception du parcours permanent en réalité augmenté Revivre et pour l’exposition numérique temporaire L’Odyssée Sensorielle en 2021 et 2022.

Visuel de la Plage de sable étoilée, une nouvelle œuvre présenté au Cabinet de réalité virtuelle du MNHN (Paris 5ème)
Pour les établissements culturels disposant de moins de ressources que le MNHN, d’autres solutions existent. L’escape game Odyssey VR proposé à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat est à ce titre particulièrement inspirant. Ce jeu LBE à quatre joueurs en déambulation libre (free roaming) conçu par le studio Mosquito a réussi à s’adapter à deux demandes de son commanditaire : exploitation dans un espace de petite dimension et un budget réduit. Le studio s’est concentré sur cinq manuscrits présentés dans le parcours de visite pour maximiser la narration. Techniquement, différents logiciels libres d’utilisation ont pu être réutilisés afin de diminuer les coûts de conception et de créations graphiques. Un pari réussi pour cette expérience disponible pour la deuxième année de suite, dans deux espaces de 24 m2, et qui est devenu un véritable produit d’appel in situ.

Odyssey, un escape game en hyper réalité proposé à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat
Une fois l’œuvre créée, une importante question se pose : son adaptabilité sur le long terme aux nouveaux équipements et formats de diffusion. Un enjeu – autant pour la distribution que pour l’impact écologique de la XR – auquel est régulièrement confronté le studio français de création et distribution VR Astrea qui produit entre deux et 2,5 œuvres VR par an. Le producteur Mehdi Mejri nous a présenté différents cas de ré-exploitation envisageables : modification d’une œuvre VR pour la transposer sur des casques de nouvelle génération grâce à la démultiplication des caméras et à la technologie du temps réel ; reprise d’un documentaire sous format mapping (ex. ZINGARO EX ANIMA à la Jam Capsule) ; reformatage d’œuvres VR en mapping (ex. On the Morning You Wake, Notes on Blindness et Vestiges qui sont proposées depuis janvier 2023 à Montréal à OASIS immersion). Un atout considérable pour les établissements, producteurs ou créateurs souhaitant réutiliser leurs contenus VR dans d’autres formats ou équipements innovants.

En collaboration avec Astrea, Jam Capsule propose depuis décembre 2022 le film 260° Zingaro Ex Anima
Enfin, François le Gall (a_BAHN) a évoqué le problème d’acculturation de l’immersion dans certaines zones géographiques. La société luxembourgeoise a en effet été confrontée à une absence de partenaires locaux dédiés à la XR pour développer ses projets (ex. Ceci est mon cœur avec les Frères Blies, l’exposition You Can Call Me Max en production avec PHI pour un budget de 2,4 millions d’euros). Une réalité économique que le studio a résolu en internalisant dans un nouveau studio, Velvet Flare, l’ensemble des compétences nécessaires : conception, fabrication, scénographie, gestions des artistes et exploitation LBE.

Présentation de YOU CAN CALL ME MAX, la future exposition immersive itinérante du studio Velvet Flare
Si l’histoire encore récente de la XR comme canal de médiation explique la structuration en cours du secteur de la XR, de nombreuses réponses sont apportées pour faciliter la distribution de ces œuvres.
3 – VISITES : LES ROTONDES

Les Rotondes, un lieu culturel ouvert en 2007 à Luxembourg
Les Rotondes sont une friche industrielle et ferroviaire utilisée à l’origine pour stocker et rénover les locomotives de la gare voisine du Luxembourg. Rouverte au public en 2007, à l’occasion de l’année Capitale européenne de la Culture de Luxembourg, l’une des deux rotondes a ensuite été rénovée (2015) pour proposer désormais une programmation pluridisciplinaire intégrée dans l’écosystème créatif local.
La programmation du site se distingue en quatre volets : accompagnement de projets sociaux-culturels, ateliers d’arts et de spectacles pour le jeune publics, expositions d’arts visuels et concerts de musiques. Ces différentes activités ne sont pour autant pas cloisonnées grâce à la mise en place de plusieurs temps forts intégrant l’ensemble des disciplines. Le dernier en date, depuis 2017, est le festival Multiplica, une proposition pour « démystifier la société digitalisée d’aujourd’hui à travers des œuvres numériques, des rencontres et des ateliers participatifs. »

Intérieur de la Rotonde rénovée qui accueille une partie de la riche programmation de ce lieu porté par la ville et l’Etat