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3 septembre 2024

Centres d’arts numériques en Allemagne : Réinventer les espaces industriels avec des programmations immersives

Table des matières

Dans le cadre de la 5e édition du NUMIX LAB, qui se tiendra du 25 au 29 novembre 2024 en Allemagne, à Munich, Leipzig et Berlin, nous vous proposons une série d’articles sur les tendances, dynamiques et spécificités de ce pays en matière de culture et de créativité numérique immersive. Ce deuxième article offre un tour d’horizon des centres d’arts numériques, dont beaucoup ont contribué à la revitalisation d’espaces industriels désaffectés.

L’Allemagne possède un riche patrimoine culturel et historique, hérité de son passé industriel. Les anciennes usines électriques, hangars et centres de production de gaz, situés dans des grandes villes, sont devenus des lieux attractifs grâce à leurs caractéristiques architecturales. Ces espaces offrent des volumes intéressants et un potentiel artistique remarquable, particulièrement avec les technologies numériques telles que le mapping et la réalité étendue (XR). De nombreux centres d’arts numériques ont ainsi pris vie dans ces structures devenues obsolètes.

Mais comment ces espaces industriels désaffectés se transforment-ils en lieux culturels grâce à des modèles de production pérenne ? Cet article se penche sur cette question en mettant en lumière une spécificité allemande : l’intégration des centres d’arts numériques dans des projets de revitalisation de sites ou de quartiers industriels. Après une analyse des atouts de ces sites pour l’immersion culturelle, nous examinerons deux modèles de développement des centres en Allemagne, qui fusionnent les modèles muséographiques avec les modèles de production de contenus audiovisuels.

1. Contexte et enjeux – Les atouts des sites industriels allemands pour les centres d’arts numériques

L’Allemagne patrimoniale évoque un ensemble de sites industriels historiques hérité de la Révolution Industrielle au XIXe puis des conflits du XXe. Parmi les 51 sites patrimoniaux allemands classés dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, plus d’une dizaine sont des sites industriels. Par exemple, l’usine sidérurgique Völklinger Hütte qui est le premier monument industriel inscrit depuis 1994 au patrimoine mondial de l’UNESCO et que nous avions visité lors de la 3ème édition du NUMIX LAB (voir la restitution de la visite de ce lieu passionnant). 

Vue en arrivant à l’usine sidérurgique allemande inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO lors de la 3ème édition du NUMIX LAB

Ces sites ayant perdu leur vocation initiale offrent plusieurs atouts pour les arts numériques : leur emplacement en centre-ville, la nécessité de leur trouver une nouvelle utilité, la facilité de déployer des formats numériques dans ces volumes si particuliers et des modèles économiques pérennes. 

Premier atout donc, leur positionnement géographique. Ces sites sont principalement présents dans les grandes agglomérations. Ainsi, rien qu’à Berlin, plus d’une soixantaine d’anciens sites industriels ont été reconvertis en lieux culturels ouverts aux visiteurs avec des offres culturelles ou commerciales très diverses favorisant un tourisme culturel urbain. 

Prenons l’exemple de la zone de chalandise de la Warschauer Straße à Friedrichshain, l’une des principales artères du quartier de Friedrichshain-Kreuzberg. Cette ancienne friche industrielle abrite un espace dédié aux projets interculturels, aux expositions, aux marchés, ainsi qu’à de nombreux clubs et bars. C’est dans ce cadre que s’inscrivent Khroma et Lighthouse of Digital Art, un double centre d’arts numériques détenu par le même propriétaire, offrant une programmation allant du divertissement à la création artistique selon le lieu, afin d’attirer un large public. Ces centres ont pris vie dans d’anciens entrepôts ferroviaires, profitant de l’emplacement stratégique et de l’ambiance branchée du quartier.

Ces centres s’intègrent parfaitement dans leur environnement et contribuent à la reconversion du quartier. Un autre exemple notable est le Dark Matter, situé dans une ancienne usine du quartier semi-industriel de Lichtenberg, en pleine transformation pour devenir un futur pôle économique et culturel. Les participants du NUMIX LAB pourront découvrir ces deux lieux berlinois.

Une oeuvre d’arts située dans le parcours de Dark Matter (Berlin), que les participants pourront découvrir lors de la 5ème édition du NUMIC LAB – sources photo

Ces sites présentent un deuxième atout majeur : des bâtiments au caractère distinctif, facilement identifiables par le public, nécessitant une réhabilitation pour trouver une nouvelle vocation. L’impact des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, marqués par des raids aériens intensifs des Alliés, qui aurait détruit près de 80 % des villes allemandes selon l’Université de Genève, entraînant une reconstruction considérable des infrastructures industrielles et modernes. Aujourd’hui, ces bâtiments ont besoin d’être réhabilités et réinvestis pour répondre aux besoins actuels et renouveler leur raison d’être.

Les expériences immersives répondent à ce besoin de “remplissage” en apportant deux éléments essentiels :

  • Un modèle économique pérenne : Investir dans un centre d’arts numériques nécessite des moyens importants pour l’investissement initial et le fonctionnement continu. Ainsi, plusieurs sites adoptent un modèle d’exploitation inspiré des musées (billetterie, boutique, privatisation), tout en utilisant des modèles de production issus de l’audiovisuel pour financer leur programmation numérique. On trouve des centres d’arts en réseaux (comme les deux centres Culturespaces bénéficiant des productions de la “maison mère”) ou des acquisitions temporaires de licences internationales ( Voir la partie suivante). Ces sujets seront largement abordés lors des moments forts du NUMIX LAB, notamment le mercredi, avec une journée dédiée aux enjeux des lieux de diffusion (échanges avec des producteurs bavarois, présentation du réseau international des salles immersives indépendantes, présentation du festival des Lumières de Leipzig, visite de Kunstkraftwerk).
  • Des capacités de diffusion et de médiation à l’échelle de ces bâtiments imposants : En raison de leurs fonctions initiales, les bâtiments patrimoniaux peuvent offrir de grandes emprises foncières. Les technologies immersives permettent d’adapter ces espaces à une médiation à leur échelle, associée à une programmation variée (expositions, événements, actions de médiation, etc.). Le Kunstkraftwerk de Leipzig, une ancienne usine électrique datant de 1900, illustre bien cet enjeu avec ses 7 000 m². Fermée dans les années 90, la centrale a été en grande partie démantelée avant de rouvrir en 2015 comme centre immersif proposant expositions, installations numériques et événements, dont le Bright Festival Connect, qui inclut également des concerts de musique électro. Sous réserve de respecter certains prérequis, ce type de sites industriels se prête bien aux expériences immersives et aux créations numériques grâce à leur volume et leur originalité.
Plus au nord, à Hambourg, l’ancien château d’eau de la ville, construit en 1912, a été reconverti en planétarium.  

L’intégration des arts numériques dans les sites patrimoniaux industriels allemands est particulièrement marquée. Cette tendance vise à revitaliser ces espaces tout en préservant leur héritage industriel. L’immersion culturelle se révèle particulièrement adaptée pour faire revivre ces lieux sans compromettre le patrimoine, tout en développant des modèles d’exploitation durables. Deux tendances de développement dominent l’immersion culturelle en Allemagne, que nous approfondirons dans la partie suivante.

2. Les tendances de développement de centres d’arts numériques en Allemagne 

Pour ouvrir cette partie, prenons deux exemples distincts :

  • En 2023, Culturespaces a inauguré un centre d’art immersif à Dortmund, le Phoenix des Lumières, dans une ancienne usine de hauts fourneaux datant de 1852. Un autre centre est prévu pour 2024 à Hambourg, dans le nouveau quartier Westfield Hamburg Überseequartier de la HafenCity, sous le nom de Port des Lumières. Avec ce système de franchise, Culturespaces investit les lieux et apporte sa propre programmation et ses contenus “maison”, dans une logique de mutualisation et de positionnement.
  • Un autre exemple est l’exposition « Viva Frida Kahlo », qui a été présentée dans des villes allemandes telles que Berlin, Hambourg et Munich. Initialement montée par des partenaires suisse et autrichien, cette exposition a ensuite été acquise par l’exploitant allemand Alegria Exhibition, qui se charge d’équiper chaque salle événementielle, souvent des anciens hangars industriels vides et adaptables.

Ces exemples montrent clairement deux tendances principales, illustrées par le schémas çi-dessous, dans le développement des centres d’arts numériques en Allemagne :

  • L’essor des investissements par des opérateurs nationaux et internationaux dans des centres d’arts numériques pérenne, proposant une programmation permanente. 
  • L’acquisition par des exploitants locaux d’expositions numériques itinérantes internationales dans des logiques temporaires et événementielles.

Bien entendu, il existe également des centres d’arts numériques situés dans des sites non industriels. Par exemple, le réseau historique de salles VR TimeRide VR (Cologne, Dresde, Munich, Berlin, Francfort) est principalement implanté dans des centres commerciaux. Mais cet article vise à illustrer une tendance : de nombreux centres s’intègrent dans des projets de revitalisation de sites ou de quartiers grâce à deux modèles de développement différents mais inhérents aux formats immersifs, fusionnant distribution d’expositions internationales et les modèles de production de contenus audiovisuels.

Nous reviendrons dans les deux sous-parties suivantes sur les caractéristiques de ces deux modèles en termes d’équipements, de gestion des équipes, de programmation, de positionnement et de modèles de production. 

Tendance n°1 – L’essor d’investissements par des opérateurs nationaux ou internationaux dans des centres d’arts numériques permanents

En Allemagne, le potentiel du marché des œuvres immersives culturelles (quels qu’en soient les formats : XR, vidéoprojection, mapping, arts numériques ou immersion sonore) s’est accru de façon considérable depuis 5 ans grâce à la reconversion d’anciens sites industriels en lieu de diffusion d’expériences numériques développant des programmations permanentes ou temporaires. 

De nombreux centres d’arts numériques spécialisés ont ainsi ouvert en Allemagne ces dernières années. On compte à minima un centre dans chacune des principales villes allemandes comme à Berlin (Lighthouse of Digital Art, Khroma, TimeRide VR), à Hambourg (DiscoveryDock, Port des Lumières, TeamLab Borderless Hamburg), à Leipzig (Kunstkraftwerk Leipzig) Dortmund (Phoenix des Lumières) ou Munich (TimeRide VR). Ces centres émergent souvent dans d’anciens sites industriels (ex. Kunstkraftwerk Leipzig dans une ancienne usine électrique ou Phoenix des Lumières dans une ancienne usine à gaz) ou de nouveau projets de reconstruction urbaine de quartier (ex. teamLab Borderless Hamburg).

Lighthouse of Digital Art (Berlin)

Contrairement aux licences internationales, ils offrent des expériences numériques mettant en valeur des créations souvent contemporaines, parfois hybrides avec d’autres formes artistiques telles que le spectacle vivant ou les soirées électro. Par exemple, le centre Khroma à Berlin présente sur une surface de 1200 mètres carrés des installations lumineuses et sonores changeantes, des œuvres d’art codées, ainsi que des sculptures cinétiques et interactives. Cette approche, centrée sur la création contemporaine, se distingue des expositions numériques itinérantes internationales, souvent axées sur des figures artistiques plus anciennes (en dehors des protections du droit d’auteur) telles que Van Gogh et diffusées dans des lieux événementiels transitoires (comme mentionné ci-dessous). 

Une installation dans le parcours de khroma 

Dans tous les cas, leur modèle économique repose sur celui d’un lieu culturel permanent, ce qui engendre des besoins financiers considérables pour diverses activités telles que la rénovation des infrastructures, l’acquisition d’équipements spécialisés, le recrutement de personnel qualifié, ainsi que la conception et la mise en œuvre d’une programmation artistique constamment renouvelée. 

Cette réalité a conduit à l’émergence de structures financières majeures investissant dans ce type de centres en Allemagne. Parmi celles-ci, on distingue deux types de structures d’investisseur : 

  1. Des réseaux de salles internationales fonctionnant comme des franchises et faisant tourner leurs contenus dans les différentes salles : on peut citer Culturespaces, qui gèrera deux centres culturels majeurs,  TeamLab Borderless, le seul centre en Europe situé à Hambourg prévu pour 2025 ou encore le réseau de salles TimeRide VR dans cinq villes allemandes. Ces logiques seront abordées dans le cadre de différents temps-forts du NUMIX LAB, entre autres un panel dédié à la durabilité de la diffusion des œuvres : se mettre en réseau pour développer de nouveaux publics. 
  2. Des fondations privées consolident depuis plusieurs années des catalogues d’œuvres numériques et acquérant des lieux de diffusion pour les rendre accessibles au grand public :  c’est l’exemple de la LAS Art Foundation à Berlin (voir focus ci-dessous). 

FOCUS SUR LE KRAFTWERK BERLIN (LAS Art Foundation)Cliquez sur la flèche

Un lieu stratégique et mythique : La centrale thermique de Mitte, construite entre 1961 et 1964, a été transformée en espace culturel après sa fermeture en 1997. En 2006, elle est devenue le club de techno Tresor, puis a été rénovée pour devenir le site d’exposition et événementiel Kraftwerk Berlin en octobre 2010. Depuis lors, ce lieu a accueilli divers expositions et expériences numériques. 

Espaces : 8 000m2 d’espace librement adaptable sur trois niveaux (dont 3 500m2 d’espace exploitable au rez-de-chaussé), une jauge de 2 600 personnes. 

Porteur de projet : LAS Art Foundation est une organisation artistique avant-gardiste située à Berlin, en Allemagne. Lancée en 2019 par Jan Fischer et Bettina Kames, elle se concentre sur l’exploration de l’intersection de l’art, de la science et de la technologie. L’objectif principal de la fondation est de développer des projets et des expériences révolutionnaires qui envisagent l’avenir et étudient des sujets allant de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique à l’écologie et à la biotechnologie.

Tendance n°2 – Acquisition par des exploitants locaux d’expositions numériques itinérantes internationales diffusées dans des espaces événementiels généralistes

En Allemagne, d’autres lieux d’accueil événementiels, dans des logiques transitoires, accueillent temporairement des œuvres immersives culturelles. De nombreux anciens sites industriels ont été reconvertis en salles événementielles pluri-activités. Rien qu’à Berlin, on peut dénombrer au moins cinq anciens sites industriels qui ont accueilli une exposition numérique d’envergure internationale : 

Le modèle économique des espaces événementiels pluri-disciplinaires est diffèrent des centres d’arts numériques. Contrairement à ces derniers, ces halles événementielles ne sont pas toujours équipées pour accueillir des expositions numériques. Elles doivent donc passer par des prestataires ponctuels. De plus, les gestionnaires des lieux délèguent généralement l’exploitation à des exploitants externes qui assument les risques sur un modèle de location. C’est pourquoi les propriétaires de ces espaces sont moins axés sur la création de leur propre programmation que sur la location de leurs installations. Un panel, intitulé “Diffuser largement des oeuvres et aller à la rencontre de nouveaux publics” reviendra sur ces enjeux lors de la 5ème édition du NUMIX LAB. 

FOCUS – LA PROGRAMMATION IMMERSIVE D’UTOPIA (MUNICH) – Cliquez sur la flèche 

Le lieu : Un ancien manège militaire, construit au XIXe dans un style néo-roman, classé au Monument Historique de la Bavière et utilisé par la suite comme une salle de parade. 

Programmation généraliste : Ce lieu développe une programmation riche avec des concerts, festivals, expositions, théâtres, performances, lectures, conférences, soirées, réunions, séminaires, conférences, formations et autres événements d’entreprise.

Espace : 1 200m2 pouvant accueillir une jauge de 780 personnes.

2022 – Klimts Kuss – Eine immersive geschichte
2023 – Viva Frida Kahlo – Immersive Experience
2023/2024 – Monets Garten – IMMERSIVE EXPERIENCE

Cependant, les exploitants allemands peuvent voir dans ces espaces une opportunité de diffuser des expositions déjà produites à l’international, susceptibles d’attirer rapidement un large public grâce à des kits de communication rodés en amont. 

En termes de programmation, ils privilégient souvent des licences internationales et des sujets déjà familiers au grand public, tels que les peintres impressionnistes ou Léonard de Vinci. Cette approche permet d’offrir des expériences culturelles emblématiques et facilement identifiables, ce qui contribue à attirer un public diversifié et à assurer le succès des événements organisés dans ces espaces.

Ces deux modèles de développement illustrent la capacité d’adaptation des formats numériques et expliquent la prolifération des centres d’arts numériques temporaires ou permanents en Allemagne, notamment dans les grandes villes. En effet, à l’instar de la France, ce type de lieu se trouve encore principalement dans les villes de plus de 1 million d’habitants, afin d’assurer la venue d’entre 150 000 et 200 000 visiteurs par an (ou par exposition) et garantir la viabilité économique des productions immersives.Cet enjeu d’une plus large diffusion à d’autres territoires soulève ainsi un ensemble de questions pour les professionnels du secteur : Comment accroître la diffusion à d’autres territoires ? Comment permettre d’accentuer la mutualisation des productions pour accroître les potentiels de diffusion via le partage des risques entre plusieurs sites ? Comment faire vivre autrement les productions dans des centres d’arts numériques en facilitant la reconversion des formats à de nouveaux espaces ou technologies à moindre coût ?

La cinquième édition du NUMIX LAB aura lieu du 25 au 29 novembre 2024 à Munich, Leipzig et Berlin. et s’articulera autour du thème de la durabilité des expériences immersives, abordée sous une variété d’angles différents (environnemental, économique, Inclusion sociale, territoriale et sociétale). Pour en savoir plus : 

Baudouin DUCHANGE