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8 novembre 2024

Le Grand Est en immersion : Quand le numérique et la culture font salle comble au planétarium d’Épinal

Table des matières

Ces dernières années, la convergence entre les secteurs de la médiation et des industries culturelles a permis d’enrichir le paysage culturel du Grand Est avec des expériences immersives et numériques : l’exposition Le Numérique à l’Oeuvre au Musée de l’Oeuvre Notre Dame de Strasbourg, l’escape game en réalité virtuelle de la Bibliothèque de Sélestat, les mappings dans les jardins du Musée des Beaux-arts de Nancy ou encore, bien sur, les nombreux festivals d’arts numériques à commencer par celui d’Épinal. 

Ces initiatives, visibles notamment lors de cette édition des RICCI#3 à Épinal, montrent comment une filière régionale en pleine expansion fait face à des défis opérationnels pour structurer et accélérer la création et la diffusion de projets numériques immersifs. Parmi ces défis se trouvent la pérennisation des partenariats (de la création à la diffusion), la maîtrise des coûts de production et de maintenance des dispositifs numériques, ainsi que la capacité à proposer des formats flexibles et adaptés aux contraintes de lieux multiples. Les exemples évoqués lors de l’événement soulignent la valeur de ces collaborations pour garantir une offre culturelle numérique de qualité et la rendre accessible à des publics variés.

L’édition des RICCI a également mis en lumière l’importance des pratiques collaboratives dans le développement de cette filière. Comment, dès lors, créer un projet numérique de l’idée à la valorisation culturelle ? Comment animer, développer et diffuser un projet immersif, tout en prenant en compte les particularités de chaque territoire ? À travers ces questionnements, les RICCI ont été l’occasion pour les participants d’explorer des réponses pour ancrer durablement l’innovation immersive dans leur région et faire de celle-ci un pôle d’excellence dans la création numérique.

Les défis et enjeux à relever de la création immersive, support de nouvelles images

Le Fonds d’aide à la création immersive du CNC a pour objectif de stimuler l’émergence de nouvelles formes narratives, tout en attirant les talents de demain. Ces « nouvelles écritures numériques » se définissent par leur capacité à renouveler les modes de création et de réception des récits, en tirant parti des outils numériques. Elles englobent des formats variés, allant des narrations interactives sur le web et les écrans mobiles aux expériences immersives XR ou en mapping. Et pour toucher des domaines aussi divers que le patrimoine, le spectacle vivant, les parcs de divertissement, les marques et bien sûr, le cinéma.

Ce dernier reste un lieu privilégié pour l’expérimentation de ces écritures. D’autant que, malgré ses 180,76 millions d’entrées en 2023, les salles de cinéma accusent une baisse de 13,1 % par rapport aux années précédant la pandémie (source : CNC). Ces chiffres appellent à une reconfiguration de l’offre pour mieux répondre aux attentes d’un public.

Le Ciné-Palace, une institution en constante évolution depuis sa création dans les années 80.

Le premier défi est donc technologique pour réussir à déployer de nouvelles offres. C’est dans ce contexte que des initiatives, comme celles menées par Arnaud Toussaint au Cinéma Palace d’Épinal, montrent la voie vers une réinvention nécessaire du cinéma. En investissant dans des technologies innovantes, telles que la salle ICE Theaters® développée par CGR Cinéma, Le Palace ne se contente pas de proposer des films, mais introduit de l’interaction qui capte  le public différemment. En parallèle, l’organisation de sessions live de jeu vidéo en salle est un autre exemple de cette diversification des usages cinématographiques. Ces nouvelles approches explorent les frontières entre cinéma traditionnel et nouveaux modes de consommation culturelle, et ouvrent des perspectives prometteuses pour l’avenir du secteur. 

La malette VROO, pour voyager à travers différentes réalités, de l’animation au documentaire, avec une curation de film VR 360°

Face au défi de diffuser de nouveaux formats, notamment en sortant le cinéma de l’écran traditionnel, des approches novatrices comme la XR narrative émergent. Camille Lopato, fondatrice de Diversion, va plus loin en intégrant pleinement l’immersion dans les lieux culturels. Diversion conçoit et installe des dispositifs immersifs pour des institutions prestigieuses, telles que le Quai Branly à Paris ou la Cinémathèque de Vilnius. Au-delà de la dimension technique, l’immersion peut être un levier pour réinventer la relation entre le public et l’espace culturel, ce à quoi participent Futura Cinéma, partenaire de cette édition, en proposant des hackathon pour penser l’avenir du cinéma. 

Photo de l’expérience co-réalisée avec Le Louvre pour l’exposition immersive itinérante sur un bâteau proposé par Art Explora. 

Mais l’un des défis majeurs pour ces nouvelles écritures numériques, et plus largement pour les lieux culturels, réside dans l’accès au public, notamment dans les zones moins bien desservies par les infrastructures culturelles. C’est là qu’intervient Art Explora, avec son projet Ciné.Mo, présenté par Émilie Boucheteil. Cette initiative (avec le bateau-musée également) a pour ambition de rapprocher le cinéma et les expériences immersives des publics éloignés en amenant les contenus directement au pas de leur porte grâce à un camion itinérant. Ciné-Mo répond à une problématique bien connue dans le secteur de la culture : celle du « dernier kilomètre ». Un modèle innovant qui offre de nouvelles possibilités pour diffuser la culture là où elle n’est pas toujours encore présente, touchant ainsi des publics diversifiés et parfois délaissés. 

La création immersive ne se limite plus à des expériences isolées. Elle est en train de redessiner les contours du paysage culturel, en proposant des récits plus engageants, des interactions inédites et des lieux de diffusion repensés. Les défis techniques, économiques, créatifs et sociaux qui accompagnent cette transformation sont nombreux, mais des pistes existent pour espérer les dépasser, entre autres grâce à des logiques partenariales.

La création en logiques partenariales : Enjeux et solutions pour dynamiser les projets culturels en région

L’engagement dans des logiques partenariales est essentiel pour surmonter les défis de création et de déploiement de projets culturels numériques, particulièrement en dehors de Paris et au sein d’une région aussi vaste que le Grand Est. Ce besoin de collaboration découle de divers enjeux, notamment ceux liés à la diffusion. Lors de cette conférence, deux aspects ont été particulièrement soulignés : l’accroissement de la créativité et l’optimisation des ressources techniques locales.

Les partenariats entre institutions culturelles et écoles d’art illustrent comment des expertises complémentaires peuvent dynamiser les initiatives locales. Bien que les acteurs des collectivités territoriales soient familiers avec les formats numériques, ils peuvent manquer de compétences spécifiques (soit en interne, soit localement) pour mettre en œuvre des projets ambitieux. C’est dans ce contexte que les collaborations deviennent cruciales, permettant de répartir les expertises selon le cœur de métier de chacun.

Exemple de productions réalisées dans le cadre du partenariat avec l’ÉSAL pour la Fête des images (Épinal) en 2023

Un exemple particulièrement inspirant est celui partagé par Marie-Jeanne Gauthé, professeure aux Gobelins, qui a développé un workshop avec l’École Supérieure d’Art de Lorraine (ÉSAL). Ce partenariat a permis à des étudiants de se former au mapping, une discipline qui, historiquement, ne faisait pas partie de l’orientation de l’école, qui était davantage axée sur le dessin narratif. Mélanie Poinsignon, enseignante à l’ESAL, a souligné la nécessité pour les structures de formation de s’adapter aux évolutions technologiques tout en restant attentives aux attentes des partenaires institutionnels, afin de mieux servir les étudiants. 

Ce processus itératif a non seulement renforcé les compétences des étudiants, mais a aussi ouvert des perspectives professionnelles. Victor Soulié, ancien élève et désormais chez Small Creative, par exemple, a pu participer à des projets au Festival des Lumières de Lyon grâce à cette expérience. Sophie Toulouze, du Pôle Muséal de Nancy, a également mentionné un projet de mapping né de la dynamique du workshop, où les étudiants de l’ESAL ont transformé un ancien aquarium situé dans les jardins du Musée des Beaux-arts de Nancy en un espace d’expression artistique. Cette collaboration, lancée en 2017, a donné lieu à plusieurs éditions, aussi bien en extérieur qu’à l’intérieur du musée, avec des projections directement sur les collections.

Des dispositifs en RA proposés par Femme Fatale Studio qui seront adaptés aux collections de la ville de Reims grâce à un workshop organisé par la Région Grand Est. 

Épinal, déjà reconnue pour son histoire liée à l’image, est devenue un pôle d’innovation grâce à ce type d’initiatives inter-collectivités, encouragées par diverses actions de la Région comme celle présentée par Thibault Jorge, co-fondateur du studio Femme Fatale, et Georges Magnier, directeur des musées de la ville de Reims. Leur coopération, née d’un atelier organisé en 2022 par la Région Grand Est, a abouti à la création de filtres de réalité augmentée inspirés des collections des six musées municipaux de Reims. 

Ces projets montrent comment l’activation de réseaux régionaux peut dynamiser l’offre culturelle locale et attirer un nouveau public. Un enjeu régulièrement évoqué pour aller plus loin est d’intégrer, en plus des écoles artistiques, des établissements à orientation technologique, tels que des écoles d’ingénieurs ou de programmation. Face à ces défis d’innovation et de mise en réseau, la question se pose alors : quelles bonnes pratiques peuvent favoriser l’animation et le développement de projets numériques et immersifs en tenant compte des particularités de chaque territoire ?

FOCUS – Le rôle particulier des médiathèques dans la valorisation culturelle et numérique en France
  • Mettre en place une politique numérique en médiathèque – Julien Vieillescazes, Responsable pôle culture artistique, Médiathèque de Créteil / Alexandre Roux, Directeur stratégie et développement, Lucid Realities / Unframed Collection
  • Créer un projet de spectacle vivant à la croisée du jeu vidéo et du monde du conte – Matthieu Epp, Conteur, Rebonds d’histoires
  • Concevoir et animer une plateforme numérique de ressources littéraires – Amélie Rigollet, Chargée de mission communication numérique, Interbibly, Centre de ressources de ressources et du patrimoine écrit en Grand Est

Quelques bonnes pratiques pour animer et développer un projet numérique et immersif ? 

Le développement de projets numériques et immersifs dans des espaces culturels, et plus particulièrement dans des contextes ruraux ou peu accessibles, soulève la question de la mobilisation des ressources et de l’ancrage local pour garantir une médiation adaptée aux spécificités de chaque territoire. Comment, dans ce cadre, les acteurs culturels peuvent-ils structurer un projet numérique et immersif tout en s’assurant de son accessibilité, de sa pertinence et de sa durabilité ? En réponse, plusieurs interventions du mercredi lors des RICCI ont exposé des stratégies et bonnes pratiques ancrées dans l’analyse des besoins territoriaux et la mutualisation des moyens.

  1. Analyser les besoins locaux pour ancrer les projets
    Camille Pereira, Directrice culturelle de l’association Scènes & Territoires, a souligné l’importance d’une analyse précise des besoins des territoires ruraux. Cette approche favorise l’implication des acteurs locaux en amont du projet, à travers des outils de consultation comme la cartographie et des ateliers participatifs. Le projet de valorisation de la rivière Seille, par exemple, a rassemblé des initiatives locales autour d’un patrimoine naturel commun, créant une dynamique collaborative et fédératrice pour les acteurs culturels et environnementaux locaux. Une telle démarche garantit que le projet immersif n’est pas perçu comme un apport externe, mais comme une composante intégrée du territoire, adaptée aux attentes et spécificités de ses habitants.
  2. Flexibiliser les formats pour optimiser l’accès et l’impact
    En développant des dispositifs immersifs adaptés à différents lieux, l’association AADN et le Pôle AADN ont également illustré l’importance de proposer des formats flexibles et transportables, tels que des installations dans des planétariums. Cyrielle Tissandier, responsable de production, a insisté sur la nécessité de créer des résidences artistiques capables d’adopter les contraintes spécifiques d’espaces dédiés, comme les dômes de planétariums, tout en explorant les possibilités techniques de projection et de spatialisation sonore. Cette flexibilité dans les formats permet de toucher des publics variés, tout en limitant les coûts liés à la mise en place et à la maintenance de dispositifs immersifs permanents. Pour concrétiser cette approche, AADN a mis en place un appel à projet dédié aux créateurs et créatrices souhaitant développer des expériences immersives en dôme. Cet appel invite les artistes à proposer des projets conçus spécifiquement pour des projections sphériques et des scénographies augmentées, ce qui offre aux planétariums de nouvelles opportunités d’expérimentation artistique.
  3. Soutenir l’appropriation locale par des dispositifs itinérants
    Enfin, l’initiative de Micro-Folie de la Communauté d’agglomération d’Épinal, sous la direction de Bénédicte Hanot et Marc Genatio, met en lumière la pertinence des solutions itinérantes. Un musée numérique mobile regroupant plus de 1 500 œuvres numérisées permet de se rapprocher des populations locales en rendant l’art accessible hors des grands centres urbains. Ce modèle démontre la capacité des dispositifs numériques à répondre à un enjeu d’accessibilité, tout en stimulant un sentiment d’appartenance et de participation culturelle chez les habitants.
Différents exemples des dispositifs immersifs installées au Musée de l’Oeuvre Notre-Dame pour interpréter les collections du parcours permanent

Ces pratiques démontrent que l’intégration réussie de projets numériques et immersifs dans les territoires réside dans leur capacité à se connecter aux spécificités locales. À travers une approche collaborative, un ancrage dans les besoins locaux, et une flexibilité des formats, les acteurs culturels peuvent ainsi mieux assurer la durabilité et l’impact de leurs projets sur les communautés qu’ils desservent.

FOCUS – Agora sur les financements
  • La Région au service des lieux et des créateurs : AMI Création numérique, atelier de co-création, etc. – Marion Gravoulet, Chargée de mission cinéma, audiovisuel et numérique, Région Grand Est, Vianney Muller, Adjoint du Service Inventaire et patrimoine, Région Grand Est
  • L’appui du CNC pour les projets audiovisuels et numériques – Victoria Dominé, Chargée de mission Création Immersive, CNC
  • L’internationalisation des projets culturels : les rôles essentiels du Relais Culture Europe et des Régions – Vincent SOCCODATO, Responsable du développement territorial européen, Relais Culture Europe

Face aux défis de l’innovation culturelle et de l’ancrage territorial, le Grand Est se positionne de plus en plus comme un véritable laboratoire de l’immersion culturelle. Au RICCI, il était manifeste que les acteurs régionaux parviennent désormais à dépasser la logique des expériences isolées pour construire des récits immersifs et engageants, adaptés aux spécificités locales et à des formats variés — des planétariums aux musées, en passant par les espaces naturels.

Ces initiatives montrent que le Grand Est ne se contente pas d’accueillir la culture immersive, mais qu’il en redéfinit les contours, en intégrant pleinement l’immersion au service des territoires. Reste à savoir jusqu’où cette dynamique pourrait inspirer d’autres régions et consolider la place de la région dans le paysage national et européen de l’innovation culturelle.

Baudouin DUCHANGE