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26 septembre 2023

Comment co-produire des expériences innovantes et immersives ? Enjeux, apports et retours d’expériences

Table des matières

L’inauguration du parcours nocturne entre son et lumière AURA au Dôme des Invalides, le lancement de l’expérience en réalité virtuelle Mondes disparus au Muséum national d’histoire naturelle ou la deuxième édition du spectacle participatif Secret Défense au château de Rambouillet … Depuis quelques années, les exemples de propositions expérientielles portées par des institutions culturelles s’accumulent. Toutes font une promesse commune : contribuer à développer les publics et leur engagement par le recours à des procédés immersifs tant narratifs, que sensoriels ou émotionnels. 

Si la plupart de ces expériences sont considérées comme “immersives”, elles recouvrent, néanmoins, une diversité d’approches venues des arts vivants pour les représentations théâtrales (reconstitutions historiques, improvisations, théâtre immersif, escape games, etc.) ou des secteurs technologiques et de l’audiovisuel pour les formats numériques (réalité virtuelle, mapping, réalité augmentée, immersion sonore, etc.).

Le coût élevé de ces productions, la nécessité de recourir à des métiers et compétences liés à  d’autres champs de la créativité artistique et de la production que celles intrinsèques aux institutions culturelles incitent à l’essor de logiques de co-portage avec des partenaires privés. Ces nouvelles formes de collaborations entre public et privé émergent ainsi à tous les niveaux de la création, de l’exploitation ou de la diffusion de tels projets. Cet article partage quelques retours d’expériences (tant temporaires que permanents) pour dresser un panorama des dynamiques actuellement à l’œuvre entre secteur patrimonial, audiovisuel et arts vivants.

1. Comment la co-production de spectacles contribue à enrichir la programmation culturelle et événementielle d’un site culturel ?

Comme le rappelle l’universitaire Daniel Jacobi dans un article sur les expositions temporaires,  les musées et lieux patrimoniaux, à partir des années 60, se sont engagés dans une course effrénée à la communication et à l’événementiel. Cette course s’explique, en partie, par des changements sociétaux structurels et par la pression politique exercée sur les musées pour les inciter à développer leurs ressources propres et leurs publics. Un tel phénomène contribue à intensifier la nécessité de renouveler régulièrement leurs programmation par des propositions événementielles (et de ce fait, de l’ouvrir, notamment, aux arts vivants).

C’est dans ce contexte qu’un nombre croissant de sites culturels et patrimoniaux font appel à des partenaires privés pour leur confier la création et l’exploitation de projets événementiels : compagnies des arts vivants, entreprises événementielles, producteurs de spectacles, etc. L’ouverture à ces partenaires favorise la création d’événements originaux et inédits pour séduire ou fidéliser de nouveaux publics. C’est le choix que réalise depuis 2020 le Domaine départemental de Candé. En collaboration avec le producteur de spectacles spécialisé dans l’événementiel,  5 ème Acte, le domaine accueille en haute saison un cluedo géant. Une manière pour le site d’enrichir sa (déjà) large offre culturelle (parcours de visite, activités, parcours d’art) et d’animer la saison estivale par une proposition événementielle additionnelle, avec une offre tarifaire dédiée et autonome économiquement des autres activités proposées (accessible sur réservation uniquement avec une politique tarifaire de 15 à 19 €).

Le spectacle “Mortel week-end”  organisé par 5ème Acte pour le Domaine de Candé. 

Ces collaborations ont également pour vertu de déléguer aux opérateurs privés la prise en charge de l’investissement nécessaire à la production de ces projets en contrepartie d’un  retour d’investissement à l’exploitation. Ces opérateurs, en tant que spécialistes des arts vivants et de l’événementiel, proposent généralement aux lieux culturels une offre clé-en-main. Compte tenu de leurs expertises différenciées de celles des institutions culturelles, il leur échoit naturellement les charges liées à la création et la production de ces propositions : rémunérations des auteurs, des artistes, des techniciens et des personnels administratifs et construction, achat ou location du matériel nécessaire (décors, machineries, scénographie, etc.). Porteurs de ce risque, les opérateurs privés remboursent cet investissement initial à l’exploitation grâce à des logiques de partage de recettes, d’acquittement d’une redevance ou de minimum garantie tel que cela se pratique couramment dans le secteur du spectacle vivant (droit à l’exploitation octroyée généralement dans le cadre d’une occupation temporaire d’espace). 

Spécialisée dans la création et l’exploitation de spectacles-événements sur-mesure pour les sites culturels et patrimoniaux, Polaris Productions a développé un modèle particulièrement inspirant entre production professionnels d’événements et mobilisation de volontaires-bénévoles. Chaque production réalisée permet de recruter et animer des volontaires locaux pour co-concevoir leurs projets favorisant ainsi un puissant ancrage territorial, gage de succès de leurs productions. Ainsi, selon des études menées sur les différents spectacles de Polaris, 30% des spectateurs reviendraient voir le spectacle l’année suivante et 70% disent vouloir visiter le lieu après le spectacle. C’est dans cette démarche participative que le spectacle Secret Défense a été lancé par Polaris Productions au château de Rambouillet (Centre des monuments nationaux). Plus de 600 bénévoles ont ainsi été réunis durant 4 week-ends pour faire revivre la rencontre entre Eisenhower et De Gaulle à plus de 20 000 visiteurs. Une fréquentation importante pour ce lieu qui accueille en moyenne 40 000 visiteurs par an (46 753 en 2019). En termes de modèle économique, ces différents spectacles sont  entièrement financés par la billetterie (8€ tarif enfant et 17€ tarif adulte pour Secret Défense) et ne bénéficient pas de subventions publiques. Chaque spectacle est conçu pour être exploité dans le même lieu plusieurs années de suite.

Affiche de promotion du spectacle immersif et participatif Secret Défense.

Autre exemple inspirant : les productions portées par la compagnie de Léonard Matton. Après Hamlet au Château de Vincennes, la compagnie a joué une pièce de théâtre immersive, le Fléau, en août au Domaine du Palais Royal. Sur un budget de 220.000 euros, 45.000 euros proviennent d’aides d’organismes publics, comme le Centre des Monuments Nationaux, et 75 000 euros du mécénat privé de la Fondation Polycarpe. Le reste du financement est assuré par la billetterie. «Monter des pièces de théâtre immersif est toujours aussi compliqué financièrement, il n’existe pas encore d’aides publiques spécifiques, regrette, le metteur en scène dans un article du Figaro

Le Fléau, une pièce de théâtre immersif jouée en août 2023 au Domaine du Palais-Royal.

Généralement, dans le spectacle vivant, la billetterie couvre environ un tiers des besoins de financement. Pour un porteur de projet privé, l’objectif pourra être ainsi de pérenniser la relation avec le lieu culturel afin d’amortir les frais d’investissement de son spectacle en l’intégrant de façon récurrente à une programmation culturelle. 

Ces modèles de co-production propres au spectacle vivant sont aussi de plus en plus courant pour financer des expériences ou expositions numériques immersives et s’inspirent de procédés courants dans le secteur de la production audiovisuelle.

2. Comment la co-production d’expériences numériques contribue à enrichir la programmation culturelle d’un site culturel ?

La production d’expériences et expositions numériques induisent souvent des coûts élevés et une technicité spécifique à leur réalisation. Ces caractéristiques conduisent de plus en plus de lieux culturels à nouer des partenariats de co-production avec des studios de création ou des producteurs audiovisuels. Un choix qui impose, dans le cadre de ce partenariat, de définir un plan de financement établissant clairement les apports initiaux de chacun (apports numéraires, en expertise ou en moyens) et la répartition des rôles et gains à l’exploitation. Les modèles juridico-économiques sont (là aussi) particulièrement variés : convention de partenariat simple, convention d’occupation temporaire d’espaces, délégation de service public, acquisition ou cession de droits, etc.
Une telle contractualisation peut être envisagée sur plusieurs années pour amortir les coûts de production de ces offres expérientielles grâce à une exploitation récurrente et saisonnière d’un projet. C’est le cas, par exemple, du festival Vaux-le-Vicomte en lumières pour dynamiser la fréquentation hivernale du domaine ou de la Nuit aux Invalides porté par l’entreprise Amaclio. Entre 2012 et 2022, chaque été, un spectacle de son et  lumière a pris vie dans la cour d’Honneur des Invalides avec des projections d’images 3D à 180 degrés sur plus de 250 mètres de façades. Plus de 650 000 visiteurs ont ainsi découvert ce spectacle. Un événement rendu possible grâce à une autorisation temporaire d’occupation d’espaces avec la remise de redevances sur la billetterie. Des conventions triennales sont également signées entre les deux partenaires pour inscrire l’événement dans la durée et assurer une juste rentabilisation de l’investissement porté par Amaclio. Ce choix événementiel a aussi été adopté par le Centre des monuments nationaux qui organise, dans l’abbaye du Mont-Saint-Michel, des spectacles immersifs nocturnes également produits par Amaclio. Le même spectacle a tourné les 4 premières années (Les chroniques du Mont) avant d’évoluer en 2022 puis en 2023 pour le millénial du site. L’offre saisonnière est désormais parfaitement identifiée auprès des partenaires touristiques (offices de tourisme, structures d’hébergement ou de restauration…).

Le cloître du Mont-Saint-Michel lors des Nocturnes produites par Amaclio pour le Centre des monuments nationaux

Au-delà de ces rendez-vous événementiels, cette logique de co-production peut aussi se déployer dans le cadre de projet d’expositions temporaires, voire, s’intégrer dans la programmation permanente d’un lieu. Cette approche plus pérenne est celle qui est actuellement mise en oeuvre par le spectacle multimédia AURA sous le dôme de l’Hôtel des Invalides. Durant plusieurs années, un parcours en son et lumière et en nocturne du dôme sera ainsi proposé. Cette proposition permettra d’intensifier le potentiel d’accueil de ce lieu et d’accueillir de nouveaux visiteurs grâce à une offre attractive et innovante. Illustration du renouvellement des usages patrimoniaux, cette coproduction tripartite audacieuse est à l’initiative de Cultival (exploitation) en co-production avec le Musée de l’Armée (accueil, contenus scientifiques et scénario, visiteurs) et Moment Factory (création et réalisation). 

Affiche de l’expérience immersive Aura Invalides

En apportant leurs savoir-faire en production, des partenaires privés issus de l’événementiel, du théâtre ou de l’audiovisuel répondent ainsi aux besoins des lieux culturels en apportant leurs expertises. Définies dans une logique d’équilibre partenarial, ces collaborations permettent de co-construire des projets par des apports mutuels en expertises et en moyens qui, sont peut être moins valorisés dans le cadre d’une commande publique. Ces propositions contribuent aussi à ouvrir et enrichir la programmation culturelle de ces sites culturels et patrimoniaux par des projets événementiels et numériques ambitieux et novateurs.

Antoine ROLAND et Baudouin DUCHANGE