Le deuxième panel avait pour objectif d’évoquer les enjeux liés à la conception, à la production, à l’exploitation et à la distribution d’expériences culturelles numériques et immersives. Trois points de vue ont été évoqués : celui des musées (portés par Stéphanie Targui du Muséum national d’histoire naturelle et Célia Chettab de la Cité de l’Economie), des producteurs (avec les interventions de Thibault Jorge de Femme Fatale Studio et de Chloé Jarry, fondatrice de Lucid Realities) et des distributeurs (Camille Lopato de Diversion Cinema).
1. Concevoir et exploiter des expériences immersives en réalité virtuelle (Stéphanie Targui, Muséum national d’histoire naturelle).
Le Muséum d’Histoire naturelle présente depuis 2015 des expériences VR au sein de son Cabinet de Réalité Virtuelle, qui permet d’accueillir 6 visiteurs par session.
Depuis la création de cet espace dédié, le Muséum a évolué au cours du temps dans sa façon de collaborer avec les créateurs de contenu VR. Dans un premier temps, Voyage au cœur de l’Évolution a été conçu via une prestation grâce à un mécénat de la Fondation Orange. Pour d’autres collaborations les droits ont été achetés (à l’instar de Lady Sapiens). Enfin, les collaborations ont aussi été menées dans une logique de coproduction. C’est le cas, par exemple, de The Starry Sand Beach avec Lucid Realities, et, avec SAOLA Studio pour REVIVRE, une expérience en réalité augmentée dans la Grande Galerie de l’Evolution.
Par ailleurs, le Muséum coproduit actuellement une expérience de VR en déambulation avec Emissive (L’Horizon de Khéops, Éternelle Notre-Dame), sur l’Histoire de la vie et de l’évolution, qui ouvrira ses portes en septembre 2023.
Si le Muséum national d’histoire naturelle a choisi de développer des espaces VR dédiés, il a aussi mis en place des logiques de parcours au sein de la Galerie de l’Evolution en réalité superposée avec ReVivre. C’est le choix que la Cité de l’Economie a aussi réalisé en relevant un ensemble d’enjeux et défis spécifiques à cette approche.
2. Mettre en œuvre la visite d’un lieu patrimonial en réalité mixte (Célia Chettab, Cité de l’Économie).
Inauguré en mai 2019 dans le XVIIe arrondissement de Paris, la Cité de l’économie a « une approche avec le visiteur qui passe vraiment par la ludification, que cela soit par les dispositifs ou par la médiation ».
Pour valoriser le lieu (hôtel Gaillard) qui abrite ses collections, la Cité souhaitait trouver une solution pour faire découvrir à ses visiteurs le patrimoine que représente cet hôtel particulier du XIXe, construit dans un style néo-Renaissance et néo-gothique.
Ainsi, Citéco a développé « main dans la main » avec Realcast une expérience de visite en réalité mixte augmentée, qui propose aux visiteurs une chasse au trésor d’une trentaine de minutes dans l’hôtel particulier, via des casques Hololens 2, pour un prix de 4 € en plus du billet d’entrée.
En termes de modèle de collaboration, la Cité de l’économie a passé un appel d’offre remporté par Realcast. Dans la collaboration (conception en 4 mois seulement..), la Cité a apporté son expertise scientifique et a contribué à scénariser le parcours, dans un dialogue constant avec Realcast, en charge de développer et implémenter le projet dans les murs de l’Hôtel Gaillard.
Les retours des visiteurs sont très positifs et ils semblent de plus en plus plébisciter la réalité mixte comme moyen de médiation.
A l’instar de la collaboration étroite entre Realcast et la Cité de l’économie, Femme Fatale Studio a présenté la palette des modèles collaboratifs mise en oeuvre depuis quelques années.
3. Produire une expérience immersive (Thibault Jorge, Femme Fatale Studio).
Femme Fatale Studio collabore avec des acteurs culturels et des marques pour produire des œuvres interactives et immersives.
Pour les institutions culturelles, Femme Fatale Studio est en capacité de produire des dispositifs de médiation interactifs mais aussi des œuvres originales qui permettent « d’avoir un modèle différent à présenter à nos interlocuteurs culturels : venir avec une proposition de contenu qui peut être déployée de manière innovante ».
Pour l’exposition numérique Joconde Immersive, co-produite par le Grand Palais Immersif et par le Louvre, Thibault Jorge a mis en avant 3 atouts :
- Cette proposition immersive est une véritable expérience de visite à part entière totalement différente et complémentaire de l’expérience que l’on a au musée ;
- Elle permet d’aller à la rencontre d’un autre public que le public habituel du Louvre ;
- Elle permet de brasser des formes de médiation très différentes : son, tactile, interactivité… et, par conséquent, d’aborder des angles de vues différents face à une œuvre « que tout le monde connaît mais que peu de personnes approchent finalement ».
Ces approches immersives favorisent donc une multiplicité d’approches de médiation mais elles peuvent aussi être l’objet d’approches artistiques en tant que telles. C’est ce que propose Lucid Realities.
4. De la production d’œuvres en lien avec les musées à la distribution (Chloé Jarry, CEO de Lucid Realities).
Pour évoquer les modes de distribution, Chloé Jarry a pris l’exemple de The Enemy, l’une des premières expériences en réalité virtuelle de Lucid Realities. A l’origine, cette œuvre était présentée dans des festivals de XR, or, cela générait des coûts élevés de déplacement et d’installation pour un contact avec le grand public très confidentiel (un tel modèle économique n’était donc pas viable).
A l’occasion d’une opportunité de programmation, The Enemy a été présenté à l’Institut du Monde Arabe. L’accueil de cette expérience en physique a ainsi permis de réaliser qu’il existait un public prêt à payer un ticket pour ce type d’expériences. Pour autant, le musée percevait alors l’exclusivité des recettes de la billetterie.
Suite à cette première expérience, Lucid Realities s’est rapproché des musées pour qu’ils deviennent de nouveaux diffuseurs d’œuvres immersives mais également pour certaines œuvres, des coproducteurs.
Ainsi, comme l’a expliqué Chloé Jarry, pour pouvoir plus aisément faire circuler les œuvres et faciliter les coproductions avec les musées, il fallait aller à l’inverse d’une relation de prestation traditionnelle répondant à une commande. Dans son intervention, Chloé Jarry a souligné l’importance de la défense du regard d’un auteur dans sa démarche, dans laquelle l’objectif est d’arriver avec un projet déjà très construit à présenter à un musée qui y porte de l’intérêt de par le lien avec ses collections. Le rôle du producteur est ensuite de défendre la vision de l’auteur et de négocier les ajustements faits sur l’œuvre, en essayant d’obtenir à la fois des concessions des lieux culturels et des auteurs.
C’est dans ce sens que Lucid Realities présente actuellement une expérience VR sur Champollion au Louvre Lens, liée à l’exposition en cours Champollion, la voie des hiéroglyphes, et co-produite par Lucid Realities, Tournez s’il vous plaît, le Louvre Lens et le musée du Louvre.
Ce projet sera également présenté très prochainement au musée du Louvre, où il sera complètement intégré au musée puisque l’expérience proposera d’abord une visite dans les salles d’égyptologie avec un guide puis l’expérience de réalité virtuelle, ce qui permet d’envisager de nouvelles perspectives de distribution d’expériences immersives, encore plus en lien avec les collections et la programmation des établissements culturels qui les accueillent.
En parallèle de ce projet, Lucid Realities œuvre au développement d’une plateforme de distribution : Unframed Collection (une version beta devrait sortir au premier trimestre 2023). Cette plateforme permettra de proposer aux lieux culturels, un catalogue d’œuvres, et, aux producteurs, de référencer leurs projets et d’y trouver un modèle économique.
Diversion Cinema propose, en complément de la stratégie de Lucid Realities, d’autres modèles de distribution.
5. Proposer de nouveaux formats de distribution d’œuvres immersives (Camille Lopato, Diversion Cinema).
Diversion Cinema se positionne comme un distributeur, et n’intervient donc pas dans le création d’œuvres.
Lancé en 2016, le distributeur a commencé par des prestations pour des festivals de cinéma afin de présenter des œuvres de VR (films en 360° essentiellement).
Aujourd’hui, le catalogue de Diversion Cinema comporte une trentaine d’œuvres : non seulement des films 360°, mais également des œuvres de VR interactives, ainsi que des expériences immersives au sens large (qui n’impliquent pas forcément des technologies XR). Ainsi, leur travail consiste désormais principalement à accompagner des festivals et des institutions pour présenter des œuvres de leur catalogue à leurs publics.
En termes de modèle économique, Camille Lopato estime que l’enjeu est déjà de faire fonctionner correctement ces installations, et si possible avec un maximum d’autonomie, alors qu’on est encore à une étape du marché où la médiation est indispensable pour rassurer et accompagner le spectateur dans son expérience. Ainsi, un des challenges principaux est de « réduire les difficultés technologiques, de façon à ce que le médiateur ait un vrai rôle de médiateur, c’est-à-dire qu’il parle de l’œuvre » et ne soit pas juste attaché à la technologie.
En termes de distribution d’œuvres immersives culturelles, le goulot d’étranglement se situe donc au niveau la monstration au public, et c’est là-dessus qu’il faut arriver à coopérer entre les différents acteurs de la production des œuvres afin de permettre au public d’avoir la meilleure expérience possible.
Les enjeux de conception, d’exploitation et de distribution sont multiples et variés. La conception nécessite de gérer des compétences et des talents multidisciplinaires. Le cadre technico-juridique à envisager peut être variable selon les projets (prestations, achats de droits, co-productions). Les phases d’exploitation et de distribution, nécessaires pour lisser les coûts de conception de projets immersifs, nécessitent des efforts importants d’adaptations techniques des dispositifs, de médiation humaine et de capacité à trouver des publics. Face à ces différents défis, de nombreuses transformations du secteur sont actuellement à l’œuvre pour fluidifier et favoriser la prise en main de tels projets tant par les lieux culturels que par leurs publics.
Maxime Bohn