Innover avec ses publics, c’est repenser la relation entre institutions culturelles et visiteurs en plaçant la participation, l’échange et l’expérimentation au cœur des projets. Cette approche se traduit par une grande diversité d’initiatives : dispositifs participatifs, co-constructions de contenus, expérimentations scientifiques ou encore actions hors les murs.
Museum Connection a organisé le 25 septembre 2025 avec {CORRESPONDANCES DIGITALES] un meetup intitulé “innover avec ses publics” au travers des expériences de trois établissements aux identités et aux contextes très différents :
- Du Louvre-Lens avec Guilaine Legeay, Chargée de projets en médiation numérique
- De Citéco – Cité de l’Économie avec Nicolas Mangeot, Responsable du pôle muséographique
- Du Musée des Confluences avec Adrien Allier, Responsable du service programmation scientifique et culturelle.
Ces trois démarches illustrent le caractère protéiforme de l’innovation participative : collaboration avec des adolescents, expérimentation avec des enfants, ou encore création d’événements où chercheurs et publics se rencontrent.
Le musée du Louvre-Lens : Concevoir un dispositif de médiation co-écrit avec des lycéens à partir d’une stratégie orientée publics : l’exposition Mondes Souterrains.
Ouvert en 2012, le Louvre-Lens accueille près de 400 000 visiteurs par an. Situé dans un bassin minier au public très diversifié, il a fait de la participation et du lien avec le territoire un axe central.
Objectifs et enjeux du projet
Le projet participatif du Louvre-Lens s’inscrit dans le cadre de l’exposition Mondes souterrains. L’idée était de créer un dispositif original avec des lycéens autour de la bande sonore de l’exposition, un domaine encore peu exploré par le musée.
L’objectif était de donner à entendre aux visiteurs la parole singulière des adolescents et offrir à ces jeunes un véritable espace de création autour des œuvres d’art.
Le projet a été conçu en partenariat avec Musair, représenté par Valentine Passemard, qui a apporté une expertise spécifique en création sonore et en médiation participative.
Réalisation du projet
Pendant six mois, les élèves de seconde et de première en histoire de l’art ont participé à des ateliers hebdomadaires de coécriture et de création. Les séances de 3 à 4 heures ont alterné observation des œuvres, discussions collectives et travail d’écriture en binôme.
Les lycéens choisissaient eux-mêmes les œuvres sur lesquelles ils souhaitaient travailler et devaient justifier leur choix. Les thématiques de l’exposition – l’enfermement, les profondeurs, les mondes souterrains – faisaient écho à de nombreux sentiments et sensations qu’ils ont exprimés par leurs textes.
Une séance a même été consacrée à la visite des souterrains du musée, source d’inspiration pour leur écriture autour de la notion d’enfermement.
Les ateliers visaient à recueillir les émotions, les impressions et les ressentis des jeunes, puis à les transformer en capsules sonores. Le rôle de Musair a été ensuite de compiler les éléments produits par les lycéens et présenter, semaine après semaine, un pré-montage des textes. Ce travail itératif a permis d’affiner progressivement les créations, tout en maintenant la motivation et l’implication des élèves.

Résultats et apprentissages
Au total, dix capsules sonores de deux à trois minutes ont été intégrées à l’audioguide de l’exposition, en complément du parcours commenté par les commissaires. Ces créations audacieuses et poétiques offraient un regard inédit sur les œuvres: elles se distinguaient par leur ton, leur humour, leur sensibilité et leur approche contemporaine, loin du discours habituel d’un historien de l’art. Les commissaires, très touchés par ces propositions, ont souligné la richesse de ces interprétations.
Les réactions du public ont été variées : certains visiteurs ont été enthousiasmés par cette ouverture aux voix des jeunes, d’autres se sont interrogés sur leur place dans un audioguide. Ces échanges ont été poursuivis dans le cadre du Café des voisins, moment de dialogue entre le musée et ses visiteurs pour recueillir leurs avis.
Le projet, déployé à la fois « dans les murs » et « hors les murs », a pris une ampleur inattendue. Grâce à la qualité du travail réalisé, la direction de la communication a noué un partenariat avec la RATP : pendant dix jours, la station Palais Royal – Musée du Louvre à Paris a été rebaptisée « Musée du Louvre-Lens », avec des affiches dédiées à l’exposition Mondes souterrains et la diffusion de certaines capsules sonores.
Cette visibilité nationale a permis aux lycéens de mesurer la portée de leur travail et de rencontrer l’un des artistes exposés. Pour le musée, ce projet a illustré la capacité de la participation à générer de nouveaux partenariats et à valoriser l’engagement des jeunes du territoire.

Citéco – Cité de l’Economie : Co-concevoir une exposition pour et avec les enfants
Citéco – Cité de l’Economie, établissement parisien inauguré en 2019, accueille chaque année plusieurs centaines de milliers de visiteurs, dont de nombreux groupes scolaires. L’institution cherche à attirer davantage d’enfants et de familles à travers une stratégie de médiation renouvelée.
Objectifs et enjeux du projet
Citéco aborde un thème réputé difficile : l’économie. Son défi est d’attirer des publics variés, notamment familiaux, et de rendre cette thématique accessible et ludique.
À l’occasion de l’exposition L’Argent, inaugurée le 15 octobre, le musée a souhaité interroger la réception de ses contenus par les enfants pour renforcer leur compréhension et leur plaisir de visite. L’expérience de l’exposition Astérix et l’économie avait déjà montré l’intérêt d’une approche plus interactive et familiale.
Les objectifs étaient donc doubles : élargir la fréquentation familiale et consolider la légitimité scientifique du discours tout en l’adaptant aux 6-12 ans.

Réalisation du projet
Pour cela, le musée a mis en place des focus groupe avec l’appui d’un appel à maîtrise d’ouvrage (AMO) muséographique (ASR Culture) et d’Artizest pour une expertise complémentaire. Ces groupes de discussion, réunissant des enfants dans des contextes scolaires et familiaux, visaient à recueillir leurs perceptions et leurs références autour du thème de l’argent.
Cette démarche participative s’est inscrite dans une logique de co-construction : faire émerger les points de compréhension, les zones de flou et les représentations symboliques de l’économie chez les enfants.
Le projet a également mobilisé un réseau d’experts extérieurs : pédopsychiatre, représentants de l’Éducation nationale, journaliste scientifique et autrice jeunesse (Alicia Jacques Casanova). Cette pluralité de regards a permis de légitimer la démarche auprès de la gouvernance du musée.
L’enjeu majeur était d’obtenir un équilibre entre rigueur scientifique et accessibilité, en assumant la nécessité d’adapter le propos aux différents niveaux de compréhension.

Résultats et apprentissages
Les retours des deux focus groupes, bien que non représentatifs de tous les enfants, ont été extrêmement riches. Certains jeunes ont confirmé les intuitions de l’équipe, d’autres les ont totalement contredites, révélant des besoins ou des perceptions inattendus. Ces échanges ont permis de revoir certains aspects du parcours de visite. Par exemple, la partie consacrée aux cryptomonnaies, jugée trop complexe, a été simplifiée ou écartée au profit de notions plus concrètes.
L’expérience a montré combien la prise en compte du regard des enfants pouvait nourrir la muséographie et renforcer la pertinence du discours. Elle a aussi conforté la volonté de Citéco de poursuivre cette approche dans ses futurs projets, posant ainsi la première pierre d’une démarche pérenne de co-construction avec les publics jeunes.
Le Musée des Confluences : Développer de nouveaux formats de vulgarisation scientifique pour parler de science autrement et élargir les publics
Enfin, le Musée des Confluences, ouvert en 2015 à Lyon, accueille environ 670 000 visiteurs et se distingue par sa capacité à innover dans le lien entre société, art et sciences.
Objectifs et enjeux du projet
Le Musée des Confluences développe chaque année entre 80 et 100 événements dans le cadre de sa programmation culturelle. L’un des objectifs est de proposer, à travers ces cycles, de nouvelles manières de parler de sciences, notamment à l’occasion de la Fête de la science.
Le musée a cherché à se positionner sur cette thématique culture et sciences pour attirer de nouveaux publics, plus jeunes et plus connectés. L’enjeu : rendre les sciences accessibles et attrayantes grâce à la pop culture, au jeu vidéo et à la rencontre directe avec les chercheurs.

Réalisation du projet
En partenariat avec le CNRS, le musée a pu mobiliser un réseau de chercheurs locaux, intéressés par des formes de médiation innovantes. Plusieurs formats ont ainsi été expérimentés :
- Co-conception d’événements avec des chercheurs, croisant leur expertise scientifique et celle du musée en matière de médiation ;
- Conférences participatives, par exemple autour de l’étude d’une « épidémie virtuelle » observée dans le jeu World of Warcraft ;
- Soirées ludiques dans des bars à jeux lyonnais, comme « Tire-toi une bûche », où les médiateurs invitaient le public à « jouer avec un scientifique » ;
- Scientific Game Jam, format immersif réunissant chercheurs et gamers réunis pendant 48 heures pour concevoir un jeu vidéo. Cette dernière initiative a permis de créer sept jeux originaux, récompensés par trois prix : le Grand Prix du jury, le prix du gameplay et le prix du discours scientifique. Une borne d’arcade a ensuite permis au public de tester ces jeux et d’échanger directement avec leurs concepteurs.
- Le musée a également accueilli le chercheur Antoine Coutrot, créateur du jeu sur smartphone Sea Hero Quest, dédié à la lutte contre Alzheimer et les maladies neurodégénératives. Les visiteurs pouvaient y jouer librement sur tablette dans le hall du musée, tandis qu’un système d’eye-tracking permettait de collecter des données sur l’orientation spatiale.

Résultats et apprentissages
Plus de 2 000 visiteurs ont été accueillis lors des deux éditions de la Fête de la science, avec une réelle diversification du public. Les participants, souvent jeunes et issus d’horizons variés, ont découvert la science à travers des formes ludiques et participatives.
Les échanges entre chercheurs et visiteurs ont été particulièrement riches : le jeu a permis de créer un climat de dialogue informel propice à la curiosité.
Certaines limites ont toutefois été identifiées, notamment sur l’âge des participants : les formats initialement conçus pour les enfants de 7 ans ont attiré des enfants plus jeunes, rendant parfois la médiation difficile. Le musée a ainsi ajusté sa communication en ciblant un public légèrement plus âgé.
Le projet Sea Hero Quest a quant à lui permis de collecter des millions de données en quelques semaines, un volume qui aurait nécessité des années de recherche en laboratoire. Ces expériences confirment que le jeu vidéo constitue un outil précieux pour les démarches de science participative et une nouvelle voie d’innovation muséale.
Chacun de ces établissements démontre qu’impliquer ses visiteurs est une manière de repenser la muséographie d’un musée, d’en faire un espace de dialogue, de création et de partage des savoirs.
Charlotte BAUGÉ