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3 juillet 2023

Comment les musées font-ils leur mue écologique ? Quelques cas à l’international.

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« Les musées peuvent réduire leurs émissions de CO2 de 70 à 80 % d’ici quelques années. » C’est avec ces propos encourageants – mais non moins ambitieux – que Christian Baars, Head of Collections Care du National Museums Liverpool, a ouvert le Green Museums Summit.

Or par où commencer ? Et avec quels messages ?

Si pour de nombreux musées, conscients de leur influence et de leur responsabilité, les enjeux environnementaux et climatiques font désormais partie de leur projet culturel, quels moyens mettent-ils en œuvre pour limiter leur impact négatif ?

En réponse à ces questions, le Green Museum Summit a apporté des pistes de réflexion en réunissant près d’une trentaine de témoignages, parmi eux celui du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), du Design Museum de Londres, du Solomon R. Guggenheim Museum de New York, du Zeppelin Museum Friedrichshafen en Allemagne, ou encore du Turku Art Museum en Finlande, qui ont présenté leurs modes opératoires pour prendre le virage écologique.

Avant d’évoquer comment les institutions culturelles peuvent mobiliser leurs publics face à la crise climatique et à la dégradation de l’environnement et contribuer à un « récit encapacitant », intéressons-nous aux différentes trajectoires prises pour mettre en œuvre une transition.

1. COMMENT METTRE EN ŒUVRE UNE DEMARCHE ECO-RESPONSABLE ? RETOURS D’EXPERIENCES DU MEG, DU SOLOMON R. GUGGENHEIM MUSEUM DE NEW YORK, DU ZEPPELIN MUSEUM FRIEDRICHSHAFEN ET DU PROJET CLIMATE PROMISE EN FINLANDE

Le Green Museums Summit fût riche en témoignages sur les démarches entreprises pour enclencher une mue écologique à différentes échelles : au MEG, c’est l’élaboration d’une politique RSO qui influe sur la programmation et l’ensemble des opérations ; au Solomon R. Guggenheim Museum de New York ou au Zeppelin Museum Friedrichshafen c’est une exposition qui fait figure de projet pilote ; en Finlande, c’est la mise en réseau d’institutions qui amorce une transition.

© Musée d’ethnographie, Genève

Le MEG, qui a l’ambition d’être un musée de référence pour sa politique RSO, a pris un temps d’avance en concevant un vaste plan stratégique 2020 – 2024 pour un musée durable et responsable autour de quatre piliers que sont l’environnement, le social, l’économie et le sociétal, et pour lequel le musée a reçu le label international THQSE (Très Haute Qualité Sociétale-Sociale-Sanitaire et Environnementale) au niveau OR (son plus haut niveau d’excellence). Il est le premier musée à avoir été labellisé THQSE en Europe, et le premier en Suisse. Sa programmation culturelle et ses activités de médiation découlent de l’intégration concrète de la durabilité au sein de l’ensemble des opérations du musée.

Au Solomon R. Guggenheim Museum de New York, c’est avec les expositions Countryside, The Future conçue par l’architecte Rem Koolhaas en 2021 et Spin, Spin Triangulene de l’artiste chilienne Cecil Vicuña en 2022 que l’institution a commencé à explorer des pratiques visant à réduire son empreinte environnementale, comme l’explique Megan Fontanella, curator.

© Solomon R. Guggenheim Museum

Le Sustainability Leadership Team et les Green Team Leaders ont mis en place une mesure de l’empreinte carbone et de nouvelles pratiques dans la réalisation de ces deux expositions, couvrant entre autres le transport des œuvres, la production du matériel scénographique et la consommation énergétique, qui ont vocation à être étendues et à être prises en compte très en amont dans la phase conception, et ce pour l’ensemble des expositions à partir de 2024. 

Au-delà de ces efforts, la compensation carbone fait partie intégrante de l’approche du musée, et ce à travers un partenariat avec Art To Acres. Il s’agit là d’une initiative fondée en 2017 permettant à des musées, artistes, galeries et collectionneurs de contribuer à la conservation de terres à grande échelle à travers les Strategic Climate Funds. Parmi les partenaires de Art To Acres l’on peut citer l’initiative Galleries Commit et des artistes internationaux tels que George Condo, Rashid Johnson et Mika Rottenberg, ainsi que des galeries telles que Hauser & Wirth. 

Dans une démarche comparable, associant actions de réduction des émissions et compensation, le Zeppelin Museum de Friedrichshafen, en Allemagne, a pour objectif d’atteindre la neutralité carbone pour son exposition sur l’exploitation des ressources abiotiques intitulée Into the Deep. Mines of the Future programmée en 2023.

© Zeppelin Museum Friedrichshafen

Elle fait partie des 25 projets pilotes sélectionnés dans le cadre du « Programm Zero », et  bénéficie à ce titre d’une subvention de la Fondation culturelle de l’Etat fédéral allemand (Kulturstiftung des Bundes). En allouant une somme de 4 millions d’euros au « Programm Zero », la Fondation souhaite soutenir les institutions dans l’expérimentation de formes de production climatiquement neutres et de nouvelles esthétiques de durabilité écologique, et contribuer à la formation et au partage d’expériences entre professionnels.  Dans ce cadre, la démarche adoptée pour l’exposition Into the Deep. Mines of the Future repose, d’après le témoignage de Frauke Stengel, Marketing & Sustainability, sur 4 champs d’action : le transport, l’énergie, le matériel scénographique, la communication (englobant ici la médiation, le catalogue etc). Ainsi, l’équipe curatoriale a largement puisé dans les collections du musée, le matériel scénographique a été réemployé d’une exposition précédente, un dispositif de sobriété énergétique va être testé dans les salles d’exposition, les équipes ont pour interdiction de prendre l’avion et doivent limiter les trajets en voiture, les annonces publicitaires sont réservées à des médias ayant des objectifs de développement durable, jusqu’aux invitations pour le vernissage qui sont imprimées sur un papier fabriqué à base d’algues et au traiteur éco-responsable. Toutefois, l’ensemble de ces mesures ne permettant pas d’atteindre la neutralité carbone, le « Programm Zero » donne à ses participants la possibilité d’utiliser une partie de la subvention pour faire de la compensation carbone. Quant aux émissions résultant des déplacements des visiteurs, le Zeppelin Museum invite ses visiteurs à utiliser les transports en commun.

Le « Programm Zero » et son approche collaborative résonne avec un aspect clé de la mise en œuvre de la transition écologique : la coopération et la mutualisation des ressources entre structures. Au Sud-Ouest de la Finlande, treize musées se sont rassemblés autour de l’initiative « Climate Promise of Museums in Southwest Finland », présentée par sa coordinatrice Maija Talija du Turku Museum Centre.

© Turku Art Museum

Soutenue par la Finnish Heritage Agency, elle est structurée autour d’objectifs que chaque institution implémente à son échelle : la réduction des émissions, notamment à travers une politique de sobriété énergétique et d’achats responsables, la volonté d’exercer un impact positif sur les visiteurs et l’ensemble des parties prenantes, la formation et le partage d’expériences. Au sein de ce réseau, quatre musées, dont le Turku Art Museum, ont recours au système de management environnemental et de certification EcoCompass, développé par la Finnish Association for Nature Conservation et basé sur la norme ISO 14001. 

Si parmi les professionnels, la responsabilité des musées ne fait aujourd’hui plus débat, comment exercer un impact positif réel envers les publics ? Autrement dit, dans un contexte pétri d’éco-anxiété ou encore d’éco-fatigue, marqué tout à la fois par des injonctions contradictoires et par une action insuffisante pour atteindre les objectifs fixés pour 2030, comment un musée peut-il être pertinent envers ses publics lorsqu’il aborde ces questions ? Et quelles sont au juste les attentes des publics ?

2. CREER DE « NOUVEAUX RECITS ENCAPACITANTS » A TRAVERS LA PROGRAMMATION ET LA MEDIATION : EXEMPLES DU MUSEE D’ETHNOGRAPHIE DE GENEVE ET DU DESIGN MUSEUM DE LONDRES

Donner des clefs de compréhension de la crise environnementale dans toute sa complexité, dans une tonalité responsabilisante mais non alarmiste, et donner à voir des alternatives et inciter à préserver ce qui nous entoure : c’est l’approche qu’a choisi le MEG pour sa programmation culturelle, d’après le témoignage de Mauricio Estrada-Muñoz, Responsable du département des Publics. Premier jalon d’une réorientation de la programmation dans le contexte du plan stratégique 2020 – 2024 pour un musée durable et responsable évoqué ci-dessus, l’exposition « Injustice environnementale – Alternatives autochtones» (24/09/21 – 21/08/22) a été conçue comme « un espace pour écouter la voix des peuples autochtones et tisser avec eux un futur commun. Cet avenir s’appuyant sur les valeurs du soin, de la protection, de la réparation, du respect et de la responsabilité à l’égard de notre environnement. », tel qu’on peut le lire sur le site web.

Pour donner aux publics l’envie d’agir, la programmation culturelle du MEG propose des ressources pour aller plus loin, avec notamment les « rendez-vous pour réfléchir et agir », l’installation d’un « Repair café » au sein du musée, une collaboration avec l’association des Grands-parents pour le climat, etc. 

© Musée d’ethnographie, Genève

On retrouve au Design Museum de Londres la même volonté de contribuer à faire évoluer les esprits d’une éco-anxiété paralysante vers le « climate empowerment », en conjuguant transmission de savoirs, fabrique du récit et propositions d’actions concrètes. 

Mais comment être certain de la pertinence du propos face aux attentes des publics ? 

C’est la question que s’est posée le Design Museum de Londres à l’occasion de l’exposition « Waste Age: What can design do ? » présentée du 23 octobre 2021 au 20 février 2022.

© Design Museum, London

Selon le témoignage de Josephine Chanter, Director of Audiences, les équipes se sont dès le départ retrouvées confrontées à la question des messages et du ton à adopter pour aborder la problématique des déchets. Il a donc été décidé de faire appel au cabinet d’études Morris Hargreaves McIntyre, qui a réalisé une étude des publics à partir des Culture Segments (segmentation des publics basée notamment sur leur système de valeurs), et de l’outil EcoCapital, conçu pour appréhender les opinions et les comportements des publics sur des sujets liés à l’environnement et au climat. Les résultats de l’étude (bientôt disponibles en ligne) ont démontré que, bien conscients de la crise climatique, les publics n’attendaient pas que les musées la leur expliquent, mais qu’ils étaient avant tout en recherche d’outils concrets pour agir à leur échelle. 

Le Design Museum s’est amplement inspiré de cette étude pour élaborer les contenus, la scénographie, les messages, jusqu’au titre de l’exposition, et c’est dans ce contexte qu’a été conçue une boîte à outils, disponible sur le site web de l’institution, pour orienter les publics vers des leviers d’action concrets : on y trouve notamment comment réaliser son bilan carbone, comment auditer sa poubelle, ou encore comment recycler ses appareils électroniques. 

Donner aux publics les moyens de comprendre et de se mobiliser, véhiculer à la fois des savoirs scientifiques autour des enjeux de la crise climatique et environnementale et transmettre des outils concrets pour faire émerger l’action à l’échelle individuelle et collective : les exemples du Design Museum et du MEG illustrent la manière dont certains musées interprètent aujourd’hui leur rôle, en écho à la nouvelle définition du musée, à travers l’impact positif qu’ils peuvent exercer sur les esprits.

A travers la grande diversité des témoignages et modes opératoires présentés à l’occasion du Green Museums Summit se dégagent les contours du musée responsable du 21ème siècle associant sobriété énergétique, management environnemental et engagement des publics. Tandis que de nombreux musées ont aujourd’hui, à diverses échelles, entamé une mue écologique, le Green Museums Summit a mis en évidence certains des sujets majeurs qui restent en chantier, tels que l’adaptation des normes de conservation aux contraintes de sobriété énergétique, le numérique et la mobilité des publics, responsable d’une grande part des émissions de GES d’un lieu culturel. Le « succès » de ce nouveau musée sera-t-il bientôt mesuré à l’aune de son impact environnemental (incluant le scope 3 ?) et non plus de ses chiffres de fréquentation ? La transformation du musée ne fait sans doute que commencer…

Annabelle Türkis